Pour un Grenelle de l’environnement commercial - Numéro 389
01/04/2008
L’étude Asterop souligne l’absence de concurrence dans un grand nombre de zones de chalandise. Et l’UFC Que choisir affirme que seules 26,9 % des zones sont « potentiellement » concurrentielles. Partagez-vous ces constats ? Patrick de Saint Martin : Les études réalisées par Asterop et l’UFC ont le mérite de dresser un état des lieux du niveau de concurrence dans la distribution alimentaire en France. L’étude Asterop a l’avantage de prendre en compte les groupes de distribution, c’est-à-dire l’addition de la quasi-totalité de leurs parcs de magasins. L’enquête de l’UFC se limite au format hypermarché. Leurs conclusions n’ont rien de surprenant pour au moins deux raisons. D’une part, les autorités de la concurrence n’interviennent que lors des opérations de rachat de magasins ou de sociétés de distribution. D’autre part, les créations et les agrandissements de magasins sont soumis à des instances dont les décisions sont prises sur la base de critères qui valorisent insuffisamment ceux liés à la concurrence. A quoi cela tient-il ? Les lois Royer puis Sapin et Raffarin ont-t-elles été utiles ? Ont-elles renforcé les rentes de situation ? P. S. M. : La France se caractérise par l’intervention permanente des pouvoirs publics, ces lois en sont la traduction. Elles ont prétendu défendre le petit commerce et combattre le maxidiscompte. Chaque fois, elles se retournent contre leurs auteurs. En réalité, elles ont conforté les situations acquises et créé des rentes de situation, locales ou nationales selon le cas. Les parts de marché pour les zones de vie de Lyon et de Nantes, évoquées par Asterop, illustrent bien ces effets pervers. Peut-on être numéro un et vertueux en prix ? Selon l’UFC, avec le même chariot chez Leclerc, un ménage du département de la Gironde économise392 euros par an s’il fait ses courses à Port-Sainte-Foy-et-Ponchapt plutôt qu’à Talence… Le manque de concurrence a-t-il un tel effet inflationniste ? P. S. M. : Ikea est un bon exemple de conciliation d’un leadership et de la maîtrise des prix. Reste que l’assemblage final du produit est à la charge du consommateur, ce qui renforce l’avantage concurrentiel de l’enseigne. On peut toujours réaliser des économies en fréquentant un magasin puis l’autre. Le montant de l’économie est beaucoup moins important lorsqu’on prend en compte les coûts de ce comportement volage : déplacement, temps passé… Il faut également incorporer les services rendus par chaque enseigne, qui doivent entrer dans toute comparaison de prix. Se limiter au facteur prix est trop réducteur. En revanche, il est vrai que le manque de concurrence a un effet inflationniste, plus ou moins important. Ce constat n’est pas propre à la distribution alimentaire. Il peut être fait dans la téléphonie mobile ou le TGV. Quelles réformes préconiser ? Obliger les enseignes à échanger des magasins, comme le propose l’UFC, ou permettre plus de créations de magasins, comme le suggère Asterop ? P. S. M. : Les pistes sont nombreuses. Dans tous les cas, il faut disposer d’une autorité de la concurrence intervenant selon des modalités connues à l’avance et donc parfaitement transparentes. Attention aux effets pervers de la multiplication des mètres carrés : elle peut détériorer sérieusement les comptes d’exploitation des magasins, et ne pas s’intégrer dans le « Grenelle de l’environnement commercial ». Par ailleurs, la guerre des prix est conceptuellement pertinente, mais l’exemple des Pays-Bas montre ses limites. Un distributeur en a été la victime pendant qu’un autre renforçait sa position dominante. Quel intérêt pour les consommateurs ? En quoi est-il pertinent d’élever le seuil nécessitant autorisation (de 300 m2 à 1 000 m2 dans le projet LME) ? P. S. M. : L’abaissement et le relèvement font partie des mesures interventionnistes aux conséquences rarement anticipées. Il est plus que probable que le relèvement du seuil va d’abord profiter aux maxidiscomptes. L’amélioration du pouvoir d’achat est devenue une priorité nationale. Comme le poste alimentation représente environ 15 % du budget des ménages, on va régler au maximum un sixième du problème posé, dans la mesure où les Français se précipiteront dans les maxidiscomptes. C’est le moment de rappeler qu’environ 25 % des Français n’y ont pas accès. Qu’attendez-vous des commissions départementales d’aménagement commercial (Cdac) appelées à remplacer les Cdec ? P. S. M. : Dans la mesure où les Cdac ne comporteront plus de représentants des chambres de commerce et de métiers, on évitera que certains décisionnaires soient juges et parties. Il est indispensable d’établir des critères de choix transparents. L’urbanisme commercial doit-il être réintégré dans l’urbanisme de droit commun ? P. S. M. : Oui. On ne comprend pas que les préoccupations d’aménagement du territoire et d’intégration dans le paysage ne s’imposent pas à tous les acteurs économiques. La réforme de l’urbanisme commercial peut-elle et doit-elle ouvrir la porte aux enseignes étrangères ? P. S. M. : Les enseignes étrangères sont depuis longtemps implantées en France. Il suffit de citer Metro pour le cash & carry, qui échappe au processus d’autorisation actuel, Aldi, Lidl, Norma dans le maxidiscompte, H&M, Zara, C&A, Gap dans l’habillement, Toys R’Us dans le jouet... Le plus souvent, la réussite est au rendez-vous. Les échecs sont rares : on peut citer Marks & Spencer, mais son retour est envisagé. Les enseignes étrangères s’adaptent aussi bien que les enseignes locales à la complexité de la législation française. Qu’attendre de la future « Haute Autorité de la concurrence » ? Comment éviter le retour à une économie administrée ? P. S. M. : La France a la fâcheuse habitude de créer une institution dès qu’un problème se pose. Il existe déjà le Conseil de la concurrence. Il suffit d’élargir son domaine de compétence, et d’augmenter ses moyens d’intervention et d’investigation, qui sont insuffisants. Une véritable concurrence est une condition indispensable pour protéger les consommateurs et maintenir leur pouvoir d’achat. Comment définiriez-vous un commerce « compétent » ? P. S. M. : Le commerce compétent est celui qui obtient une hausse de la fréquentation, du panier moyen et de la fidélisation. Le magasin est un lieu où les consommateurs votent avec leurs pieds. Actuellement, dans l’univers alimentaire, les magasins U et Lidl sont ceux qui augmentent le plus leurs parts de marché. Leurs concepts sont pourtant très opposés. Il n’y a pas « un » mais « des » commerces compétents. Propos recueillis par Jean Watin-Augouard Les leviers d’une réforme Les mesures envisagées par le projet de loi LME affecteront directement ou par effet induit les situations de concurrence dans les zones de chalandise. Impact direct La procédure d’autorisation en matière d’urbanisme commercial (futur article 28) va être renouvelée par : – le relèvement des seuils de déclenchement de 300 à 1 000 mètres carrés (à l’exclusion de l’hôtellerie, de la distribution de carburant et des concessions automobiles) et la subordination de la saisine des tribunaux à la saisine préalable de la Commission nationale d’équipement commercial (Cnec). – d’autres critères pour fonder les autorisations : effets des projets en matière d’aménagement du territoire (compatibilité avec les documents d’urbanisme) et de développement durable (transports, utilisation de l’énergie, traitement des déchets et effluents…). – le remplacement des Cdec par les Cdac (commissions départementales d’aménagement commercial et non plus d’équipement), qui accueilleront une majorité d’élus, supposés plus conscients des problèmes d’aménagement du territoire, et où les décisions seront prises à la majorité absolue. Les règles de contribution à la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat (Taca) vont changer (futurs articles 26 et 27). Le seuil de la tranche basse est doublé, et son taux réduit de 10 % . Le montant de la tranche supérieure à 3000 € /m2 et 2 500 m2 de surface est augmenté de 25 % . L’assiette de la taxe est élargie aux surfaces de moins de 400 m2. Les actions du fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (Fisac) sont réorganisées. Les priorités iront aux opérations en milieu rural, dans les halles et les marchés, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (le « programme national de développement et de modernisation des activités commerciales et artisanales » visé à l’article 1er de la loi Royer est supprimé). Le rapport Hagelsteen préconisait de donner au Conseil de la concurrence un pouvoir d’injonction visant à contraindre les grands groupes à vendre certains de leurs locaux commerciaux en cas d’abus de position dominante. L’idée, défendue par l’UFC Que choisir, ne figure pas dans le projet de loi tel qu’examiné en avril par le Conseil d’Etat. Impact indirect Le texte va modifier la législation sur les soldes (futur article 25). Tout commerçant aura droit à une semaine de soldes supplémentaire deux fois par an sous condition de déclaration préalable. La notion de promotion de déstockage est précisée pour éviter les requalifications en soldes. Les mesures affectant l’équipement cinématographique (futur article 29) pourraient avoir un impact sur la fréquentation des magasins, selon le profil des clients dans une zone de chalandise. Au-delà de trois cents places, les ouvertures de salles devront passer par la procédure d’autorisation (les critères étant l’impact sur l’environnement et la diversité cinématographique). Octave Lemiale
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard