La prospective de Trémolière - Numéro 398
01/03/2009
Très inflationnistes en 2007, en forte baisse en 2008, les prix des matières agricoles sont-ils promis à une instabilité durable ? Philippe Chalmin : Oui, les prix agricoles sont durablement instables, et le mouvement s’est renforcé au cours des dernières années. C’est une contrainte supplémentaire pour les industries, mais elle est insensible au niveau des consommateurs, car le contenu strictement agricole du panier alimentaire de la ménagère est de plus en plus faible. On consomme de moins en moins de produits agricoles bruts, et de plus en plus de services. La part du blé dans le pain ne représente que quelques centimes. La spéculation sur les denrées agricoles est-elle une tendance de fond ? Va-t-elle conduire à une nouvelle allocation des ressources privilégiant certaines au détriment d’autres ? Qu’est-ce qui va le plus augmenter : la viande, les céréales, les primeurs ? P. C. : La spéculation a toujours existé dans le domaine agricole, et la spéculation financière a incontestablement un rôle sur le marché des végétaux (céréales, sucre, café, cacao). En revanche, il n’y a pas de spéculation financière sur les produits laitiers et les produits animaux. Mondialisation des cours des matières premières d’un côté, localisation de la demande de l’autre : le prix mondial pour une demande locale a-t-il des conséquences dans l’assiette ? P. C. : Nous étions habitués à des marchés stabilisés au niveau européen, cela n’est plus le cas, mais la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation est en baisse continuelle, et la part agricole à l’intérieur de ce budget est très faible. Aussi, cette mondialisation n’a que très peu d’impact dans l’assiette des consommateurs. Quelle est la part des produits agricoles dans une pizza surgelée ? L’agriculture pourra-t-elle subvenir aux besoins ? Les ressources seront-elles suffisantes ? P. C. : C’est le défi majeur du XXIe siècle, il faut multiplier par deux la production agricole de la planète, pour nourrir en 2070 dix milliards d’êtres humains. Nous pourrons y répondre en partie grâce aux biotechnologies. Le paradoxe de l’intervention des anti-OGM est qu’ils ont contribué à fragiliser un peu plus la recherche publique sur ce thème, et ont ainsi renforcé l’avance technologique des entreprises privées. Il faut aussi un soutien public persévérant au seul modèle qui a fait ses preuves, l’exploitation familiale. Il faut enfin protéger les paysanneries du Sud vis-à-vis des importations alimentaires, car le fonctionnement optimal d’un marché suppose une relative égalité entre les acteurs. La fin de la politique agricole commune aura-t-elle des conséquences sur le modèle alimentaire en France ? P. C. : Non, car le modèle alimentaire français n’est pas lié aux prix des produits agricoles. La fin de la PAC nous fait passer de la stabilité à l’instabilité des prix, mais sans incidence sur les tendances de fond du modèle agricole français. Qu’allons-nous manger dans vingt ans ? P. C. : Un des grands nutritionnistes français, spécialiste du comportement alimentaire des Français, Trémolière, disait vers la fin de sa vie : « La seule chose dont je sois certain, c’est que le comportement alimentaire des hommes est irrationnel et qu’il le demeurera. » Il faut souhaiter qu’il évolue, car la terre ne peut pas nourrir dix milliards d’Américains obèses, ni dix milliards de bio-tristes. Le modèle alimentaire français tel qu’il se présente dans le Sud-Ouest (le « paradoxe farnçais » (1)) présente un bon équilibre. (1) Dans le sud-ouest de la France l’alimentation est globalement assez riche en matières grasses (foie gras, confit de canard) et en vins, voire en alcools, alors que la santé globale est assez bonne, que le taux d’infarctus est de seulement 80 pour 100 000 par an, soit quatre fois moins qu’aux Etats-Unis, et que l’espérance de vie est de dix ans plus élevée que dans le nord-est de la France.
Propos recueillis par J. W.-A.