Incontournable Internet - Numéro 396
01/12/2008
Quelles informations le consommateur recherche-t-il prioritairement ? Marc Alias : Il est difficile de généraliser, car cela dépend des catégories et des moments. Un même consommateur peut rechercher un vol Paris-Rome au coût le plus bas et s’offrir sur place les services d’un palace le temps d’un week-end. Pourtant, une grande tendance se détache à mes yeux, c’est celle de l’exigence. Jamais les consommateurs n’ont été aussi exigeants qu’aujourd’hui. Ils veulent pouvoir trouver la marque au meilleur prix et tout savoir sur elle. Non seulement ses promesses intrinsèques en tant que marque, mais aussi celle de l’entreprise qui fabrique ou commercialise la marque. D’où l’importance des enjeux écologiques et sociétaux pour les entreprises de marques. Le niveau croissant d’exigence est une grande chance pour les entreprises innovantes et socialement responsables. Les attentes ont-elles évolué récemment ? M. A. : Le consommateur a des attentes de plus en plus fortes en matière de prix : il veut de la meilleure qualité, mais sans payer plus cher. C’est une tendance qui a commencé avant la crise. Toutes les études que nous avons menées à travers le monde dans les pays développés le prouvent, la part des consommateurs prêts à payer un surcroît pour un produit plus respectueux de l’environnement est faible. Entre 5 et 8 % de la population selon les pays. Les mêmes études montrent au contraire que le gros de la population – nous l’appelons « mainstream » dans notre jargon – est à la recherche de produits meilleurs pour l’environnement, mais qui n’entraînent aucun sacrifice, ni dans la performance du produit, ni sur son prix. On remarque d’ailleurs que les produits « verts » ont généralement une mauvaise image prix. Quels est la hiérarchie des champs d’information, entre composition des produits, mode d’emploi, prix, santé, impact environnemental, éthique, etc. ? M. A. : La marque se doit de répondre présent selon tous ces critères. Environnement et santé ont d’ailleurs souvent partie liée dans l’esprit des consommateurs. Toutes les informations ne peuvent pas se trouver sur l’emballage du produit, encore moins dans sa publicité, qui doit faire le choix de porter sur tel ou tel aspect pour rester audible. Chez P&G, nous croyons beaucoup en la force d’Internet pour porter des informations pertinentes à la connaissance des consommateurs. Ainsi, nous avons lancé en 2002 le site www.scienceinthebox.com, qui recrute aujourd’hui jusqu’à trente mille visiteurs européens par mois. Le site existe dans plusieurs langues dont le français. Il a pour but d’explorer et d’expliquer la science qui se trouve derrière chacun de nos produits pour l’entretien du linge et de la maison, et de répondre aux questions de sécurité pour l’homme et l’environnement. D’un clic, l’internaute peut découvrir les ingrédients qui entrent dans la composition de nos lessives. Quelques autres clics, et il a accès à la comparaison des analyses de cycle de vie entre détergents à base de tensio-actifs d’origine synthétique et ceux d’origine naturelle. L’interactivité est encouragée tout au long du site. Le premier niveau s’adresse à tous les consommateurs, tandis que d’autres parties sont plus techniques et font référence à de nombreuses publications scientifiques. Comment a évolué la place du service consommateur au sein du groupe P&G ? M. A. : Chaque année, nous traitons mondialement plus de quatre millions de contacts à travers notre service du consommateur. Ces contacts sont pour nous une source vitale d’informations et de fidélisation à nos marques. Voilà pourquoi le service du consommateur est directement connecté aux divisions opérationnelles de l’entreprise. Une partie importante de la gestion des contacts est externalisée, mais chaque filiale compte une équipe dédiée. Celle-ci est le garant de la qualité de service que nous apportons aux consommateurs qui nous adressent leurs réclamations, et la voix de ces consommateurs auprès des directions R&D, fabrication et marketing. La publicité peut-elle informer, et comment ? M. A. : Nos recherches le démontrent : les consommateurs reconnaissent une valeur informative, plus ou moins prononcée selon les marques et les campagnes, à nos efforts publicitaires. Mais ce qui est le plus fascinant, c’est que le message que les consommateurs retiennent in fine de la marque n’est jamais le message de la publicité ! Chaque marque se doit bien sûr d’avoir une stratégie et des messages publicitaires qui fournissent des informations aux consommateurs, leur permettant de la différencier sur le marché. Mais il y a toujours un message plus puissant, celui que les consommateurs sont prêts à partager avec leurs proches au sujet de la marque, et ce message est toujours différent. Il serait vain de s’opposer à cette réalité, qui bénéficie de l’explosion des techniques de communication et de ce que certains appellent la « démocratie digitale ». Les marques sont emportées dans ce maelstrom. Celles qui se développeront auront su s’en faire un atout pour créer une dimension relationnelle avec leurs consommateurs. Prenez l’exemple de Pampers : elle offre bien plus qu’une gamme de couches-culottes et de lingettes, à travers son site d’information www.pampers.com et sa newsletter mensuelle, qui contient des conseils personnalisés. Quelles initiatives les industriels peuvent-ils prendre pour devancer les attentes des consommateurs en termes d’information ? M. A. : D’abord et toujours les écouter ! Pendant longtemps, nous ne jurions que par un message publicitaire de performance sur Ariel. C’est vrai qu’Ariel incarne la propreté impeccable sur le marché de la lessive. Pourtant, nous nous sommes aperçus que les utilisateurs d’Ariel en particulier et de lessive en général se posaient de plus en plus de questions sur l’environnement. L’achat d’une lessive, un produit issu de la chimie, est probablement celui qui engage le plus sur un plan écologique. C’est de cette constatation qu’est partie l’initiative « Ariel Actif à Froid », qui permet d’obtenir la fameuse propreté impeccable d’Ariel en lavant le linge à température ambiante. En Grande-Bretagne, où la campagne a démarré, la proportion de consommateurs lavant à 30 °C ou moins est montée de 3 % en 2002 à 17 % en 2007, et jusqu’à 28 % s’agissant d’Ariel, avec à la clé beaucoup d’économies d’énergie. Il ne faut toutefois pas surestimer la crédibilité de la marque sur le terrain de la communication environnementale. Il s’agit de faire avant de faire savoir. Et il est souvent utile de s’appuyer sur un tiers indiscutable en matière d’environnement, pour bien faire savoir. C’est pourquoi nous avons tenus à travailler avec l’Ademe, avant de lancer « Ariel Actif à Froid » en France. Quel est le meilleur support pour informer le consommateur ? M. A. : Parallèlement à Internet dont je viens de parler, la publicité en magazine est intéressante, car elle permet de cibler finement les consommateurs en fonction de leurs centres d’intérêt, et de les toucher à un moment où ils sont disponibles pour recevoir de l’information. La communication en magasin est sans doute la plus négligée, en tout cas la moins bien mesurée. C’est un point sur lequel nous travaillons avec plusieurs distributeurs. Le temps des courses peut-il devenir une expérience globalement plus positive pour les consommateurs ? Peut-être qu’une partie de la réponse se trouve dans la capacité à mieux les informer sur le lieu de vente ? Je crois beaucoup au téléphone portable, qui permettra bientôt non seulement de payer en caisse mais un jour de fournir des informations par centres d’intérêt. Par exemple, une personne intéressée par la consommation durable pourra consulter des informations environnementales concernant tel ou tel produit. Cela me semble une voie plus prometteuse que celle qui consisterait à rendre les emballages encore plus illisibles. Un « écolabel » généraliste (comme celui que réforme Bruxelles dans son « Plan d’action pour une consommation, une production et une industrie durables » rendu public le 16 juillet 2008) garantit-il que le produit distingué est préférable à un autre à tous égards et en tous ses usages ? M. A. : Je trouve intéressant que le plan d’action énonce clairement que l’écolabel du futur devra s’appuyer sur l’analyse du cycle de vie (ACV) des produits, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Je ne suis pas sûr que l’on puisse parler d’écolabel « généraliste », car il faudra bien décliner l’analyse par catégories de produits. En tout cas, dans bien des catégories, l’écolabel est aujourd’hui un frein à l’innovation, car il tend à figer les formules et les compositions des produits dans un cadre rigide. Nous avons montré que les progrès accomplis par Pampers en matière de compaction (poids réduit de 40 % environ en dix ans) auraient été impossibles si nous nous en étions tenus aux critères des écolabels. La vocation de la marque n’est-elle pas de synthétiser des informations répondant à des attentes de natures diverses, mieux que ne le ferait une addition de labels ? M. A. : C’est en tout cas ma définition de la marque : la marque est celle qui se substitue à tous les écolabels du monde, car elle est synonyme de confiance aux yeux du consommateur. C’est une confiance qui se crée au fil du temps, et qui n’est jamais acquise définitivement.
Propos recueillis par J. W.-A.