Bon sens, éthique et loyauté - Numéro 393
01/09/2008
En quoi la LME s’inscrit-elle dans la démarche tracée par la loi Chatel du 3 janvier 2008 ? S’en est-elle éloignée en quelque chose ? Jean-Paul Charié : Dans le prolongement de la loi Chatel, la LME a fondamentalement pour objectif de supprimer les pratiques abusives de fausse coopération commerciale, de marges arrière injustifiées, de hausses anormales de prix pour rémunérer des exigences anormales... Elle renforce les capacités de contrôle et de sanction, et surtout, elle change les bases juridiques, dans la mesure où elle libère la négociabilité mais réaffirme la loyauté. Vous en appelez à une libre mais loyale négociation des conditions générales de vente. Y-a-t-il des limites à la libre négociation du prix ? J.-P. C. : Oui, et c’est fondamental. La liberté doit s’arrêter à l’équilibre entre les différentes obligations réciproques. Nous ne demandons plus une justification ligne à ligne des éventuelles contreparties liées à d’éventuelles baisses de prix, nous demandons un vrai retour au bon sens économique. Toute baisse de prix ou tout résultat sur un prix doit répondre à des obligations globales. Les notions d’avant et d’arrière ont-elles encore un sens, d’un point de vue juridique, commercial ou comptable ? La lutte contre les prestations fictives ne risque-t-elle pas de sonner le glas de la vraie coopération commerciale (la loi favorisant la remontée des prestations de service sur facture, et la Cour de cassation ayant consacré la capacité du ministre de l’Economie à remettre en question des accords signés entre les parties) ? J.-P. C. : Non, au contraire, nous voulons justement revenir à la seule vraie coopération commerciale, celle qui est dans l’intérêt des deux acteurs. Il est normal que dans un univers évolutif, il y ait des différences de contrats, de prestations, d’accords, toujours dans l’intérêt des acteurs. Il y aura certainement des rapports de force, mais comme cela se passe dans les autres secteurs économiques, il faut que chacun y retrouve son compte et que le bon sens économique l’emporte. Ce n’est pas parce qu’une très grande partie de la coopération commerciale sera rémunérée par une baisse du prix sur la facture du fournisseur que cela supprime la vraie coopération commerciale. L’ensemble des éléments de l’accord devra être mentionné sur le contrat cadre. La « convention » ou le « contrat-cadre » mentionnés à l’article L. 441-7 du Code de commerce sont-ils censés faire référence aux CPV ? Les inclure ? J.-P. C. : Oui, dans la mesure où – mais on n’en parle quasiment plus – on peut imaginer autant de CPV qu’il y a de types de clients, à partir du moment où le bon sens économique, la loyauté, les obligations réciproques sont respectés. Ce que veut le Parlement, c’est liberté mais loyauté. Le formalisme des contrats de prestation de services demeure tel qu’édifié par la loi du 2 août 2005, avec à la clé des sanctions civiles alourdies. Ce type de contrats n’est-il pas voué à être délaissé par les distributeurs ? Pourquoi le législateur a-t-il conservé ce dispositif ? Faut-il y voir une volonté politique ou une ambiguïté résiduelle ? J.-P. C. : La LME, en ouvrant la négociation à l’avant, devrait permettre le dégonflement de la fausse coopération commerciale à l’arrière. Pour autant, le formalisme des contrats de coopération commerciale demeure une garantie pour les fournisseurs. Voyons si la loi tient ses promesses et si la fausse coopération commerciale disparaît. Nous pourrons alors envisager d’alléger le formalisme de ces contrats. En tout état de cause, je crois à l’intérêt de la vraie coopération commerciale tant pour les fournisseurs, notamment les plus petits d’entre eux qui n’ont pas d’autre moyen de se faire connaître, que pour les distributeurs, qui peuvent ainsi animer leur point de vente. Pourquoi avoir gommé le terme de « coopération commerciale » ? La notion de service « en vue de la revente aux professionnels » (2° de l’article L 441-7) n’est-elle pas source de confusion ? Qu’est ce qui permet de distinguer ce service des « autres obligations » (visées au 3° du même article), quel est le critère ? J.-P. C. : La coopération commerciale n’a jamais été comme telle mentionnée dans la loi (1). Elle était définie comme un service rendu par le distributeur au fournisseur à l’occasion de la revente du produit au consommateur, destiné à favoriser la revente et détachable de l’opération d’achat-vente. La loi a modifié cette disposition afin de prendre en compte les services rendus par les grossistes à leurs fournisseurs, qui peuvent désormais être qualifiés et facturés comme de la coopération commerciale. Quant aux obligations visées au 3°, elles visent en réalité les anciens services distincts, qui se distinguent de la coopération commerciale parce qu’ils sont facturés sous forme de réduction de prix sur la facture du fournisseur et ne sont pas détachables de l’opération d’achat-vente. Quels pourront être les critères du juge pour apprécier les « déséquilibres » ou les « conditions manifestement abusives » dont l’interdiction borne la discussion du prix de cession ? L’exemple du recours à la notion de « déséquilibre significatif » en droit de la consommation et l’absence de clarté des critères ne portent-ils pas à s’interroger sur l’efficacité de cette notion (introduite à l’article L. 442-6) ? J.-P. C. : Les députés et les sénateurs comme le gouvernement ont accepté de me suivre quand je dis qu’il faut une sécurité économique, le retour au bon sens économique, plutôt qu’une sécurité juridique que nous n’obtiendrons jamais de manière satisfaisante. Il est vrai que cela sera parfois difficile, pour un juge, de deviner la bonne place du curseur. Mais nous ne sommes plus à sanctionner des petits écarts, ce que l’on veut, c’est revenir de façon significative à de vrais rapports de partenariat. Fournisseurs et distributeurs ne s’exposent-ils pas à un risque fiscal, si une prestation de service ne fait pas l’objet d’une facturation spécifique comme le requiert la directive européenne 2006/112/CE du 28 novembre 2006 « relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée » ? La mention sur facture d’une réduction de prix en contrepartie d’un service, tel que défini par l’article L. 441-7 3°, n’est-elle pas contraire à l’article L. 441-3, dont le non-respect entraîne des sanctions pénales ? J.-P. C. : En principe, non, car nous sommes passés des services distincts aux autres obligations. La vraie notion, sur le plan fiscal, c’est ce qui est lié ou pas à l’acte d’achat-vente. Il revient à la CEPC de dire le type de TVA et qui facture, client ou fournisseur. Il devrait y avoir de moins en moins de services de prestation de coopération commerciale facturés par le client. La vraie notion, sur le plan fiscal, c’est ce qui est lié ou pas à l’acte d’achat-vente : détachable égale facturation séparée ; non détachable égale réduction de prix. En réalité, la loi a clarifié le statut des services distincts, que l’on appelle aujourd’hui les « autres obligations ». En permettant que ces services soient rémunérés sous forme de réduction de prix sur facture du fournisseur, elle a tiré les conséquences juridiques du fait qu’en pratique ces services distincts n’étaient dans la plupart des cas pas détachables de l’acte d’achat-vente. Les seuls services distincts détachables de l’acte d’achat-vente étaient les services offerts par les grossistes à leurs fournisseurs : en modifiant la définition de la coopération commerciale, qui intègre désormais les services rendus en vue de la revente des produits aux professionnels, on ne laisse subsister dans les « autres obligations » que des services non détachables. Donc pas de risque fiscal. Comment interpréter les termes « concourent à la détermination du prix convenu ? » Cela implique-t-il que la facture indique une seule ligne : le prix du tarif résultant des CGV minoré de la rémunération des obligations ? Ou bien le montant de cette réduction de prix doit-il être indiqué à part ? J.-P. C. : Chaque acteur a le droit de faire ce qu’il veut au niveau de la rédaction de sa facture, du moment que, d’une part sur le contrat d’affaire et d’autre part sur la facture, on voit un prix net facturé que l’on compare au prix des CGV. Ne pas assortir le respect du délai de paiement de droit commun, instauré par la loi, d’une sanction pénale, contrairement aux autres dispositions (pénalités, respect du délai dans le domaine du transport), n’est-il pas contradictoire avec la volonté affichée ? J.-P. C. : C’est au pénal, trente jours fin de mois et 15 000 euros d’amende. Le rôle de la CEPC va-t-il s’infléchir ? Pourra-t-elle lever certaines ambiguïtés dans l’application de la loi ? J.-P. C. : Son rôle va s’infléchir et je prends la présidence de la CEPC pour deux raisons. Premièrement, sur le plan politique, pour contrôler, impulser l’esprit de cette loi ; deuxièmement, pour donner de la façon la plus réactive possible des avis sur la légalité des pratiques commerciales. Vous êtes en mission sur l’intégration de l’urbanisme commercial dans le Code de l’urbanisme. Qu’est-ce que la LME a déjà changé d’essentiel dans ce domaine ? J.-P. C. : La LME permet sous certaines conditions de libérer les ouvertures de point de vente de moins de 1 000 m2. Mais le plus important n’est pas ce qui se trouve aujourd’hui dans la LME, c’est l’engagement qui a été pris à la demande de la majorité UMP par le gouvernement de déposer très vite une loi d’intégration de l’urbanisme commercial dans le Code de l’urbanisme. Dans très peu de mois, nous allons donner plus de pouvoir aux élus pour orienter l’architecture, la qualité de l’environnement des points de vente. Nous supprimons toute autorisation économique préalable, car les ouvertures d’activités doivent être soumises à l’économie de marché libre mais loyale. Enfin, nous allons proposer un certain nombre de mesures pour recréer une vraie dynamique des cœurs de ville et du commerce en France. Ce ne sera pas une loi qui donne « droit à » mais impulsera un « mouvement vers ». Le risque de corruption vous paraît-il moindre avec le nouveau dispositif ? J.-P. C. : Ce qui est nouveau, c’est la vrai volonté politique de remettre un certain nombre de pendules à l’heure, les consommateurs sont eux-mêmes demandeurs, pour mettre fin à une certaine forme d’insolence et de tromperie, et un certain nombre d’acteurs des grandes surfaces et des centrales d’achat m’ont clairement dit qu’ils seraient les premiers à mettre en œuvre des règles d’éthique des échanges et à nous aider à dénoncer la corruption. La LME renforce également les sanctions, 75 000 euros au lieu de 15 000, en cas de défaut de transmission au préfet et à la chambre régionale des comptes des contrats passés par des personnes publiques ou privées, à l’occasion de la réalisation d’un équipement commercial. Quels circuits de distribution et quels types de marques le nouveau dispositif devrait-il favoriser ? La diversité de l’offre pourrait-elle en pâtir ? Y a-t-il une volonté gouvernementale de privilégier les MDD et le maxidiscompte, comme a semblé le manifester, le 28 août, le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer à la Réunion ? (2) J.-P. C. : Il ne revient pas au gouvernement, surtout quand il a conscience de l’importance de l’économie de marché, de privilégier des niveaux de prix, des formats de distribution, des types de produits. Notre devoir, dans l’intérêt des consommateurs, des acteurs, de la nation, est de faire respecter le maximum de règles d’éthique et de loyauté. (1). Elle l’est dans la « circulaire du 8 décembre 2005 relative aux relations commerciales », qui précise les conditions d’application de la loi Dutreil du 2 août 2005 [NDLR]. (2). Yves Jégo a signé le 28 août avec la FCD, une charte visant à «participer activement à l’amélioration du pouvoir d’achat» des Réunionnais. La distribution s’y engage à « répercuter toutes les baisses de coûts des taxes et des frais d’approche dont l’Etat prendrait l’initiative » ainsi qu’à «développer au maximum les produits MDD et premiers prix».
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard