Bulletins de l'Ilec

La formation, meilleure protection contre la précarité - Numéro 388

01/03/2008

Entretien avec Michaël Zemmour, chargé des questions sociales, Unef

Quel regard porte un représentant des étudiants d’aujourd’hui sur une enquête comme Les Jeunesses face à leur avenir qui dépeint sa génération ? Michaël Zemmour : Cette enquête confirme le constat que nous faisons quotidiennement dans la jeunesse et nous conforte dans notre volonté de transformer cet état de fait : l’accès à l’autonomie est refusé (pour étudier, les jeunes sont contraints d’arbitrer entre dépendance familiale et précarité des petits boulots), la sélection sociale, les formations non reconnues sur le marché du travail. L’enquête souligne les disparités nationales et distingue trois pôles : les pays asiatiques, les européens hors Scandinavie, les pays scandinaves et les Etats-Unis. Dans la vieille Europe, le pessimisme serait de rigueur. La jeunesse européenne, voire mondiale, un mythe ? M. Z. : L’accès à une formation qualifiante, au savoir et à une insertion professionnelle digne est un besoin commun aux jeunesses de tous les pays. L’accès au savoir de la jeunesse est par ailleurs un enjeu de progrès social, technique, économique et démocratique pour l’ensemble des pays du monde. Les disparités soulignées par l’enquête sont révélatrices des différences d’investissement de ces pays pour leur jeunesse. Si la France est en retard par rapport aux Etats-Unis et aux pays scandinaves, c’est notamment que les efforts politiques et financiers consacrés à l’autonomie – intellectuelle, économique – des jeunes sont proportionnellement beaucoup moins importants que dans ces pays, comme en attestent régulièrement les rapports de l’OCDE. Le manque de confiance des jeunes Français est-il surtout une crainte de l’avenir ou un ennui du présent ? Pour quelles raisons les jeunes Français auraient-ils plus de difficulté que les autres à se projeter dans l’avenir ? M. Z. : Le pessimisme ou l’optimisme d’une génération n’est pas inscrit dans ses gènes à la naissance ! La société dans laquelle nous vivons ne s’est pas suffisamment adaptée aux évolutions de la jeunesse : alors que le point commun des jeunes en France est le besoin de formation et l’aspiration à l’autonomie, l’Etat va par exemple favoriser l’institution familiale, par le biais des aides sociales plutôt que l’autonomie des jeunes. Le chômage est important parmi les jeunes de 18 à 24 ans (près de 25 % des actifs). Ils sont souvent mis en concurrence avec leurs aînés sur le marché du travail et subissent le déclassement, en l’absence de reconnaissance des qualifications qu’ils acquièrent dans le système éducatif. L’absence de politique de l’emploi volontariste et la tendance à la précarisation des conditions de travail ternissent les perspectives d’insertion des jeunes. Il s’agit donc bien de craintes sur l’avenir. Ce pessimisme vous paraît-il du même ordre parmi les étudiants, et associé à des considérations matérielles immédiates ? M. Z. : La jeunesse, en formation ou non, a des préoccupations communes. L’accès à un diplôme et à une formation est la première garantie d’une insertion de qualité et c’est la meilleure protection contre la précarité. Ainsi, tous les jeunes doivent pouvoir étudier et réussir. Mais l’ascenseur social scolaire et universitaire est en panne : les difficultés financières sont la première cause d’interruption d’étude (un étudiant sur quatre) et la reproduction sociale joue à plein. Les étudiants sont menacés de moins bien vivre que les générations précédentes. Même à l’échelle de quelques années la dégradation des conditions de vie est sensible : selon notre enquête annuelle sur le pouvoir d’achat les étudiants de 2008 vivent dans une situation plus précaire que ceux de 2001. N’y a-t-il pas contradiction chez les jeunes entre une demande forte d’autonomie par rapport à leur famille et la conscience que leur identité est largement construite dans et par la famille, support essentiel pour eux ? M. Z. : La solidarité familiale est un fait dans notre société. L’aspiration des jeunes à l’autonomie doit être prise en compte pour dépasser les solidarités privées et permettre à chaque jeune de faire ses propres choix de vie et d’études. C’est un enjeu de société car l’accès à l’autonomie de tous les jeunes est le seul levier contre la reproduction sociale et pour l’émancipation des individus. C’est aux solidarités collectives de jouer le rôle de correctif pour contrarier les déterminismes sociaux, aujourd’hui très importants dans la jeunesse. Le modèle français d’entrée dans la vie adulte est-il particulièrement anxiogène ? A quel âge la question de l’autonomie financière des étudiants, de la diminution de la dépendance familiale (syndrome Tanguy), devient-elle essentielle ? M. Z. : L’âge varie d’un jeune à l’autre mais notre génération a cela de commun que tous les jeunes étudiants ou salariés y sont confrontés, à un moment ou à un autre. Cette étape peut être franchie entre 18 et 25 ans selon les cas, mais le plus souvent, les jeunes vivent une période, de plus en plus longue, de dépendance subie, lorsqu’ils souhaitent l’autonomie mais qu’elle n’est pas possible. Cela peut prendre des formes différentes : pour les étudiants c’est souvent le choix impossible entre dépendance totale vis-à-vis de la famille et précarité des petits boulots qui mettent en danger les études. Pour les jeunes salariés c’est par exemple l’obligation de faire appel à leurs parents pour accéder à un logement autonome, parce que les revenus sont trop faibles. Pour les parents la responsabilité financière vis-à-vis de leurs enfant jusqu’à un âge avancé est souvent difficilement acceptable : le jeune devient un adulte supplémentaire à la charge du foyer. Quelles mesures attendez-vous pour que le marché de l’emploi soit plus ouvert à des jeunes qui se disent massivement désireux de travailler et veulent donner du sens à leur travail ? M. Z. : Le marché du travail profite pleinement de la formation des jeunes, mais ne la reconnaît que très rarement (salaires très faibles, déclassement, emplois de plus en plus précaires). Il faut donc obliger les entreprises dont la valeur ajoutée est aujourd’hui principalement fondée sur la matière grise, de reconnaître les qualifications des jeunes en termes de rémunération et de protection sociale. Il convient également de mettre en œuvre une politique de l’emploi volontariste, car la pression qu’exerce le chômage sur les salariés et les jeunes donne trop souvent l’opportunité aux entreprises de précariser les conditions d’insertion des jeunes, en les confrontant à la concurrence des autres salariés. Il est enfin urgent d’accompagner la massification de l’enseignement d’une politique de démocratisation, afin que tous les jeunes aient accès à une qualification qui leur garantisse une insertion de qualité. Au nombre des suggestions préconisées par l’enquête, une meilleure participation des jeunes à la vie publique. Observez-vous un désengagement des jeunes ? M. Z. : Les mobilisations des lycéens et des étudiants ces dernières années, le mouvement contre le CPE, ou la mobilisation contre l’extrême-droite au lendemain du 21 avril 2002 montrent que les jeunes s’intéressent à la vie publique. Le militantisme associatif persiste, même si de nombreuses subventions ont été supprimées, et la vague d’inscriptions sur les listes électorales témoigne que les jeunes ont les moyens et la volonté d’être acteur de la société. En ce sens il n’y pas vraiment de désengagement. Mais il est vrai qu’il y a un réel décalage entre cette aspiration et la place faite aux jeunes dans le débat public Il n’est pas anodin que les jeunes soit la seule tranche d’âge à avoir voté majoritairement contre Nicolas Sarkozy au deuxième tour de l’élection présidentielle. Les jeunes n’ont pas besoin d’être représentés en tant que catégorie, mais aujourd’hui c’est bien en tant que jeunes qu’ils sont marginalisés. Les instances de décision et de représentation tournent le dos à la jeunesse et la méprisent : le plus jeune député a été élu à 29 ans et la moyenne d’âge de ses collègue est de plus de 53 ans. Plus grave, les gouvernements enchaînent les réformes qui préparent la société de demain, au nom des jeunes et sans eux : Dominique de Villepin a fait le CPE pour les jeunes, mais ne leur a pas demandé leur avis, et quand il l’ont donné, ils ont été traités par le mépris. « La jeunesse est une maladie dont on guérit » avait dit alors Laurence Parisot. A cette époque, on voyait fleurir sur les pancartes des manifestants cette autre citation : « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort ».

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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