Bulletins de l'Ilec

Consumérisme sans « juridisme » - Numéro 405

01/11/2009

Dix ans après sa création, la plate-forme Conso-France réunit neuf associations de consommateurs généralistes ou spécialisées, syndicales ou familiales. Si elle revendique une communauté d’approche qui l’oppose aux tenants des coups d’éclat médiatiques, Conso-France entend préserver sa diversité et refuse la perspective des « regroupements structurels » qu’ont pu souhaiter les pouvoirs publics.

Entretien avec le bureau exécutif de ConsoFrance : Daniel Foundoulis, président, Valérie Gervais (Association Force ouvrière consommateurs) et Patrice Bouillon (Indecosa-CGT), vice-présidents Les critères de représentativité des associations sont-ils toujours pertinents ? La notion de représentativité des associations de consommateurs renvoie à différentes réalités. Si l’on s’en tient aux textes du Code de la consommation, les critères de représentativité qui permettent à une association d’être agréée pour ester en justice : dix mille adhérents au moins, un objet statutaire explicite de défense des intérêts des consommateurs, une indépendance par rapport à toute forme d’activité professionnelle, notamment, nous semblent suffisamment précis et contraignants pour identifier, dans le domaine de la consommation, les principaux interlocuteurs des pouvoirs publics et des professionnels, et pour limiter la conduite des actions en justice à des acteurs compétents. Cependant, il importe de considérer la question de la représentativité de manière plus globale : une association peut avoir un champ d’action et être représentative à un niveau international, national ou local. Sa représentativité dépend aussi de son domaine d’intervention : une association peut être pertinente dans un secteur donné de la consommation mais ne pas l’être dans tous. Aussi sommes-nous favorables au maintien des critères de l’agrément tels qu’ils figurent dans le Code et non à une acception étroite du terme de représentativité. Qu’est-ce qui qualifie une association adossée à un syndicat en matière de consommation ? Les syndicats n’ont-ils pas joué un rôle de pionniers il y a quarante ans, dépassé aujourd’hui que des organisations consuméristes de plein exercice occupent le premier rang ? Nous reformulons ainsi la question : « Pourquoi les organisations syndicales ont-elles souhaité créer, il y a un demi-siècle, leur propre association de consommateurs ? » L’Organisation générale des consommateurs (Orgéco) a été fondée en 1959 par plusieurs organisations syndicales pour donner davantage de poids aux consommateurs face aux professionnels1. L’énoncé des objectifs et des propositions tels qu’ils figurent dans les textes fondateurs de l’association suffit à en démontrer toute l’actualité : « l’étude des conditions économiques générales de production, de transformation et de commercialisation de tous les biens de consommation et d’équipement produits ou utilisés en France, l’éducation des consommateurs, la défense des intérêts matériels et moraux des consommateurs ». Suivent un certain nombre de propositions, en particulier sur « l’information des consommateurs par la publicité des prix, la défense de la qualité des produits par l’attribution de labels, la suppression des prix imposés et le renforcement de la réglementation des ententes ». Les moyens à employer n’ont rien perdu non plus de leur pertinence, puisqu’il s’agissait alors de recourir à : « l’utilisation de journaux, revues, circulaires, l’intervention à la radio et à la télévision, les conférences de presse, la représentation des consommateurs au sein des organismes administratifs et para-administratifs habilités à prendre des décisions ou à formuler des avis sur les problèmes à caractère économique et notamment ceux qui touchent au pouvoir d’achat ». Tout au plus convient-il d’ajouter aujourd’hui le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Quant à savoir qui occupe le premier rang, il convient de remarquer qu’il existe différentes manières de procéder : miser sur le tout médiatique et le tout judicaire, ou privilégier à la fois le dialogue avec les professionnels et les pouvoirs publics et le service aux consommateurs, ce qui est la démarche de ConsoFrance, qui regroupe neuf associations accueillant les consommateurs dans plus de deux mille permanences sur tout le territoire français, DOM-TOM compris. Les associations membres de ConsoFrance représentent des sensibilités diverses, seules quatre d’entre elles sont d’origine syndicale, les cinq autres ayant chacune leur propre histoire, liée à l’éducation populaire, au mouvement familial, aux problématiques particulières du logement ou des transports. Cette richesse d’approche, pluraliste de surcroît, paraît elle aussi très actuelle, au moment où le développement durable prend toute sa place dans le débat public : en effet, le but commun des associations de ConsoFrance consiste en la défense d’un consumérisme social et environnemental, aux antipodes d’un étroit consumérisme unidimensionnel. Les intérêts défendus par les syndicats sont-ils souvent contradictoires avec les fins des associations de consommateurs ? Si les grandes centrales syndicales se sont toutes dotées de leur propre association de consommateurs, c’est bien la preuve qu’il fallait combler un vide criant : défendre les droits des salariés dans les relations qu’ils nouent en tant que consommateurs. Les intérêts des uns et des autres, loin d’être antagonistes, se révèlent complémentaires : pour que les consommateurs disposent de produits et services de qualité à un prix abordable, il faut que les salariés soient formés et en nombre suffisant, et que l’organisation et les conditions de travail rendent l’entreprise compétitive. De plus, salariés et consommateurs ont également intérêt à ce que l’entreprise respecte l’environnement. La seule véritable divergence d’intérêts provient à notre sens des distorsions de concurrence qui sont provoquées par le non-respect par certains pays des normes sociales internationales communes de référence que sont les normes de l’Organisation internationale du travail : pour mettre fin à cette situation, il faudrait avant tout que cette organisation dispose de réels pouvoirs de sanction, à l’instar de l’Organisation mondiale du commerce en matière de règles commerciales. Fallait-il réformer le Conseil national de la consommation (CNC) ? Réclamez-vous la constitution d’un collège spécifique pour les syndicats ? Il est toujours possible d’améliorer le fonctionnement d’une instance administrative et ConsoFrance a fait des propositions en ce sens : en particulier, afin que l’avis des consommateurs soit mieux pris en compte, nous avons demandé que la position des consommateurs fasse l’objet d’une communication en annexe des avis. Nous souhaitons aussi très fortement que soient mis en place des comités régionaux de la consommation permettant un dialogue avec les professionnels et les pouvoirs publics à un niveau déconcentré, de façon à traiter les problématiques locales et à faire remonter au CNC celles qui ne trouvent pas de solution au niveau régional. Par ailleurs, nous ne voyons pas à quel objectif répondrait la constitution d’un collège spécifique pour les syndicats, d’autant moins que nous appartenons à une coordination qui comporte des associations d’origines diverses et qui ne regroupe pas toutes les associations d’origine syndicale. Le rapport Laurent2 déplore le « refus des associations membres de ConsoFrance » d’aller au-delà de leur actuel regroupement. Alors que semble s’affirmer une aspiration à la consommation socialement responsable, une association commune au consumérisme syndical n’aurait-elle pas plus de sens que l’émiettement actuel ? Le consumérisme syndical n’existe pas. En revanche, la coordination ConsoFrance poursuit clairement l’objectif d’un consumérisme socialement responsable : non seulement cet objectif figure dans nos statuts mais nous privilégions la concertation tant avec les pouvoirs publics qu’avec les professionnels. Nos associations sont particulièrement investies dans les travaux du Conseil national de la consommation et dans toute une série d’instances sectorielles, aussi bien au plan national qu’au plan local : c’est aussi ce qui nous autorise à dire que notre diversité constitue une richesse, puisqu’elle nous permet d’être présents dans un grand nombre d’instances de concertation, dans l’intérêt des consommateurs. Le ministre s’est prononcé en faveur de l’instauration, à terme et une fois levés plusieurs préalables, dont la réorganisation du mouvement consumériste et la généralisation de la médiation, d’une action de groupe très encadrée et « en dernier recours », une fois épuisées les procédures de médiation renforcées. Y croyez-vous ? Les pouvoirs publics vont bien être obligés, au moins sous la contrainte de l’Union européenne, de mettre en place une action de groupe. Nous considérons que celle-ci est nécessaire : il doit y avoir une épée de Damoclès qui pèse sur les professionnels, pour les inciter à traiter correctement leurs clients, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Cela étant, nous ne sommes pas favorables à l’instauration d’une action de groupe à l’américaine, qui remplit les poches des avocats plutôt que celles des consommateurs et peut pénaliser fortement des entreprises alors qu’elles apportent beaucoup au développement du pays. Nous estimons que la France devrait être davantage motrice, ne serait-ce que pour que le dispositif mis en place soit le plus conforme possible à notre droit national et à nos principes. L’instauration du « super-agrément » qualifiant pour actionner une hypothétique action de groupe va-t-il vous inciter à chercher un rapprochement avec d’autres associations afin de l’obtenir ensemble ? Nous ne savons pas grand-chose de ce « super-agrément », que nous percevons à ce stade comme un cadeau fait à deux associations isolées, qui n’ont qu’un faible rayonnement social, pour redorer leur blason. Nous avons la volonté de développer et de rendre plus visible ConsoFrance, par tous les moyens possibles et sans chercher des alliances de pure opportunité. Comment jugez-vous la qualité de vos relations avec l’INC ? Qu’en attendez-vous de plus, et sa reconfiguration annoncée aux Assises vous paraît-elle en mesure d’y répondre ? Nous apprécions d’avoir à notre disposition un outil, l’INC, qui nous apporte un soutien technique précieux et la garantie de la neutralité d’un service public. Cela dit, l’Institut devrait rendre des comptes plus précis sur les services apportés à chacune de nos associations. Par ailleurs, le projet de réforme qui prévoit de fusionner les services de la Commission des clauses abusives et de la Commission de sécurité des consommateurs avec ceux de l’INC nous inquiète fortement, car ces deux organismes fonctionnent aujourd’hui très bien, leur indépendance est garantie, et nous craignons une évolution défavorable à l’avenir. Enfin, nous nous interrogeons sur l’avenir de la revue Soixante Millions de consommateurs, qui constitue un outil précieux pour les consommateurs et leurs associations. Nous sommes en effet très attachés à l’existence d’une revue d’information des consommateurs indépendante et objective. Le consumérisme français est-il en voie de regroupement, ou les différences d’approche se creusent-elles entre ses acteurs ? Il convient de s’interroger sur ce qu’on entend par « regroupement » : l’heure ne nous semble pas à des regroupements structurels. En revanche, au moins deux différences d’approche sont apparues de manière manifeste : d’un côté un consumérisme « juridiste », réduit à sa dimension contractuelle, de l’autre un consumérisme ouvert sur l’ensemble des questions auxquelles est confronté le consommateur : ses droits bien sûr, mais aussi son pouvoir d’achat, la satisfaction de ses besoins de disposer de produits et services répondant à des exigences sociales et environnementales à des prix abordables. C’est cette deuxième approche qui est défendue par ConsoFrance. 1. L’Orgéco n’est pas adhérente de la fédération Conso France (NDLR). 2. Dominique Laurent, Mission relative au mouvement consumériste en France, mai 2009, p. 16 (document téléchargeable depuis www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000204/index.shtml).

Propos recueillis par J. W.-A

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