Les économies du monde devant la globalité - Numéro 401
01/06/2009
Un éloge de la concurrence sans une seule fois les mots protectionnisme et libre-échange, une gageure ! Une ère commence, celle de la globalité. Elle ne signifie pas globalisation, selon les auteurs1 de l’étude du Boston Consulting Group, mais concurrence généralisée « avec tout le monde, partout, pour tout ». Avec tout le monde ? Traditionnellement, la concurrence signifie lutte, combat pour conquérir des marchés, entreprises ennemies à évincer ou à racheter. Demain, il faudra aussi travailler non seulement contre, mais avec. Avec des clients, des fournisseurs et d’autres partenaires, pour réduire les coûts, comprendre les marchés locaux et développer de nouvelles activités. « Les entreprises, annoncent les auteurs, seront souvent en concurrence selon les deux acceptions du mot “avec” : dans certaines situations, une entreprise sera votre amie et alliée, dans d’autres, elle sera votre rivale et votre adversaire. » Partout ? Aussi bien en Chine, en Inde, en Ukraine, au Ghana, au Chili, en Malaisie, là où des marchés importants se développeront et où les entreprises devront se demander si elles doivent être ou non. « La fièvre des fusions et des acquisitions gagne des pays et des régions inattendus. Les entreprises russes ont ainsi investi en Arménie, en Biélorussie, au Kazakhstan et en Ouzbékistan, et elles ont également racheté des entreprises au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, au Canada et aux Etats-Unis. » Pour tout ? Ce « tout » inclut les clients, les fournisseurs, les partenaires, le capital, la propriété intellectuelle, les matières premières, les talents, les idées, les espaces, les systèmes de distribution, les capacités de fabrication, les ressources naturelles... « Dans cet environnement où les flux de marchandises et de services coulent dans toutes les directions, les entreprises n’ont pas de centre. L’idée d’étranger n’a plus cours. » Le temps où les économies occidentales pensaient que jamais les pays dits en voie de développement ne feraient autre chose que d’imiter leurs produits est loin. Les économies en développement rapide (EDR) posent de nouveaux défis : celui, traditionnel, des coûts, mais aussi celui des ressources humaines, du marketing, de la mobilité et de la rapidité d’action, de l’innovation. En janvier 2009, la publication Scientometrics2 annonce que les chercheurs chinois publient davantage que les américains dans le secteur des nanotechnologies. En 2010, la Chine et l’Inde formeront 1,5 million de diplômés en science et en ingénierie, douze fois plus que le système universitaire américain dans les mêmes disciplines. Le dynamisme des EDR s’illustre des matières premières aux services informatiques en passant par les biens de grande consommation. En décembre 2007, deux cent vingt grands groupes de pays émergents figuraient au palmarès des milles premières entreprises mondiales par la capitalisation boursière. Les grandes marques de demain seront peut-être Johnson Electric, acteur chinois de premier plan sur le marché des moteurs miniatures, Goodbaby, fabricant chinois de produits pour enfants, le mexicain Cemex, numéro un mondial du béton prêt à l’emploi, Tata, le plus grand conglomérat indien, ses compatriotes Bajaj, fabricant de motos, et Wipro, géant de l’ingénierie informatique, Embraer, avionneur brésilien, le russe Lukoil, numéro un de l’exploration pétrolière. Leur avénement trouve son origine dans une succession de « chocs sociétaux et d’éruptions économiques » : l’ouverture de la Chine en 1978, la chute du communisme en Europe de l’Est dans les années 1980, les réformes en Inde en 1993, l’ouverture du Brésil en 1997. La vague de changement s’est intensifiée pour trois raisons : le gigantisme des pays (Chine, Inde...) par la superficie et par la population, leur accès aux ressources et aux marchés du monde entier, ouverts sous l’égide de l’OMC, enfin leur soif de réussite, leur appétit d’apprendre. Un milliard d’individus au moins attendent encore, en Chine, en Inde et à l’est de l’Europe, de rejoindre la société de consommation mondiale : « Tous les pays en développement rapide bruissent de la même énergie individuelle », résument les auteurs, les nouveaux venus sont « en général beaucoup plus prompts que la plupart des acteurs historiques à décrypter et à s’approprier les clés de la réussite ». Que faire pour réussir dans « l’univers polycentique de la concurrence généralisée » ? Le Boston Consulting Group recommande sept « épreuves » – écartant l’idée de « tâches » qu’on peut successivement « rayer d’un simple trait sur une liste de choses à faire » – : être attentif à l’écart des coûts, développer les talents, pénétrer les marchés en profondeur, géo-optimiser les activités en fonction de la chaîne de valeur, voir les choses en grand (agir vite, s’aventurer à l’extérieur), innover avec ingéniosité et se mettre à l’heure de la diversité. La globalité, qui signifie multitude, absence de centre, de marché domestique, de hiérarchie géographique, exige d’apprendre à « vivre avec le multiple et le divers, et à en faire une arme de développement ». 1. Harold Sirkin, James Hemerling et Arindam Bhattacharya, cabinet de conseil Boston Consulting Group : Globality, ou la concurrence avec tous, pour tout et partout, Editions Lignes de Repères, 2009. 2. Publiée par Springer Science Business Media.
J. W.-A