Bulletins de l'Ilec

La mixité, moyen de la densification urbaine - Numéro 400

01/05/2009

Entretien avec Michel Pazoumian, délégué général de Procos (1)

Le rapport Charié répond-il à vos souhaits prioritaires ? Michel Pazoumian : Oui, c’est un grand oui, à la lecture des dix-huit programmes, dont certains concernent aussi bien la restructuration des centres-villes, le renforcement des centres-bourgs, la réhabilitation des entrées de villes. Tout cela nous convient tout à fait, ainsi que la manière dont ces sujets sont abordés dans le détail par le rapport de Jean-Paul Charié. Procos souligne depuis cinq ans que sur fond d’hyperfinanciarisation de l’économie et de mondialisation, une masse très importante de capitaux (pétrodollars et autres) en quête de rentabilité à court terme ont trouvé leur cible dans les programmes commerciaux. Il y a eu convergence d’intérêts entre les investisseurs promoteurs qui voulaient proposer des produits à rentabilité forte et rapide, et des élus qui bien heureux de disposer de foncier quelle qu’en soit la réalité économique, le cédaient au meilleur prix possible. Depuis cinq ans, nous sommes confrontés à une surdose de projets. Il est vrai que ce n’est pas la première fois, car déjà dans les années 1980, il y avait eu surdose dans les hypermarchés périphériques. Une relative accalmie a été obtenue avec le gel imposé par Balladur et la loi Raffarin. De nouveau, depuis cinq ans, l’excès concerne tout périphérique. Le rapport Charié stoppe cette course aux mètres carrés et en appelle, entre autres, à la nécessaire réhabilitation de la périphérie. Il faut bien sûr s’appuyer sur des financements des collectivités pour reprendre une partie des espaces vacants, créer de nouvelles circulations et remettre sur le marché des zones qui ont vieilli. Comment, selon-vous, rendre plus attractif et accessible le centre-ville ? M. P : Jean-Paul Charié a compris que les problèmes ne concernaient pas seulement les villes moyennes mais les centres-villes en général. Monter des projets en centre-ville demande beaucoup plus de temps que d’amener des réseaux dans les champs. Cependant, même si le foncier est plus difficile à trouver, on a, à côté des gares, des zones d’entrepôts disponibles, comme le prouve la zone sud de la gare de Perrache à Lyon, le plus grand projet actuel de réhabilitation d’une arrière-gare. Sur dix ans, il est prévu un centre commercial, des logements, un tramway pour irriguer du nord au sud, des bureaux, un musée, une ville en somme. On peut trouver également des fonciers dans des villes moyennes ou plus petites. Ces projets prennent bien sûr beaucoup de temps. La ville doit acheter un ou deux lots qui ne lui appartiennent pas, il faut ensuite réfléchir sur les voies d’accès pour rendre le nouveau terrain viable. Puis réfléchir à la programmation, la création de logements, de bureaux, d’hôtellerie et de commerce bien sûr. Tous les élus qui savent et veulent faire, qui disposent d’une société d’économie mixte, des compétences d’un cabinet d’ingénierie, se réjouissent d’inaugurer de telles opérations. Non seulement le « trou » dans la ville est occupé, habité, mais cela valorise l’environnement. Les programmes commerciaux sont viables car la clientèle est déjà là, à pied, en tramway, en voiture. Ces programmes de centres urbains sont toujours des succès pour tout le monde, pour la ville, le promoteur, les commerçants. Quel type de commerce devrait être privilégié en centre-ville : grand magasin, hypermarché ou nouveaux concepts ? M.P. : Si l’on s’interroge sur une ville de province, il faut dans tous les cas comme locomotive une surface alimentaire qui attire des clients tous les jours, un supermarché (2 500 m2), ou une surface plus grande, de 3 500 à 4 500 m2, dans une grande ville. Il faut ensuite prévoir selon la zone de chalandise quelques moyennes surfaces dans tout type d’activité (textile, loisir, sport, décoration...), sauf la maison, destinée à la périphérie. On peut ajouter un pôle de restauration, dispersé ou regroupé, un cinéma, quelques boutiques (moyenne ou haute gamme selon le niveau de vie de la population) et un parking. Dans le domaine du transport, nous venons de réaliser une étude sur les tramways en France qui souligne que dans trois ans, plus de la moitié des villes en seront équipées. Cela va dans le sens du non-étalement urbain et du développement durable. Autre évolution dans ce sesns et qui porte sur les problèmes de livraison des magasins en centre-ville : les commerçants de la rue de Rennes, à Paris, veulent se regrouper pour créer un service de livraison commun. L’entrée du commerce dans le droit de l’urbanisme constitue-t-elle une révolution culturelle ? M. P. : Absolument, tout change. Nous allons vivre une vraie révolution et je m’en réjouis. Le commerce sera désormais une composante structurante et plus uniquement une résultante des politiques d’aménagement du territoire, au même titre que l’habitat ou les transports. Le préfet va nommer une commission d’urbanisme commercial (Cuc) au niveau des départements, composée d’élus, d​‌’acteurs économiques, du type chambre de commerce, chambre des métiers, institutions locales, des experts. Cette commission, présidée par un élu, va au début du mandat, juste après l’élection municipale, préconiser des axes de développement commerciaux par rapport au paysage commercial existant. Elle va établir un Dac (document d’aménagement commercial), et les Dac seront bien sûr différents d’un département à l’autre, selon les structures commerciales existantes. Il revient ensuite au préfet de vérifier la cohérence du Dac par rapport aux documents d’urbanisme existants, les Scot (schéma de cohérence territoriale) et les Plu (plan local d’urbanisme). Jusqu’à présent, les autorisations commerciales étaient données ex nihilo. Demain, les maires vont réfléchir à des problématiques d’habitat, de mobilité et de commerce. La création de quatre niveaux de commerce sans référence aux mètres carrés vous semble-elle pertinente ? M. P. : Oui, même si l’on peut s’interroger sur les véritables différences entre le niveau 3 et le 4. Un Ikéa peut être à la fois à l’échelle départementale et régionale. Contrairement à ce que souhaitait Bruxelles, qui refuse toute étude d’impact, ces quatre niveaux correspondent un peu à des zones de chalandise. C’est dans la pratique que cela va se décanter. Les mesures proposées par le rapport vont-elles freiner le déséquilibre ville-périphérie pour aller dans le sens de la densification urbaine ? M. P. : Je suis favorable à une densification urbaine, dans le fil du Grenelle de l’environnement. On sait aujourd’hui que le CO2 peut être divisé par quatre entre l’étalement urbain en maisons individuelles et une densification avec des logements ouverts, des terrasses sur quatre niveaux. Demain, tous les programmes urbains seront mixtes, mélangeant logement, bureau, hôtel et commerce, en rez-de-chaussée, et en niveau. Cela permet d’amortir le prix du foncier, plus cher en ville. Les mesures proposées par le rapport Charié vont donc dans le bon sens. Interdire l’implantation en plein champ, un vœu pieux ? M.P. : Grignoter les champs par des boîtes n’a plus aucun sens, non plus que de vouloir absolument que chaque Français ait sa maison individuelle ! Il nous revient, à nous tous, de prendre nos responsabilités. Ou bien nos petits-enfants porteront des masques à gaz, ou bien nous prenons vraiment conscience aujourd’hui des enjeux pour notre planète. Le rapport sonne-t-il le glas des centres commerciaux ? M.P. : Non, car la ville peut accueillir des centres commerciaux. La preuve : Lyon, les quais à Rouen, Le Havre, relèvent des grands projets urbains intégrés. Que pensez-vous de la proposition du rapport de créer cinq cents unités de magasins à loyers modérés ? M.P. : J’ai plusieurs fois dit à Jean-Paul Charié de ne pas prendre le très mauvais exemple des Champs-Elysées. Selon lui, les loyers sont tellement élevés qu’une boulangerie ne peut pas rester quand dans un centre commercial, les loyers peuvent s’adapter. Or il oublie de dire que sur les Champs Elysées, la propriété est morcelée. Il faudrait que la Ville de Paris préempte, recommercialise avec un loyer inférieur et accorde une subvention au boulanger. A supposer que Virgin quitte les Champs Elysées, il faudrait obliger le propriétaire à consacrer 5 à 10 % à du loyer modéré. Quel promoteur va s’y risquer ? L’idée proposée par Jean-Paul Charié n’est pas mauvaise dans d’autres types de montages : la loi de préemption actuelle ne fonctionne pas, car on demeure dans le schéma d​‌’aujourd​‌’hui. Le coût du pas de porte ne peut pas, très souvent, être supporté par la ville, aussi ne peut-elle pas préempter, ni recéder le bail à un prix inférieur à un boulanger, et c’est une banque de plus qui prend le local ! La loi sur la préemption ne fonctionne pas sans subvention. Quels sont selon vous les points du rapport à éclaircir ? M. P. : C’est la pratique qui va faire apparaître les écueils. Il faudra former les services des préfets, les adjoints, les services techniques, pour qu’ils comprennent les décisions prises dans le Dac, les conséquences dans les Scot et la cohérence avec le PLU, les moyens de mieux appréhender la ville et le commerce dans la ville. Autre point à éclaircir : la question financière. L’Etat pourra-t-il allouer le budget nécessaire pour que la loi de préemption fonctionne réellement, pour que les élus, les sociétés d’économie mixte de ville puissent racheter une partie du foncier et réhabiliter ? Handicap majeur : nos 36 000 communes ! L’Allemagne, elle, a fait sa réforme dans les années 1970 et peut miser sur de grands territoires. Nous attendons (cf. réforme Balladur) toujours la nôtre. Aujourd’hui, nous avons le Scot, mais il a pour défaut de reposer sur le volontarisme. Des élus de petites communes peuvent refuser d’entrer dans le Scot de la grande ville pour rester maîtres chez eux, dans leur Scot rural. Il y a urgence pour des zones cohérentes et la promotion de ce que nous appelons des bassins de vie, sans lesquels on ne peut concevoir d’aménagement du territoire pertinent. (1) Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé

Propos recueillis par J.W.-A.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.