Bulletins de l'Ilec

L'Immatériel au défi de la crise - Numéro 399

01/04/2009

Par Ryane Meralli*

En décembre 2006, la commission présidée par Maurice Levy et Jean-Pierre Jouyet a remis au ministre de l’Économie un rapport intitulé l’Économie de l’immatériel. Ce rapport met en avant l’idée que l’immatériel est devenu le facteur clé de succès des économies développées. Il dresse un tableau du rôle primordial que doivent jouer les valeurs immatérielles pour l’avenir et donne des pistes à explorer pour contribuer au développement futur de la France. Une des mesures phares préconisées par le rapport est le développement du patrimoine immatériel de l’État par le biais de marques culturelles. « Lorsque l’on pense à l’immatériel, explique le rapport, c’est souvent la recherche, les brevets et plus généralement l’innovation technologique qui viennent à l’esprit dans un premier temps. Or, s’il est vrai que ces éléments sont des atouts déterminants pour la compétitivité d’une entreprise et même d’une nation, il ne faut pas oublier qu’il existe également une autre catégorie d’actifs immatériels : l’ensemble du champ des immatériels liés à l’imaginaire. Cela recouvre une palette d’activités, de concepts et de secteurs, qui englobent la création culturelle et artistique, au sens le plus large, le design, la publicité, les marques, etc. Tous ces éléments ont une caractéristique commune : ils sont fondés sur l’idée de création et de créativité, qui constitue en quelque sorte le pendant du concept d’innovation dans le domaine technologique. » « L’État et les autres administrations, relève encore le rapport, sont riches d’un potentiel d’actifs immatériels important, grâce en particulier aux droits d’accès que l’État accorde ou à certaines ressources rares dont il a la maîtrise et qui représentent, pour les entreprises, un facteur de développement considérable. (…) Mais au-delà de ces actifs immatériels publics, l’État peut influencer la valorisation du patrimoine immatériel de la nation. Dans l’économie immatérielle, notre histoire, notre géographie, nos territoires sont autant d’atouts dont on peut tirer des richesses. » Pour cela, il faut développer la protection des marques dites culturelles, comme le Louvre ou la Sorbonne. Jean-Pierre Jouyet, coauteur du rapport, puis secrétaire d’État chargé des Affaires européennes pendant la présidence française de l’Union, a déclaré à Bruxelles que « la modernité de ce rapport passe également par sa dimension européenne… Pour ce qui relève en particulier des domaines artistique et culturel, la valeur ajoutée de l’immatériel est déterminante. Le rapport concilie la nécessaire ouverture au marché, les conséquences de l’utilisation plus intensive des technologies nouvelles, et les objectifs de service public qui s’y attachent » (1). Le rapport prend soin de relever qu’il ne s’agit pas de « céder à une marchandisation de la culture, qui aboutirait à transformer les musées français en lieux de consommation courante, où la vente de produits dérivés l’emporterait sur la promotion des œuvres ». Il montre que « les marques culturelles sont un élément du rayonnement de la France et de son attractivité touristique. En développant leur notoriété, c’est fondamentalement l’image de la France et le poids dans la richesse nationale du secteur touristique que l’on renforce ». Une évolution positive est la prise de conscience par les administrations de leur rôle de dépositaires d’un patrimoine immatériel important. Elles ont commencé à s’organiser pour mieux le valoriser. De nombreux établissements publics culturels s’interrogent sur leur stratégie de marque, dans la lignée de l’accord entre la Direction des musées de France et les Émirats arabes unis pour l’utilisation de la marque Louvre et la création d’un nouveau musée à Abou Dhabi. Pour ce projet, qu’il qualifie de premier test de la valeur de la marque Louvre, le rapport indique : « Les Émirats arabes unis souhaitent s’appuyer non seulement sur l’expérience française dans l’ingénierie culturelle, mais également sur de grandes marques culturelles, dont celle du Louvre ou du Guggenheim. Les négociations actuelles portent sur le droit d’utilisation à titre onéreux de la marque française et la durée de ce droit. Le musée, associé à d’autres musées nationaux français (Centre Pompidou, musée des Arts premiers, musée Guimet…), assurerait en outre une prestation d’expertise pour créer ce musée universel et développer sa politique d’acquisition. » L’Agence du patrimoine immatériel de l’État (Apie), directement issue d’une des propositions du rapport, a reçu pour mission la coordination et l’assistance interministérielles, pour apporter une aide méthodologique et opérationnelle aux gestionnaires publics dans le recensement, la protection et la valorisation de leurs actifs immatériels. En 2008, Maurice Lévy s’est félicité d’un « bilan encourageant » : « Environ la moitié des soixante-huit propositions du rapport sur l’économie de l’immatériel ont été ou sont en train d’être mises en œuvre. Incontestablement, un changement d’état d’esprit est intervenu : notre pays est en train de se mettre en ordre de marche pour tirer pleinement parti des opportunités qu’offre l’économie de l’immatériel. » Et d’observer que la Commission Attali avait intégré une vingtaine des recommandations du rapport dans ses propositions (2). En dépit de ces avancées, on peut s’interroger sur les possibilités qu’a l’État de recourir activement à toutes ses marques dites culturelles. L’Agence du patrimoine immatériel a pu mettre en œuvre un certain nombre d’actions, mais la crise pourrait neutraliser son élan. Une autre piste à explorer pourrait être la délégation de mission public. Il s’agirait de confier certaines des missions pour le développement des marques culturelles publiques à des entreprises du secteur privé, sur le modèle courant de la délégation de service publique. De telles missions pourraient être développées notamment par des agences de publicité ou de communication, qui maîtrisent le savoir-faire de la valorisation des marques, du point de vue tant de la communication que de la mercatique. Il reste beaucoup à entreprendre pour accomplir le changement de réflexes, d’échelle et de modèle, recommandé dans le rapport. Changements pourtant indispensables pour faire de notre pays un champion de l’immatériel qui se projette dans le futur. * Avocate au barreau de Paris, spécialiste en propriété intellectuelle (1) www.observatoire-immateriel.com/spip.php?article142. (2) Les Échos du 31 janvier 2008.

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