Bulletins de l'Ilec

Comparaison et raison - Numéro 396

01/12/2008

Entretien avec Christine Cros, chef du département écoconception, consommation durable de l’Ademe

En matière d’affichage environnemental des produits de grande consommation, qu’est-il techniquement possible de collecter et d’afficher ? L’empreinte carbone est-elle un indicateur suffisant ? Christine Cros : L’empreinte carbone n’est pas suffisante. Elle permet de rendre compte d’un impact important, mais il y a d’autres impacts sur l’environnement. L’intérêt d’un indicateur est qu’il devienne un élément de pilotage. Il doit orienter l’action. Le risque, avec uniquement un indicateur carbone, tient aux transferts de pollution. C’est pourquoi le Grenelle de l’environnement a conclu à la nécessité d’une information concernant les impacts environnementaux des produits, dans une logique multicritère. La collecte de données est un travail difficile, mais elle n’est pas impossible. Les groupes de travail méthodologiques organisés à l’Afnor devraient être alimentés par l’expérience de projets pilotes, pour établir des règles praticables. L’empreinte environnementale d’un produit est-elle toujours assez constante pour faire l’objet de mesure (la chaîne d’approvisionnement n’est pas immuable) ? C. C : Rare pourra être un suivi très précis d’un produit. Il faudra souvent utiliser des moyennes (moyenne de la logique d’un producteur, moyenne des impacts des magasins d’un distributeur…). Ces moyennes pourront rendre compte des efforts faits par les professionnels. Pour que cela ait du sens et qu’il y ait une incitation à l’amélioration, il faut que les données soient régulièrement actualisées. La fréquence d’actualisation devra être décidée en groupe de travail par catégorie de produits, en tenant compte des difficultés de collecte. Quelles informations le consommateur attend-il dans ses achats quotidiens ? C. C. : Les deux tiers des consommateurs ont aujourd’hui conscience que leurs actes d’achat ont une incidence sur l’environnement. Ils souhaitent être mieux informés sur ces impacts. En l’absence d’information, ils ne savent pas quoi attendre. Le défi de l’affichage environnemental est de leur délivrer une information fiable mais suffisamment compréhensible, pour orienter leurs actes d’achat. Un groupe de travail se consacrera à ce questionnement. Les expériences des projets pilotes et de l’appréhension des consommateurs seront particulièrement utiles. Leurs attentes ont-elles évolué récemment de façon significative ? C. C. : Oui, les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux impacts environnementaux, comme l’indique l’enquête Ethicity menée en partenariat avec l’Ademe : 91 % des Français connaissent l’expression « développement durable » et 66 % définissent ce concept comme « la protection de l’environnement » (plus 13 points par rapport à 2006) (1). Seize pour cent de la population constituent un noyau dur particulièrement motivé. Quels sont les champs d’information et leur hiérarchie (composition des produits, usage et emploi, prix, impact sanitaire, impact environnemental, éthique…) ? C. C. : L’affichage environnemental portera sur l’ensemble du cycle de vie des produits, de façon à restituer correctement les impacts. Il est difficile de privilégier une phase a priori, car les principaux impacts diffèrent suivant les produits. C’est pourquoi ce sont des groupes méthodologiques qui vont définir par catégories quels impacts renseigner, et surtout les informations qui devront nécessairement faire l’objet de mesure, car elles complèteront celles approchées par des moyennes. En quoi des indicateurs maison (comme celui de Casino) peuvent-ils être des outils d’aide au choix pour le chaland, dès lors qu’ils ne figurent que sur des marques d’enseigne, qui ne sont pas en concurrence immédiate les unes avec les autres ? C. C. : Casino n’a pas voulu en faire un élément différenciant mais un élément d’information. Après un bilan carbone, cette enseigne a pris conscience qu’elle était responsable de certains impacts. Devant l’intérêt croissant des consommateurs pour ces questions, elle a voulu leur restituer l’information. Cela étant, il y a des marques de distributeur sur le même segment de marché qui pourraient porter des informations différentes. Sait-on toujours ce qu’est un produit (ses limites, compte tenu du cycle de vie de ses composants, de ses emplois secondaires…) quand il est question de le certifier ? C. C : Une des tâches des groupes méthodologiques est précisément de délimiter le périmètre des produits, et notamment des calculs. Cela assurera que tous les produits auront été considérés de la même manière et que les informations seront comparables. (1). Depuis le rapport Brundtland de 1987 (« un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »), le développement durable se définit en fait comme visant à concilier croissance économique, progrès social et protection de l’environnement (NDLR). Trois principes pour une méthode unique L’Ademe et l’Afnor ont publié en juillet dernier un « guide des principes à respecter » en matière d’affichage environnemental. Ce document, qui a inspiré le projet de loi « Grenelle 1 » en cours de discussion au parlement, défend trois « principes phares » qui tendent pour l’un à compliquer, pour les autres à simplifier l’information environnementale. Le premier « principe phare » a pour effet de mettre en question la notion courante de « produit », et de rendre singulièrement complexe l’information à disposition du consommateur. Il stipule en effet que « l’affichage doit porter sur le couple produit-emballage». Il s’agirait de comptabiliser les « impacts significatifs d’un produit tout au long de son cycle de vie sans cibler une étape en particulier », mais en « tenant compte » séparément de son « mode de conditionnement », la performance du contenant pouvant être, dans le bon ou dans le mauvais sens, contradictoire avec celle de contenu. Le deuxième « principe phare » consiste en un « même format d’affichage pour tous les produits ». Il s’agit, à l’inverse du principe précédent, d’être à la fois « multicritère » (effet de serre, consommation d’eau, toxicité et autres critères environnementaux) mais « simple », de façon que le consommateur puisse « repérer et lire rapidement » les informations quels que soient le magasin et le produit. Le troisième « principe phare » met l’accent sur la nécessité de « méthodes de calcul identiques». Les indicateurs retenus pour chaque catégorie devront être définis « sur la base d’informations scientifiques. »

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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