Option volumes - Numéro 394
01/10/2008
Simon Parienté a conduit une étude consacrée aux « performances financières comparées des industriels et distributeurs français de PGC » (2004-2006), suite d’une première vague portant sur la période 1999-2003. Corrobore-t-elle vos propres analyses ? Philippe Suchet : L’approche est bonne quand il s’agit de comparer le retour sur capitaux employés, car c’est le seul indicateur économique qui me semble fiable, dans ce type de comparaison. Comparer les marges n’a aucun sens. Nous sommes en présence de deux activités bien différentes. Les uns et les autres n’exercent pas le même métier. Pour gagner un euro de retour sur investissement, quelles sont les immobilisations les plus coûteuses, celles des distributeurs ou de leurs fournisseurs ? P. S. : L’intensité capitalistique diffère sensiblement. Elle est plus forte chez les industriels que chez les distributeurs : d’un côté des usines, et de l’autre des boîtes. Difficile, de nouveau, de comparer ce qui n’est pas comparable. Dans quelle mesure le crédit fournisseurs est-il un facteur explicatif de la rentabilité des différents acteurs du secteur de la grande consommation ? P. S. : Dans le passé, des années 1960 aux années 1990, et si l’on s’en tient à la distribution alimentaire, le décalage de trésorerie lui a été très utile. Le fonds de roulement positif lui a permis de financer son développement presque sans endettement. Aujourd’hui, cet avantage a quasiment disparu, mais il est compensé par les conditions d’achat. Ainsi, la réduction des délais de paiement ne va pas changer la rentabilité économique. L’incidence porte sur le compte de résultat, avec d’un côté une petite détérioration du résultat financier, et de l’autre, une progression de la marge brute. Chez quel type de distributeur la trésorerie pourrait se ressentir de la réduction des délais de paiement à soixante jours ? P. S. : Ceux qui ont des besoins en fonds de roulements réels, comme la distribution spécialisée qui a des rotations lentes : meuble, bricolage, produits blancs. Quels autres effets la loi du 4 août 2008 pourrait-elle avoir sur la rentabilité des enseignes et sur le partage de la valeur entre distributeurs et industriels ? P. S. : Le gouvernement a fait les reformes nécessaires pour obtenir une baisse des prix de vente aux consommateurs. Elle a été récemment masquée par la hausse des prix des matières premières, répercutée sur les prix des produits alimentaires. Sans cet événement international totalement exogène, le ralentissement des prix en France aurait été manifeste. Autre effet positif : l’augmentation du nombre de surfaces commerciales dans les petits formats, et peut-être dans les grands, plus tard. Pouvoir ouvrir avec moins d’entraves des magasins ouvre un boulevard aux discompteurs, mais aussi à des supermarchés comme Système U ou Intermarché. Plus de concurrence apporte la respiration qui manquait au commerce français. Enfin, le changement du seuil de revente à perte est important pour faire baisser les prix. Avec Lidl, une guerre des prix s’engage sur les produits de marques à grande rotation, aujourd’hui au nombre de deux cents, demain proche de cinq cents. Le prix des marques nationales va baisser, laissant une marge avant très faible, voire jusqu’au SRP. Quel facteur joue le plus en faveur du maxidiscompte : la dynamique des marges résultant de la compression des coûts ou la forte rotation des volumes ? P. S. : C’est d’abord l’appétence des consommateurs pour des prix bas. C’est aussi un mode d’exploitation très supérieur au modèle traditionnel, fondé sur des coûts fixes peu nombreux et très faibles, une logistique exceptionnellement performante sur mille références, alors que les enseignes classiques en gèrent près de quarante mille. Quelle stratégie vous paraît la plus efficace pour les distributeurs : une politique de marge ou la croissance de la rotation des volumes ? P. S. : La deuxième est très clairement la plus pertinente. Un seul mot résume la stratégie efficace de la distribution : le volume, source de croissance et de prix plus bas que les concurrents. Sans lui, les coûts fixes deviennent insupportables financièrement. Carrefour a joué la carte de la marge et a perdu ! Quant au modèle Casino, il s’apparente davantage à une niche qu’au cœur de marché. A quels facteurs (format, statut juridique, spécialisation…) la tendance à incliner vers la stratégie de marge ou de rotation est-elle éventuellement associée ? P. S. : Le centre-ville, ou proximité, est orienté vers le service, donc vers la marge. La grande périphérie attire par le prix, donc privilégie le volume. Au regard de la performance financière, l’avenir de la grande distribution vous paraît-il être plutôt au supermarché comme tend à le montrer Simon Parienté ? P. S. : Je n’en suis pas certain, car on s’en tient ici à une période, celle de la loi Galland, qui a totalement lénifié l’hypermarché, en le forçant à adopter une politique tarifaire très proche de celle du supermarché. En dix ans, le concept de l’hypermarché a été détruit dans l’esprit des consommateurs. La loi Raffarin a de surcroît bloqué toute innovation dans l’hypermarché. Il suffit de lui redonner plus de liberté pour qu’il recouvre une dynamique commerciale, fondée sur des prix plus bas que dans les supermarchés. Ajoutons que la multiplication des surfaces commerciales, dans l’univers du commerce spécialisé, a joué contre l’hypermarché, réduisant son chiffre d’affaires. Redonnons à l’hypermarché la flexibilité commerciale perdue et, grâce à l’effet volume, les prix baisseront. Mais de quelles marges de manœuvre les distributeurs disposent-ils aujourd’hui pour baisser les prix ? P. S. : Elles sont très limitées. Il n’y a plus beaucoup de gras, particulièrement chez les indépendants. Les fournisseurs doivent se préparer à un nouveau combat !
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard