Le quaternaire, un gisement d’emplois durables - Numéro 387
01/02/2008
Quelles sont les missions de l’Agence nationale des services à la personne (ANSP), créée par la loi du 26 juillet 2005 dans le cadre du plan Borloo ? Bruno Arbouet : L’objectif fut de passer d’une situation où dix-huit ministères étaient impliqués dans les SAP à un seul interlocuteur capable de piloter le secteur. Avec ses quarante-huit personnalités représentant, au conseil d’administration, les partenaires et les acteurs concernés, l’Agence est un peu le parlement du secteur. Elle a pour missions le développement et la structuration de l’offre, l’accompagnement de la professionnalisation, l’information et la promotion des services auprès du grand public, la tenue d’un observatoire. Le plan Borloo de 2005 visait à créer 500 000 postes en trois ans. L’objectif est-il atteint ? B. A. : Cent vingt mille emplois ont été créés la première année et environ 170 000 en 2007. Nous atteindrons donc les 500 000 fixés par le plan Borloo. On assiste à un doublement du taux de croissance. A combien évaluez-vous le gisement d’emplois dans le secteur des SAP ? B. A. : Le champ de développement est considérable, car l’ambition est de permettre à tous les Français d’y accéder. Potentiellement, si chaque ménage consommait deux heures de service par semaine, cela induirait la création de plus d’un million d’emplois. Les emplois de SAP sont pour la plupart féminins. Comment cette proportion évolue-t-elle ? B. A. : De deux façons. Le taux de féminisation diminue avec le développement de nouvelles activités, dans les domaines de l’assistance informatique ou du jardinage, activités plus masculines, sans compter l’entretien de la maison, qui attire maintenant les hommes. Deuxième facteur : on n’entre plus dans les services à la personne par défaut mais par choix, et plus jeune, pour – et c’est aussi nouveau – y faire carrière. Avec des assistantes maternelles dont l’âge moyen a beaucoup augmenté et de souvent très jeunes femmes pour aider le quatrième âge à domicile, le secteur ne présente-t-il pas une affectation des ressources humaines aberrantes, symptôme d’une valorisation professionnelle hors de portée ? B. A. : L’exemple de la femme de cinquante ans qui, après avoir élevé ses enfants, cherchait un revenu complémentaire dans les services et se satisfaisait d’un temps partiel est révolu. Aujourd’hui, on y entre à dix-huit ans avec une exigence de temps complet. Les carrières y sont possibles car le taux d’encadrement est très élevé, un cadre pour dix personnes, très supérieur à celui de l’industrie. Quels sont les types de services appelés à se développer ? B. A. : Sur fond de mutations démographique et sociologique, les services appelés à se développer sont d’abord les services dits classiques, comme la garde d’enfant ou les aides aux personnes âgées. De nouveaux besoins, comme l’entretien de la maison, apparaissent parmi les jeunes ménages biactifs, et des niches se constituent, comme l’informatique. Soulignons que ces nouveaux emplois ne peuvent être délocalisés et qu’ils sont créateurs de lien social. L’économie « quaternaire » n’est-elle pas surtout une économie de l’offre ? Comment susciter une demande solvable, alors que deux catégories de population ont accès aux services à la personne : les plus aisées et les plus fragiles, soit seulement 18 % des Français ? B. A. : L’économie du quaternaire se définit comme une économie où l’achat d’un service intègre un bien de consommation : plutôt que d’acheter un aspirateur, on achète du temps d’aspirateur. Notre ambition est que tous les Français, quels que soient leur niveau de revenu et leur lieu de résidence, puissent accéder simplement et à moindre coût aux services, ce qui suppose des arbitrages dans leur consommation et des changements culturels, chez ceux qui n’ont jamais sous-traité tout ou partie de leur activité domestique. L’évolution du revenu des ménages est-elle de nature à pouvoir soutenir le développement de SAP valorisés par plus de professionnalisation ? B. A. : Il y a dix ans, la question du pouvoir d’achat ne s’est pas posée pour les téléphones mobiles. Alors que les revenus n’augmentaient pas de manière singulière, les ménages ont arbitré pour trouver les trente euros par mois et payer le téléphone. Notre conviction est que lorsqu’on a goûté aux services à la personne on ne peut plus s’en passer. Un nouveau besoin apparaît : trouver le ou les services qui rendent la vie plus simple. La professionnalisation des services à la personne est un point de passage obligé, devant les réticences des consommateurs potentiels. Et le développement du Cesu est un vecteur d’accroissement du pouvoir d’achat. Le Cesu a-t-il réellement contribué à faire émerger l’économie souterraine et à simplifier les démarches administratives ? B. A. : Grâce au Cesu, le prix du service peut être diminué de trois ou quatre fois : à quatre ou cinq euros de l’heure en prix résiduel, le service devient accessible financièrement. Le coût du service déclaré devient inférieur à celui du travail au noir (dix euros de l’heure). Compte tenu de la fréquente précarité des emplois, le secteur, sans parler des avantages fiscaux, pourrait-il tenir debout sans l’assurance chômage ? B. A. : Avec seulement 18 % de Français consommateurs, les SAP ne pouvaient générer que du temps partiel. Le développement de la demande crée non seulement de nouveaux emplois, mais aussi du complément d’emploi pour ceux qui sont au temps partiel. Comment favoriser le développement de l’offre de services ? B. A. : Nous sommes passés de 5 000 structures agréées en 2005 à 12 500 aujourd’hui, et l’offre, en forte croissance, concerne aussi bien les formes associatives, les coopératives, les mutuelles que les entreprises privées. L’éventail de l’offre est très divers. La logique d’industrialisation des services, de la loi du développement des services aux particuliers (1996) jusqu’à la loi Borloo (2005) s’illustre par l’arrivée de l’entreprise marchande, comme Sodexo ou Accor, dans un marché jusqu’alors un quasi-monopole de l’économie sociale. Le basculement d’une logique d’assistance à une logique de prestation est-il opportun ? B. A. : La solidarité nationale est toujours primordiale pour un public fragile comme les personnes âgées, les handicapés. Aujourd’hui, le marché s’ouvre et les entreprises interviennent massivement sur l’agrément simple (accordé par le préfet). Les deux logiques ne sont pas contradictoires et cela crée de l’émulation. Ce n’est pas tant le prix du service qui sera discriminant que sa qualité. La marchandisation de l’offre de services va-t-elle réduire la part de marché des associations ? B. A. : Le marché connaît une croissance telle que la part pour chacun ne peut que s’accroître. Cette question se posera peut-être dans une dizaine d’années. Peut-on s’inspirer de modèles étrangers ? B. A. : Une grande enquête internationale vient d’être diligentée, d’où il ressort que l’expérience française est assez unique, qu’elle a des résultats significatifs. Les modèles étrangers sont peu importables en France, car notre dispositif d’agrément est très réglementé. Qu’est-ce que le rapport Attali propose pour dynamiser les services à la personne ? B. A. : Le rapport Attali identifie les services à la personne comme un secteur porteur et se félicite de la dynamique réelle créée par le plan Borloo. Il insiste, avec raison, sur l’importance à accorder à la professionnalisation pour pérenniser ces emplois. Pour en savoir plus – L’Espoir économique, vers la révolution du quaternaire, Bourin Editeur, 2007; – Le Développement des services à la personne, rapport d’Yves Vérollet, Conseil économique et social, 2007; – Enquête auprès des organismes agréés du secteur des services à la personne, Crédoc, avril 2007; – Les Métiers en 2015, Centre d’analyse stratégique, Dares, janvier 2007 (www.strategie.gouv.fr); – Productivité et Emploi dans le tertiaire, rapport de Michèle Debonneuil et Pierre Cahuc, Conseil d’analyse économique, 2004.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard