Un pari sur la confiance - Numéro 387
01/02/2008
Quelle est la vocation de la société A Domicile Services ? Michel Gaté : Les services à la personne, c’est d’abord une histoire de femmes : parce qu’elles connaissent les besoins de la famille et qu’elles organisent la qualité de vie à domicile, parce qu’elles savent que trouver un service fiable, professionnel et personnalisé n’est pas facile. A Domicile Services, créée en 2007, est avant tout une marque de confiance, une marque de référence de la qualité d’un service individualisé et professionnel. Elle est la marque de la relation client des services à la personne. C’est un réseau d’entreprises de services qui a vocation à offrir des prestations de qualité aux salariés bénéficiaires de Cesu. Enseigne nationale, ouverte et transversale, elle construit son développement à partir de la proximité, des besoins comme de l’offre. A Domicile Services rassemble des producteurs de services, des entreprises, des associations, mutuelles ou organismes publics, qu’elle labellise en fonction du respect de sa charte de qualité. La priorité est accordée à la professionnalisation des emplois, notamment à l’engagement des prestataires labellisés à mettre en place un parcours personnalisé de professionnalisation. S’adressant aux entreprises et aux collectivités, A Domicile Services les conseille dans la diffusion du Cesu, de façon à faciliter l’accès de leurs salariés aux services dont ils ont besoin. Enfin, A Domicile Services s’appuie, dans chaque département, sur ses « Espace de services à la personne à domicile » (« Esperad »), pour structurer son offre de services et développer la professionnalisation. Le plan Borloo (2005) visait la création de 500 000 postes en trois ans. L’objectif est-il atteint ? M. G. : Le Plan Borloo a pris son essor en janvier 2006 avec la mise en circulation du Cesu bancaire, et en juillet 2006 avec le lancement du Cesu préfinancé. Il est encore trop tôt pour dresser le bilan en emplois. Néanmoins, il est incontestable que le secteur est créateur d’emplois, si l’on se réfère aux premiers résultats affichés en 2007. Bien entendu, la part de l’emploi créé par le particulier employeur est la plus importante, ce qui est compréhensible compte tenu de l’antériorité de la distribution du chèque emploi service. On peut se féliciter qu’avec ce mouvement le recours au travail au noir soit en nette diminution. Un des objectifs du plan est donc atteint. L’augmentation du temps de travail, dans les structures prestataires, est aussi un indicateur de l’amélioration de la qualité de l’emploi. Il n’en demeure pas moins que beaucoup reste à faire pour que l’emploi dans le secteur prestataire se développe, que ce soit par la diffusion du Cesu préfinancé ou au regard de la professionnalisation des métiers. Un signe positif est l’engagement de l’Agence nationale des services à la personne (ANSP) dans un programme pluriannuel de développement de la professionnalisation (feuille de route approuvée en décembre 2006). C’est aussi le défi d’A Domicile Services de conjuguer l’organisation d’une offre professionnelle de services et la qualification des personnels. C’est une raison du programme mené en partenariat avec le mouvement Retravailler, pour orienter et recruter les personnes désireuses de travailler dans ce secteur professionnel, en lien avec le service public de l’emploi. En accompagnant, dans le cadre des Esperad, les organismes prestataires qu’elle labellise, A Domicile Services veut favoriser une meilleure gestion des ressources humaines, en mutualisant la fonction employeur (création de groupements départementaux d’employeurs). Et en offrant une diversité de services, donc une grande amplitude d’interventions, A Domicile Services a enfin l’objectif d’améliorer la situation des personnels salariés, en leur permettant d’atteindre plus rapidement le temps partiel choisi. Peut-on industrialiser les services à la personne ? M. G. : A Domicile Services a construit son modèle économique de développement autour de cet enjeu. Il ne s’agit pas d’industrialiser la prestation de service, la production en elle-même, mais de rationaliser l’appui, les procédés de production et de gestion du service, d’apporter une réelle valeur ajoutée à sa qualité. Nous utilisons les NTIC de façon à optimiser la chaîne de traitement et d’accompagnement du service (télégestion, aide à la facturation, suivi individualisé de la prestation, etc.). Autre pari : nous impliquons le client dans la relation (carte personnalisée, accès privilégié au service, suivi de l’interface client par portail électronique, etc.). Nous facilitons l’accès au Cesu en simplifiant la distribution et le paiement (dématérialisation, billettique, suivi de gestion sur Internet pour le client grand compte, etc.). Enfin, nous nous appuyons sur un centre d’appel performant qui fait de la relation client sa plus-value sociale. Comment concilier la qualité et la baisse des coûts associée à l’industrialisation ? Existe-il une élasticité de la demande par rapport au prix ? M. G. : Les services à la personne, comme tout service à forte dimension relationnelle, ont un coût, donc un vrai prix justifié par la valeur ajoutée de l’offre de service. Le volume d’activité est plus déterminant que la qualité de la prestation, dans la mesure où, quelle que soit l’activité rendue, la qualité doit être un objectif prioritaire. La question économique essentielle est donc celle de l’accès au service, qui reste difficile pour beaucoup de gens, en matière d’information et de disposition à accepter une personne inconnue chez soi. La qualité est autant dans l’accès à une information de qualité, dans la prestation elle-même et dans la proximité de l’accompagnement. Aussi est-il difficile d’évoquer une élasticité de la demande par rapport au prix. Quels sont les nouveaux services à la personne appelés au développement le plus dynamique ? M. G. : Il n’existe pas de nouveaux services en tant que tels. Plus que la création de services ou de services innovants, c’est le volume des clients servis qui portera le marché. Le développement des SAP passe par la massification de la demande. Les enjeux sont l’accès au service et la capacité des producteurs de services à répondre à une demande qui peut connaître une augmentation exponentielle (par exemple pour le soutien scolaire ou l’assistance informatique). Par ailleurs, les publics priment les services, le développement des SAP repose autant sur la capacité à répondre aux besoins de publics nouveaux que sur de nouveaux services. Compte tenu de notre système de protection sociale, les services relationnels d’aide à aux personnes dépendantes vont au premier chef porter le développement du marché. Les activités concernées ne relèvent-t-elles pas de logiques économiques différentes ? M. G. : On peut en effet distinguer trois logiques propres à la nature des services, selon qu’il s’agit de services aux entreprises (services rendus aux salariés par une conciergerie d’entreprise…), de services proposés au grand public ou de services aux services (formation, aide à la création d’activités, mutualisation des ressources internes des organismes producteurs…). Le principal élément différenciant repose sur la distinction entre le mode prestataire de l’intervention, qui doit être soutenu et encouragé, et l’emploi direct de gré à gré proposé par le particulier employeur. La diffusion du Cesu préfinancé et toute mesure pouvant faciliter son déploiement sont à favoriser. La richesse économique se crée dans le cadre de l’activité prestataire et dépend de la capacité des entreprises à créer de la valeur autour de la solvabilité de la demande (Cesu) et de la structuration d’une offre professionnelle et de qualité (productivité du service et qualification des intervenants). La représentation de ces métiers, pour une grande majorité, a une forte connotation féminine (la bonne et la nounou) : comment l’emploi marchand évolue-t-il sous le critère de la répartition par sexes ? M. G. : Les services à la personne sont rendus quasi exclusivement par les femmes et principalement pour les femmes. Ce qui compte n’est pas tant le genre du métier que le professionnalisme de la personne qui l’exerce. L’image du secteur encore parfois négative n’est pas celle de l’emploi féminin, mais celle de la domesticité, qui a véhiculé – et continue parfois à le faire – une image dépréciée d’emplois non seulement de bonne ou de nounou, mais aussi de majordome ou de chauffeur de maître. Les métiers de SAP qui se développent sont de plus en plus exercés par des hommes (informatique, espaces verts, etc.), et c’est la compétence ou le savoir-faire qui connote alors le service. Comment rendre ces métiers attrayants, dans un pays où être au service de quelqu’un est considéré comme plus ou moins humiliant ? M. G. : Etre au service de quelqu’un renvoie à un état social et professionnel dévalorisant. Il s’agit plutôt de rendre service, dans le cadre d’une relation qui équivaut à une relation client. Professionnalisme, qualification, formation, rémunération, sont les conditions d’attractivité des emplois de ce secteur, qui doivent devenir de vrais métiers. C’est en tout cas la conviction d’A Domicile Services, qui demande aux organismes prestataires qu’elle labellise de s’engager dans l’application de conventions collectives qui garantissent un emploi de qualité et durable. L’attrait des métiers de services à la personne est aussi à valoriser en établissant des passerelles (par la valorisation des acquis de l’expérience) vers d’autres métiers de service à forte dimension relationnelle. Les SAP peuvent-ils accroître la productivité de notre économie, alors qu’ils restent associés à une image négative en termes de productivité (le coiffeur cher à Jean Fourastié) ? M. G. : Les SAP se situent dans une économie marchande sans marché. La part importante des dépenses sociales et des budgets d’action sociale des collectivités territoriales est un facteur à prendre en considération pour apprécier la dimension macroéconomique de ce secteur. De plus, la mise en œuvre du plan Borloo, et les mesures de soutien à la demande et à l’offre représentent un tel coût pour la nation en termes de dépenses publiques que certains ont pu parler d’une économie subventionnée. Nous sommes plus dans une économie de redistribution que dans la productivité d’une économie de marché, par absence de réel marché. Pour le moment. Pour autant, des segments d’activité dynamiques peuvent contribuer, dans une économie mixte, à l’offre de services à forte valeur ajoutée et au développement de secteurs compétitifs (services à la personne qui renforcent l’attractivité d’une entreprise). Enfin, pour mesurer la productivité des services à la personne, il importe de prendre en compte la création de lien (l’environnement et la qualité de vie) autant que la production de bien (la prestation de service). Ce que Christine Lagarde, ministre de l’Economie, a elle-même qualifié de « bonheur 2.0 ». Comment se structure une offre balkanisée en une multitude d’acteurs ? M. G. : C’est un des enjeux majeurs de la réussite du secteur des SAP. Et c’est le rôle des « enseignes ». En promouvant une stratégie de marque globale, A Domicile Services a défini sa stratégie à partir de filiales de proximité : à la fois vitrines de l’offre de services, boutiques de promotion de la marque et espaces d’accueil du client, nos Esperad structurent en réseau une marque présente dans la production, la distribution et la consommation des services à la personne. Il s’agit à la fois d’accueillir les organismes prestataires agréés et d’accompagner les créateurs d’entreprises et les porteurs de projets, par une politique de labellisation qui met en avant l’effet levier de la marque. Les SAP sont-ils un vrai secteur concurrentiel ? M. G. : Non. Il y a de la concurrence entre les opérateurs, mais dans la mesure où le marché n’est qu’émergent, il n’y a pas de secteur concurrentiel à proprement parler. De plus, nous sommes dans un secteur fortement encadré (agréments simple ou de qualité, par exemple). Plus il y aura d’opérateurs, plus le secteur se structurera. Il s’agit de passer de l’emploi direct de gré à gré (des salariés fictifs d’entreprises virtuelles) à un véritable marché d’entreprises de services à la personne fondé sur le mode prestataire. Le développement du secteur est encore trop étroit pour qu’une concurrence soit souhaitable, dans une économie qui demeure fortement subventionnée. Les associations ne font-elles pas pression pour maintenir des barrières à l’entrée d’acteurs privés ? M. G. : Cette vision des choses est dépassée. C’est l’un des mérites du plan Borloo et de l’ANSP d’avoir réuni les conditions favorables pour que les divers acteurs du secteur puissent y intervenir en fonction de leurs spécificités. Ce n’est pas le statut d’association ou d’entreprise commerciale qui fait la différence. Le monde associatif et les entreprises ont les mêmes intérêts objectifs à ce que ce secteur se professionnalise et s’organise. Les deux mondes sont solidaires et complémentaires. A Domicile Services, qui défend l’organisation en réseau d’entreprises sociales de services à la personne, a vocation à labelliser des associations, des entreprises, des coopératives, des structures mutualistes ou des organismes publics. C’est la complémentarité dans la proximité du territoire qui est recherchée, de façon à répondre au mieux à l’hétérogénéité des besoins. La marchandisation de l’offre de services réduit-elle la part de marché des associations ? M. G. : Bien au contraire, les SAP représentent une formidable opportunité pour les associations d’élargir leurs capacités d’intervention. C’est aussi une occasion pour elles de valoriser leur savoir-faire et leur expérience de la relation de service, en matière tant de connaissance des situations relationnelles que d’exercice des métiers. Elles doivent mettre plus en exergue leur capacité à s’adapter à des enjeux de développement local, car elles sont depuis longtemps impliquées dans les politiques de territoires, et elles ont démontré leur volonté à construire des partenariats pérennes. Les associations ont une part dominante dans les organismes prestataires relevant de l’agrément qualité (publics vulnérables), qui bénéficient d’un véritable capital de confiance et d’une capacité à fidéliser sur le long terme. Quel rôle les enseignes de distribution de services comme la vôtre peuvent-elles jouer pour tirer le marché vers le haut ? M. G. : A Domicile Services ne se définit pas réellement comme une enseigne, et encore moins comme une enseigne de distribution de services. Positionnée avant tout comme une marque, elle intervient dans l’ensemble de la chaîne de valeur, en matière de production, de distribution et de consommation de services, dans le cadre d’un réseau d’entreprises sociales. Elle intervient aussi dans la professionnalisation des organismes prestataires et dans la qualification des personnels d’intervention. Organisée autour de la relation client, la marque A Domicile Services affiche ses engagements auprès des personnes bénéficiaires des services et optimise les modes d’accès au service. Il s’agit bien de tirer vers le haut le secteur des SAP, en valorisant le professionnalisme et la qualité, tout en assumant des engagements en termes de respect du salarié, de ses choix et de ses modes de vie. Les enseignes doivent devenir, selon moi, des incubateurs de marques. Les normes Afnor et Adessa (premier label de qualité, créé en 2005) sont-elles suffisantes dans la démarche qualité ? M. G. : Il faut bien distinguer la norme Afnor des services à la personne à domicile et les chartes de qualité des réseaux, comme celui de la fédération Adessa. A Domicile Services a mis en place une procédure qui ne se limite pas à la normalisation de la qualité de la prestation, mais qui intègre la professionnalisation de la structure prestataire porteuse du service et la qualification des emplois et métiers. Il s’agit d’un référentiel propre à son réseau d’entreprises sociales de SAP, qui prend son sens dans les valeurs de l’économie sociale et dans la volonté de ses partenaires d’entreprendre autrement. (1). Réseau national d’entreprises sociales de services à la personne. Michel Gaté est directeur général d’A Domicile Fédération nationale, principale organisation associative de services d’aide aux familles et de soins à la personne (250 structures, 12 000 personnes) ; il est vice-président de l’Union de syndicats et groupements d’employeurs représentatifs dans l’économie sociale (Usgeres), vice-président du Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale (Ceges) et membre du Conseil supérieur de l’économie sociale.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard