Refermer le cercle vertueux - Numéro 397
01/02/2009
En quoi la crise économique et financière actuelle affecte-t-elle particulièrement les marques ? Dans quels secteurs et dans quels pays les marques sont-elles le plus exposées ? Vincent Leclabart : La crise affecte les marques dans les domaines où le rêve n’existe plus, et où la réalité économique des ménages les conduit à des arbitrages. Un secteur particulièrement touché est l’alimentaire, où les marques de fabricants se différencient moins des marques de distributeurs, celles-ci proposant d’ailleurs toujours plus de produits de qualité. L’alimentaire ne fait plus rêver. Il permet donc d’arbitrer les dépenses. Tous les secteurs ne sont pas affectés de la même façon. L’informatique, l’électronique, le tourisme, s’en sortent mieux, car la marque y est encore un source de valeur ajoutée pour le consommateur et de revenu pour l’entreprise. Les marques continueront de faire rêver dans certains pays, émergents comme la Russie, ou d’autres, friands de marques, comme le Japon. En Europe, les marques de luxe souffrent en Italie, tandis que l’Allemagne, pays modéré en termes de consommation de marques, ne connaît pas les mêmes soubresauts. Existe-t-il une corrélation entre la croissance économique d’un pays et l’importance des marques et de l’investissement immatériel ? Le secteur de la publicité est-il en récession ? V. L. : L’UDA a publié une excellente étude sur la corrélation entre la puissance économique et la place de la publicité (1). Aujourd’hui, nous sommes objectivement en récession, car les budgets publicitaires diminuent. Il faut impérativement réenclencher le cercle vertueux, car les marques qui continuent d’investir en période de crise sont celles qui se pérennisent. Une marque se construit sur le long terme. Ceux qui travaillent sa réputation, son image, le désir qu’ils créent autour de leur produit, l’imaginaire qu’ils proposent aux consommateurs, au-delà du seul produit très rationnel, seront les vainqueurs. La marque est-elle le dernier avantage comparatif des pays occidentaux ? V. L. : Les pays occidentaux ne semblent pas réellement protégés par les marques. C’est un avantage comparatif de courte durée, comme l’atteste la vitesse de création des marques dans les pays émergents, qui disposent d’un potentiel de consommation beaucoup plus important qu’en Occident. Ces marques deviendront des concurrents redoutables pour les marques occidentales, qui ne sont pas des remparts infranchissables. Nos actifs immatériels ne sont-ils pas déjà trop vulnérables et opéables (activité ordinateur d’IBM racheté par Lenovo, Jaguar racheté par Tata)? V. L. : Ici, ce n’est pas tant une faiblesse de la marque qui est en cause qu’une faiblesse de l’entreprise, qui ne parvient pas, pour IBM, à produire un produit rentable sur le plan économique, ou pour Jaguar un produit de qualité. La marque culturelle (le Louvre, la Sorbonne...) peut-elle constituer un avantage comparatif dans la compétition des nations ? V. L. : Les musées ou les grandes écoles deviennent des produits « marketing », car en ce domaine il n’y a pas encore de concurrence dans les pays émergents qui envoient leurs étudiants chez nous. Aujourd’hui, il y a donc dans ces marques culturelles un avantage réel. La bataille mondiale sera-t-elle celle des marques, ou des potentiels de formation, de recherche, d’innovation et d’esprit d’entreprise, incidemment à l’origine de la création et de la pérennité des marques ? V. L : Oui, tout à fait. On oublie qu’une marque est le fuit d’un long travail, d’un mûrissement, d’un savoir-faire qui dépasse largement la seule représentation par le logo, l’image. C’est là l’enjeu de demain pour les marques occidentales, si elles veulent conserver leur avantage comparatif. (1) L’Impact de la régulation de la publicité sur la croissance économique, de Maximilien Nayaradou, cf. Bulletin de l’Ilec n° 382, juin 2007.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard