Bulletins de l'Ilec

Contre un consumérisme de façade - Numéro 405

01/11/2009

Entretien avec Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir L’instauration du « super-agrément » semble devoir profiter au premier chef à l’UFC. Pourquoi avoir boycotté les Assises ? En raison d’un différend sur les conditions d’attribution, ou à cause des « préalables » à l’instauration de l’action de groupe ? Alain Bazot : En septembre, nous étions plutôt confiants quant à l’intention du ministre d’engager une réforme visant à renforcer le contre-pouvoir consommateur. Cela supposait deux réformes : un renforcement du mouvement autour des associations indépendantes et authentiquement consuméristes, et l’instauration d’une véritable action de groupe à la française. Nous avons participé aux groupes de travail des Assises et réclamé vainement ces réformes. Nous avons flairé un leurre et nos craintes se révèlent fondées. Après le discours d’Hervé Novelli, il est clair que le gouvernement veut maintenir le statu quo et, pire, enterrer les actions de groupe. Nous avons donc refusé de cautionner par notre présence une telle perspective préjudiciable aux consommateurs. L’instauration d’un super-agrément, dont on ignore tout du contenu réel, des modalités d’attribution et donc de l’étendue des bénéficiaires – le ministre parlant de trois ou quatre associations – ne changera rien au mouvement consommateur actuel. Ce super-agrément ressemble davantage à un hochet qu’à une véritable reconnaissance des associations agissantes et représentatives, avec des droits spécifiques. Le manque de transparence de son instauration en fait l’arbre qui cache la forêt. Loin de renforcer le mouvement consommateur en l’organisant autour d’un nombre plus resserré d’associations réellement indépendantes de tout intérêt politique, syndical, confessionnel, regroupant des consommateurs agissant exclusivement dans le champ consumériste, le projet accentue la dilution du mouvement consommateur et envisage une mise sous tutelle de l’Etat et des entreprises. Cela apparaît notamment en établissant des critères d’agrément peu en phase avec la représentativité consumériste, prévoyant un contrôle tatillon des associations agréées digne d’une économie administrée. En outre, et alors que depuis des années il est dit qu’il y a trop d’associations, l’agrément de nouvelles associations sectorielles dont on ne connaît pas le degré d’indépendance (Afutt, Afub, Freeks)1 semble bien envisagé. Craignez-vous que le super-agrément soit de nature à creuser les divisions dans le collège consommateurs du CNC ? Selon quels critères voudriez-vous que le « super-agrément » soit attribué ? A. B. : Etant une coquille vide, je ne vois pas en quoi le super-agrément pourrait changer quoi que ce soit… Pour un véritable renforcement du contre-pouvoir consommateur, il eût fallu que la création d’un super-agrément repose sur des critères transparents et objectifs d’appréciation de l’activité consumériste des dix-sept associations actuelles, avec une pondération orientée significativement vers l’activité effective au service des consommateurs (traitement de litiges, réalisation d’expertises, communication extérieure, action en justice), et non selon la participation à des instances ou l’appartenance à un regroupement associatif qui ne servent en soi aucunement les intérêts des consommateurs. Or nous avons vu lors des travaux des groupes préparatoires des Assises qu’on était loin du compte. De même, il aurait fallu donner au super-agrément un réel contenu soulignant l’action et la représentativité des bénéficiaires. Ce contenu aurait pu comprendre l’exclusivité de l’action en justice, mesure symbolique, un siège de droit au Conseil économique, social et environnemental national et dans les CES régionaux, ainsi qu’une pondération des voix ou des sièges au Conseil national de la consommation, assurant aux bénéficiaires une influence déterminante et prépondérante sur la gouvernance de cette institution. A défaut, il est clair que l’émiettement qui affaiblit la voix des consommateurs va perdurer. Les critères de représentativité des associations sont-ils toujours pertinents ? Et comment jugez-vous les « indicateurs de performance » en usage depuis 2006 censés éclairer l’Etat dans sa politique de subvention des associations ? A. B. : Aujourd’hui, les critères de représentativité sont aussi peu transparents qu’objectifs. Tout repose sur du déclaratif et il n’y a pas de vérifications permettant d’attester que les moyens de l’Etat convergent vers les associations les plus représentatives. Les crédits sont dilués et cette dilution conduit à un sous-subventionnement des associations agissantes, toujours au détriment des consommateurs. Le régime de l’aide publique (agrément, subvention) serait-il compatible avec une extension de l’action consumériste aux services publics dont le citoyen est aussi un consommateur? Y a-t-il des champs de la consommation peu ou mal couverts par les associations ? A. B. : La question des services publics est épineuse, puisque les Français sont avant tout des usagers et non des consommateurs de services publics, même si, vous avez raison de le noter, la frontière est de moins en moins facile à tracer (problème des numéros surtaxés de l’administration, prix de l’eau, etc.). L’UFC traite de certaines problématiques liées aux services publics. Ce n’est d’ailleurs pas l’agrément qui nous détermine à traiter de tel ou tel sujet. Association de droit privé, nous traitons de ceux relevant de notre objet social ; l’agrément, lui, n’apporte qu’une reconnaissance institutionnelle. Cela dit, il est vrai que l’agrément « consommateurs » est aujourd’hui accordé à des associations qui ne traitent que marginalement de consommation. Ce diagnostic avait d’ailleurs été fait dans le récent rapport Laurent, qui appelait à une rationalisation de l’agrément en refusant de l’octroyer aux associations sectorielles qui ne traitent que de logement ou de transport. Il n’est pas normal que l’agrément « consommateurs » soit donné à des associations dont l’activité prépondérante ne porte pas sur la consommation. Si l’on veut un vrai contre-pouvoir des consommateurs, il faut valoriser l’activité effective au service de la cause des consommateurs, notamment la diversité des sujets consuméristes traités ; malheureusement, cela ne semble pas être l’objectif de la réforme gouvernementale. Le ministre s’est prononcé en faveur de l’instauration, à terme et une fois levés plusieurs préalables, dont la réorganisation du mouvement consumériste et la généralisation de la médiation, d’une action de groupe très encadrée et « en dernier recours », une fois épuisées les procédures de médiation renforcées. Y croyez-vous ? A. B. : Promise par Nicolas Sarkozy en 2007 et figurant dans la lettre de mission de Christine Lagarde, l’action de groupe est effectivement renvoyée aux calendes grecques alors même que les autorités (Autorité de la concurrence, direction du Trésor, Commission européenne, Comité économique et social européen) soulignent que c’est un instrument indispensable à l’émergence d’un contre-pouvoir des consommateurs, et je dirais d’équilibre du marché. C’est l’arlésienne du gouvernement. Hervé Novelli fait de la généralisation de la médiation, règlement amiable des litiges individuels aujourd’hui aux mains des professionnels, un préalable à cette réforme. On est dans le mélange des genres au service du Medef, seul opposant à l’action de groupe. Mais il y a pire que les déclarations d’Hervé Novelli, je retiens des Assises le réquisitoire contre l’action de groupe de Christine Lagarde, dont le degré de surréalisme n’a d’égal que la mauvaise foi dont il est pétri. Comment peut-on encore agiter l’épouvantail du modèle américain, dont il n’a jamais été question en France et en Europe ! Ces Assises se sont donc transformées en enterrement de première classe, par le gouvernement, d’une réforme pourtant indispensable. Il était hors de question que j’escorte le corbillard. Je compte désormais sur les parlementaires, les groupes de travail se multipliant dans chacune des chambres, pour instaurer dans les plus brefs délais cette évolution, élément indispensable à l’effectivité des droits des consommateurs. Comment jugez-vous la qualité de vos relations avec l’INC ? Qu’en attendez-vous de plus, et sa reconfiguration annoncée aux Assises vous paraît-elle en mesure d’y répondre ? A. B. : Devant en principe être cantonné à un rôle purement documentaire au service des associations de consommateurs qui en ont besoin, l’INC sort parfois de ce rôle et exerce une influence dans la défense des consommateurs, ce qui concurrence le travail des associations authentiquement consuméristes et créée la confusion chez les consommateurs… En insistant sur le rôle informatif de l’INC, en y intégrant les comités techniques régionaux de la consommation (CTRC), dont l’ambition politique au détriment des associations de consommateurs, pour certains d’entre eux, est indéniable, et en voulant y inclure la Commission de sécurité des consommateurs et la Commission des clauses abusives, structures indépendantes ayant démontré leur utilité au service des consommateurs, le ministre brouille davantage le rôle de l’INC. L’UFC-Que choisir ne souhaite pas que l’INC se transforme en agence de protection des consommateurs. Elle souhaite qu’il soit cantonné à un rôle d’outil technique à la disposition des associations qui en auraient besoin. Le consumérisme français est-il en voie de regroupement, ou les différences d’approche se creusent-elles entre ses acteurs ? A. B. : Au lendemain des Assises de la consommation, vous l’aurez compris, il est difficile de savoir quel sera le visage du consumérisme à la française demain… Mais il est à craindre que, quels que soient les habillages, les alliances de pure stratégie, nous soyons encore victimes du caractère pléthorique du mouvement consommateur, qui ne devrait plus être composé de dix-sept associations, fort différentes, mais de vingt, voire plus… Cette situation, loin d’être une source de richesse, est une source d’affaiblissement. Le gouvernement n’a pas le courage de définir le consumérisme qu’il entend soutenir et préfère laisser perdurer un paysage atomisé. Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas l’UFC qui en sortira affaiblie, mais malheureusement les consommateurs eux-mêmes ! 1. Association française des uilisateurs de télécommunications, Association française des usagers des banques, association réunissant initialement les utilisateurs de Free qui a élargi son périmètre d’action aux autres fournisseurs d’accès Internet.

Propos recueillis par J. W.-A

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