Des effets pervers d'un pessimisme généralisé - Numéro 388
01/03/2008
Oui, les jeunes peuvent légitimement se sentir floués dans un monde où les deux mamelles de l’affirmation identitaire et de la construction de soi, que sont le logement et le travail, présentent un parcours d’obstacles pour beaucoup d’entre eux. Il est vrai que dépourvus de logement les jeunes ne peuvent quitter leurs parents, et ce ne sont pas les stages ou les petits boulots qui rassureront des propriétaires parfois échaudés mais génériquement méfiants. Une façon d’expliquer le pessimisme des jeunes est de considérer le contexte de peurs individuelles et collectives dans lequel baigne la France depuis plus de quinze ans, qui produit un climat dépressif fortement relayé par les médias, et contribue, chez certains jeunes, au pessimisme et ou la dépréciation de soi. Délitement social Les peurs affectent le rapport de soi à soi et de soi aux autres, avec en arrière-plan la détérioration des socles collectifs positifs qui permettaient « d’y croire ». De plus, la perte de lisibilité de l’avenir, anxiogène en soi quand la foi dans le progrès s’amoindrit, se double de la perte d’un sens qui pouvait être partagé par tous. L’individu se trouve être le seul étalon de son origine, de sa fin et de son destin. Lourde charge, si l’on n’est pas préparé à surmonter l’angoisse, et si les cadres structurants perdent en légitimité, en bienveillance et en protection constructive, empêchant de grandir, de créer, de bouger, contrairement à ce qu’offrent les modèles – certes idéalisés – des Danois ou des Américains. Il faut aussi évoquer le sentiment d’impuissance et de solitude des adultes face aux événements, à leurs responsabilités, à leur choix, qui rend en retour plus lourde et difficile la tâche d’individuation des jeunes et l’assomption de leur place dans le monde. Norme et liberté Une autre explication de ce contexte délétère est la difficulté de poser la mesure entre normes et libertés, instances fondatrices de l’humain, aujourd‘hui en excès et dérèglement. Le « trop » de liberté peut entraîner des fantasmes de barbarie, d’explosion, de rupture des limites (projection sur les « jeunes de banlieue »), et l’hyper-normativité peut dégénérer en dépression, immobilisme, peur du changement, de l’avenir, en perte de créativité, et plus grave en perte du désir. Et c’est là que se joue une fracture hautement signifiante qui rend indispensable la responsabilisation des adultes vis-à-vis des jeunes et d’eux-mêmes. Car si certains jeunes peuvent rebondir en recréant leur système de valeurs, entre normes et changement, ruptures positives, création de leur propre emploi et lieu de vie, d’autres par contre, distanciés et délaissés du système et d’eux-mêmes, risquent le danger des excès que nous dénoncions plus haut et pire encore, le suicide. Il est fondamental aujourd’hui de prendre en main la « question des jeunes » dans le sens d’un questionnement identitaire et de sens, mais aussi de « place » qu’ils ne peuvent occuper tant que les adultes, ignorant leurs besoins et craignant la force créatrice de leur désir, s’agrippent à leurs peurs et à leur déprime. Un lien intergénérationnel véritable est à construire pour changer le regard des uns sur les autres, et ouvrir à celui du futur qui ne peut se dessiner sans les uns et les autres.