Bulletins de l'Ilec

Le podium ou le retrait - Numéro 395

01/11/2008

Entretien avec Christian Devismes, analyste financier de la distribution chez CIC-Crédit mutuel Securities

Quels sont selon vous les points majeurs de l’étude du Pr Parienté ? Christian Devismes : Trois points majeurs s’en dégagent. Le premier, l’information selon laquelle l’évolution des rendements des capitaux engagés (qui mesurent la « rentabilité économique ») serait positive en 2006, semble contredite par nos études, du moins en ce qui concerne la France. Le deuxième point intéressant est le lien étroit existant entre l’effet de levier, les réglementations nationales et la structure juridique des opérateurs. L’effet de levier est ainsi plus important en Europe du Sud (France comprise) qu’en Europe du Nord, un écart qui reflète les différences dans les modalités de fonctionnement du crédit fournisseurs (un système plus employé en Europe du Sud). L’effet de levier est également plus important dans les groupes intégrés que chez les indépendants et les coopératives, un écart lié à la surface limitée des petites et moyennes entreprises et qui d’ailleurs freine l’expansion de ces enseignes à l’international. Le troisième point est que les groupes intégrés seraient plus performants que les groupes indépendants... En France, les indépendants n’ont pas de leçon à recevoir des groupes intégrés ! Et une question se pose, sur le mode de calcul des loyers « estimés ». Comment le sont-ils, en fonction de quel type de groupe ? Cela crée un biais, car la plupart des indépendants ont créé des sociétés civiles immobilières à fin d’optimisation fiscale. Les loyers alors payés par ces sociétés de distribution sont supérieurs à ceux qu’acquitte un groupe comme Carrefour, par exemple. Aussi la rentabilité des centres Leclerc est-elle en réalité plus élevée que celle affichée. Parmi les instruments de mesure de la rentabilité des distributeurs européens, lequel est selon vous le plus pertinent ? C. D. : Le rendement des capitaux propres (ou ROE) est très dépendant des principes comptables divers et des événements qui concourent, année après année, à la détermination des fonds propres inscrits au bilan. Ces derniers sont plus le fruit de l’histoire des groupes qu’ils ne constituent, à nos yeux, un agrégat économique vraiment pertinent. Le rendement de l’actif (ou ROA) est imprécis : pour les actifs immobilisés, les écarts d’acquisition sont-ils pris en compte ? S’ils le sont, méthode à nos yeux la plus juste, ils pèsent sur le rendement de l’actif des groupes qui font des acquisitions. Si on ne les prend pas en compte, on gonfle un peu le rendement de l’actif… Ma préférence va donc vers le rendement des capitaux engagés (actifs plus besoin en fonds de roulement), car les actifs sont dilués et le besoin en fonds de roulement, qui intervient dans le calcul de ces capitaux, est une des composantes clés des modèles économiques des différents distributeurs. Intégré ou indépendant , quel est selon vous le modèle le plus rentable ? C. D. : En toute logique, et compte tenu de l’importance de la massification, de la taille et de nombreuses synergies, c’est le modèle intégré qui semble plus rentable. Les services d’appui n’y sont pas dupliqués. Pour autant, en termes de dynamique commerciale, les indépendants sont mieux placés, car ils sont, somme toute, un assemblage de PME gérées au quotidien, de manière plus stricte. Il est plus difficile pour un industriel de négocier avec un patron de magasin qui en est le propriétaire qu’avec un salarié d’un groupe intégré. Avec la loi Galland et le vieillissement de la pyramide des âges des entrepreneurs indépendants, la rumeur courait qu’en France certaines de ces enseignes ne survivraient pas. On voit où elles sont aujourd’hui ! Leclerc et Système U ont été plus performants que la moyenne. Quel est le format le plus rentable, super ou hypermarché ? C. D. : Sur les marchés matures d’Europe continentale, où la consommation devient plus ciblée, plus opportuniste, le supermarché est en tête. On n’achète plus sa télévision chez Carrefour. Dans les pays émergents, où la consommation est encore dans une phase de massification, c’est l’hypermarché qui prime, comme le prouve le développement sous ce format de la plupart des acteurs nationaux et internationaux : Walmart, Carrefour ou Tesco. La grande distribution consomme-t-elle trop de capitaux ? C. D. : Non, car l’essentiel de ses actifs se trouve dans l’immobilier. Pour consommer encore moins de capitaux, elle doit ne plus être propriétaire des murs. Reste que les engagements liés aux loyers peuvent à long terme fragiliser le modèle économique, en raison d’un possible effet de ciseaux. Quel peut être l’impact de la crise économique sur le secteur ? C. D. : Depuis maintenant trois ans, la grande distribution se concentre et se rationalise, comme l’attestent les nombreuses opérations de cession et de recentrage de tous les groupes. Ils savent que leurs perspectives de rentabilité à long terme, sur un marché donné, dépendent de la place qu’ils y occupent ou qu’ils peuvent espérer y occuper sans surinvestir à tous crins. Etre sur le podium, c’est s’assurer une rentabilité décente sur la plupart des marchés (en oubliant les marchés en situation de surcapacité…). Etre à côté du podium, ou pis noyé dans la masse du peloton, c’est la garantie de prendre plus de coups que l’on ne pourra en donner. Les ventes ou échanges d’actifs vont donc continuer. A condition que les acteurs trouvent du financement, ce qui peut être problématique aujourd’hui, compte tenu de la crise.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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