En demande de preuves - Numéro 396
01/12/2008
La quatrième édition du baromètre annuel La Poste CSA souligne que les consommateurs recherchent davantage d’informations sur les marques. Comment expliquer ce phénomène ? Henri Boulan : Nous observons cette année une rupture, à mettre au compte des interrogations sur le pouvoir d’achat. Auparavant, certains consommateurs cherchaient à acheter malin, aujourd’hui ce comportement touche toutes les catégories socioprofessionnelles. 84 % des consommateurs déclarent « comparer davantage les produits avant d’acheter », au lieu de 75 % en 2007. De même, ils sont plus nombreux à rechercher des informations avant l’achat (73 % au lieu de 65 %), à être sensibles aux promotions et à passer du temps pour trouver les bonnes affaires. Ils multiplient les sources d’informations pour comparer les prix, et interrogent aussi bien le vendeur qu’Internet. En 2005, première année de notre baromètre, 31 % des consommateurs interrogés consultaient les sites des marques. Ils sont 51 % en 2008. Le nombre de ceux qui consultent les revues des associations de consommateurs est stable : 55 % . En période d’incertitudes et de contraintes, les consommateurs cherchent à multiplier les sources et à croiser l’information. Sur quels nouveaux thèmes porte la demande d’information ? H. B. : Le prix, bien sûr, mais aussi le respect de l’environnement, demande prioritaire, l’impact des produits sur la santé, la qualité, et le contrôle de leur production. Fait marquant de l’édition 2008, les consommateurs attendent de plus en plus clarté et transparence des informations fournies au moment de choisir une marque. Ce critère a été introduit cette année dans le baromètre et correspond à une attente à la fois déterminante – 78 % des répondants y attachent de l’importance – et fédératrice de toutes les catégories, CSP, âges… Les annonceurs ne s’y sont pas trompés : 74 % d’entre eux classent « la clarté et la transparence des informations fournies au consommateur par leurs marques » parmi les trois thèmes les plus importants pour les Français, devant la prise en compte de l’intérêt des consommateurs et du respect de l’environnement. Il ne s’agit plus de se limiter à des déclarations d’intention, le consommateur est en demande de preuves. L’entreprise qui est derrière la marque doit être socialement, économiquement et techniquement responsable. Le baromètre fait également apparaître un regain de la préoccupation relative à la sauvegarde de l’emploi en France et la question des délocalisations. Les consommateurs sont-ils bien informés ? H. B. : De manière générale, les consommateurs sont plutôt bien informés : 82 % déclarent savoir où trouver l’information dont ils ont besoin. Cela tient au fait que la nature de la prise d’information a changé. Autrefois, la théorie du marketing enseignait que, lorsque le consommateur envisageait un achat, il entrait dans un cycle de recherche d’informations puis d’analyse, avant de se décider à l’achat et de sortir de ce cycle. Aujourd’hui, les consommateurs ont des champs d’intérêt – photo numérique, ordinateurs... – qui les portent à s’informer en permanence sur l’univers du produit, même s’ils ont déjà effectué l’achat. Certains conservent la documentation en vue d’un achat ultérieur. La quête d’information se fait en continu. L’information permet-elle de faire le bon choix ? H. B. : Si 51 % des consommateurs, plutôt les hommes, les 35-49 ans, les catégories socioprofessionnelles supérieures et donc les internautes, estiment que « grâce à l’information qu’ils collectent, ils se sentent mieux armés au moment de l’achat », 49 % , plutôt les femmes, les 65 ans et plus, donc retraités et non internautes, estiment que « même en se renseignant, ils ne sont pas toujours sûrs de faire les bons choix ». Quels sont les supports privilégiés pour mieux s’informer ? Les sources des marques ou les sources indépendantes ? H. B. : Un peu des deux, sans oublier le bouche-à-oreille, qui demeure incontournable. Avant d’effectuer des achats importants, 90 % des consommateurs sollicitent les conseils de proches. Parallèlement, le baromètre souligne cette année la place plus importante des vendeurs et conseillers des marques. La « bonne relation avec le vendeur » est déterminante pour 70 % des personnes interrogées en 2008, un score en progression de 9 points par rapport à 2007. De fait, avec Internet, le consommateur a accès à beaucoup d’informations, parfois trop. Il a donc des difficultés à la traiter, car elle est parfois contradictoire avec celle donnée par d’autres sources. Parler avec un expert lui redonne confiance. Par ailleurs, si le nombre moyen de sources utilisées – 5,3 en 2008 au lieu de 4,9 en 2007 – progresse, principalement du fait du nombre des internautes et de la pénétration d’Internet, la Toile ne tue pas l’information écrite : les catalogues et les dossiers techniques des marques continuent d’être cités comme sources d’information. Les consommateurs conjuguent le relationnel (conseils d’amis et vendeurs), le support papier et les sources en ligne. La seule source dont l’importance faiblit est la publicité : elle constitue de moins en moins une référence, car elle n’apporte pas l’information pragmatique et opérationnelle attendue par les consommateurs, qui la voient comme un spectacle. La fidélité à la marque évolue-t-elle en fonction de la qualité de l’information donnée par celle-ci ? H. B. : On pourrait le penser, mais aujourd’hui la fidélité à la marque est moindre indépendamment de la qualité de l’information. Pouvant moins se permettre d’acheter les marques auxquelles ils sont attachés, les consommateurs déclarent en changer davantage (48 % en 2008 au lieu de 42 % en 2007), non parce que leur attachement a faibli, mais par nécessité. Les marques sont de plus concurrencées à chaque acte d’achat, l’intérêt que portent les consommateurs au programme de fidélisation s’atténue, car la fidélité se construit aujourd’hui sur le court terme, et beaucoup moins selon une accumulation de points. Pour autant, 74 % des consommateurs estiment que « choisir une marque, c’est avoir la garantie d’une information fiable sur les produits et les services ». Trop d’informations tue-t-il l’information ? H. B. : Cela dépend pour qui, par quel canal et pour quoi faire. Le marketing téléphonique et les SMS publicitaires sont très rejetés, excepté dans l’assurance et la banque. Existe-t-il une typologie de consommateurs en fonction de leurs attentes en termes d’information ? H. B. : On peut distinguer six profils. Les désinvestis minimalistes – 14 % de la population, plutôt des femmes, des personnes assez âgées –, rationalisent l’information : le peu qui est collecté leur suffit. Ils font confiance aux vendeurs et aux marques. Les hyperinformés confus – 15 % , 25-34 ans, internautes – sont des chercheurs actifs, mais ils ne se fixent pas assez de limites et l’information leur est difficile à assimiler. Le label les rassure. Les découragés – 14 % , plutôt des femmes, plutôt jeunes – recherchent peu d’information mais la sélectionnent. Ils savent qu’ils ne s’en sortiront pas et délèguent à leur entourage. Les méfiants dépassés – 15 % , les plus âgés, souvent retraités – ont un problème d’accès à l’information et sont sceptiques quant à ce qu’elle apporte. Ils s’en remettent aux experts, par défaut. Les confiants interactifs – 16 % , âge intermédiaire, 35-64 ans – sont en interaction avec les marques mais écoutent aussi l’avis des experts. Les consommateurs experts autonomes – 26 % , plutôt des hommes, actifs aisés, internautes – sont très informés, ce qui les rassure. Ils tiennent à se forger leur propre opinion. Quelle est la bonne information ? H. B. : La bonne information est celle qui apporte des preuves d’engagement de la marque sur la qualité de ses produits et services, et de l’engagement de l’entreprise derrière la marque. La façon de le dire peut bien sûr changer d’une marque à l’autre et d’une catégorie de consommateurs à d’autres.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard