Bulletins de l'Ilec

Une jeunesse cruelle aux reniements - Numéro 402

01/07/2009

Pragmatiques, lucides, jamais tristes malgré la crise, les jeunes attendent des marques d’être à l’écoute, et de savoir rester elles-mêmes. Une chance pour elles de rencontrer de nouveaux publics en quête d’authenticité et de cohérence.

Vous êtes responsable d’un indicateur nommé « Observatoire des marques en conversation ». Comment y définissez-vous les jeunes ? Elisabeth Martine-Cosnefroy : Il ne s’agit pas tant d’une tranche d’âge précise que d’une tranche d’état d’esprit, celle de la génération numérique, qui crée les comportements de demain. Notre première étude, conçue en 2007 avec W&Cie, visait à saisir, parmi les internautes de 18 à 34 ans, l’émergence d’une conversation avec les marques dans les nouveaux médias, blogs, forums et communautés. La seconde vague1 observe l’évolution de ce dialogue en période de crise, en s’intéressant à tous les âges. Les jeunes sont incontestablement les moteurs de ce que nous appelons conversation en ligne. Si 52 % des internautes utilisent les dialogues en ligne et les forums, le pourcentage s’élève à 70 % pour les 18-34 ans. Même constat pour ceux appartenant à des communautés en ligne : 45 % y participent, dont 73 % pour la tranche des 18-34 ans. Enfin, parmi les 24 % d’internautes qui utilisent les blogs, 39 % ont entre 18 et 34 ans. Comment se singularisent-ils vis-à-vis des marques ? E. M.-C. : Ils sont totalement décomplexés vis-à-vis d’elles, ils ne culpabilisent pas s’ils n’achètent pas, mais elles sont pour eux un point d’ancrage important : ils ont en tête plus de marques appréciées que de stars… Ils font confiance aux marques qui ont des valeurs, qui sont cohérentes entre le dire et le faire, et c’est sans appel. Depuis la première étude en 2007, leur appréciation de la Fnac s’est ainsi dégradé, ils sont moins nombreux à considérer qu’elle est « en conversation » : une marque qui s’interroge sur sa stratégie s’éloigne d’eux. A l’inverse, Système U, peu considéré sous cet angle en 2007, a progressé depuis deux ans, comme les autres enseignes du grand commerce au premier rang desquelles Leclerc, devant Auchan ou Darty, dont les 18-34 ans apprécient la proximité. Les grandes marques alimentaires, Coca-Cola ou Danone, n’arrivent qu’en cinquième et sixième position : moins d’un tiers de jeunes pensent que ces marques entrent en conversation avec eux. Les jeunes sont-ils contestataires ? E. M.-C. : Ils sont d’abord rationnels, car ils sont nés et vivent quotidiennement dans la crise. Mais ils sont nés également avec les nouvelles technologies et la mondialisation. Ils fondent leur relation à la marque sur le principe du donnant-donnant : ils sont prêts à suivre une marque à condition qu’ils y trouvent leur compte, leur épanouissement, l’adhésion à des valeurs qui leur correspondent. Ils reconnaissent ainsi à Coca-Cola, Danone ou McDonald’s une honnêteté et une sincérité qui s’inscrivent dans la continuité de ces marques, fiables car cohérentes dans leur stratégie. Ils sont moins attirés par une star qui représente une marque que par son fondateur, son histoire, les Steve Jobs, Michel-Edouard Leclerc, Serge Papin, des figures de proue qui incarnent les valeurs de leur entreprise et ses racines. Les jeunes sont séduits par ces entrepreneurs fidèles aux valeurs d’origine. Ne sont-ils pas plus exigeants que leurs aînés et redoutant davantage la manipulation ? N’est-ce pas eux, qui, à la limite, pourraient manipuler les marques ? E. M.-C. : Ils se sentent exposés à la manipulation, mais ils ne se feront jamais manipuler par les marques, car ils ont les moyens techniques de déjouer les manipulateurs, tout ce qui n’est pas sincère. Nous sommes en présence d’une génération qui recrée beaucoup de valeurs, change les modes de relation, hier hiérarchiques, aujourd’hui horizontaux. Vivant dans le temps présent, ils ont une pratique opportuniste au sens noble du terme. Les marques doivent saisir cette opportunité d’écouter et de rencontrer par la conversation de nouveaux publics. La relation à la marque n’est-elle que virtuelle ? E. M.-C. : Situation paradoxale, plus on navigue sur la Toile et plus on a envie de rencontrer de vrais gens. Il y a revalorisation du point de vente : huit décisions d’achat sur dix s’y font, car c’est là que les acheteurs sont sensibles aux arguments qui les touchent. Comment les marques doivent-elles parler aux jeunes ? E. M.-C. : Il ne s’agit pas pour elles de faire jeune, de faire adulte, senior, non plus que d’imposer une manière d’être. Les marques doivent d’abord être elles-mêmes. C’est la meilleure façon d’être respecté. Il ne s’agit pas d’être ce qu’elles croient que les autres attendent d’elles. McDonald’s n’a jamais dénié faire de la restauration rapide, a toujours joué la transparence sur la question des calories et dit aujourd’hui à ses clients de « venir comme ils sont ». Même sincérité chez Dove, qui joue la carte de la beauté réelle. Le problème de beaucoup de marques est d’avoir un discours trop lisse, trop conventionnel, unique. Elles sont aussi, parfois, arrogantes et autistes ! Des dimensions que prend en considération votre « Observatoire » (posture, personnalité, expression, ouverture), quelles sont, pour juger des marques, les plus importantes parmi les jeunes ? E. M.-C. : Pour les jeunes, la posture est un signe indispensable, mais elle n’est pas une fin en soi. La personnalité et la transparence sont bien plus fondamentales, mais aussi la cohérence (l’expression) et la proximité (ouverture). Une marque comme M6 a réussi l’alchimie. Mais les marques ne doivent pas imaginer que leur seule présence dans l’univers technologique suffit à créer un lien, à être plus admirées. Avec cette génération, rien n’est acquis. 1. Quatorze secteurs ont été soumis à l’observation, soit cinquante-deux marques de groupe et soixante-dix de produits, en deux mille trois cents enquêtes en ligne menées entre le 3 et 14 avril 2009 parmi des internautes de 15 ans et plus.

propos reccueillis par Jean Watin-Augouard

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