Un consumérisme multidimensionnel - Numéro 405
01/11/2009
Les critères de représentativité des associations sont-ils toujours pertinents ? J.-M. B. : Les critères du super-agrément comme ceux déjà en place instaurent une compétition entre les organisations dont le principal effet sera pour elles de proposer des actions quantitatives ou purement médiatiques (par exemple des conférences de presse), pour obtenir un meilleur classement. Cela se fera au détriment de la qualité des actions et de la mutualisation souhaitable de l’activité, voire de l’expertise sectorielle des organisations, et donc de leur crédit. Des critères tels que la réponse aux consultations européennes, le nombre d’auditions parlementaires, l’organisation de conférences de presse ou la réalisation et la diffusion d’essais comparatifs limitent d’emblée la sélection à quelques associations (trois), voire à une seule : mensuel vendu en kiosques, réalisation et diffusion d’essais comparatifs. On peut à cet égard s’interroger sur le sort réservé à la revue de l’INC Soixante Millions de consommateurs. Les critères ne respectent pas les choix statutaires des organisations : en quoi peut-on estimer que le versement d’une cotisation à une organisation consumériste internationale est un critère d’activité ? Cela revient à pénaliser une association de consommateurs qui n’adhèrerait pas aux orientations des organisations internationales existantes, soit en lui faisant renoncer au bénéfice de ce critère, soit en la faisant adhérer pour des motifs éloignés de son éthique. Les critères de représentativité ne tiennent pas compte de la désinstitutionalisation en cours depuis deux décennies, voire de la défiance institutionnelle. De même ils ne prennent pas en compte, dans un contexte d’effondrement du social, la complexification de la vie sociale. Nous vivons dans un contexte de fracture sociale et civique face à laquelle nos associations font du soutien basique à l’accès aux droits. Lorsque des familles retirent leurs enfants d’un centre de loisirs parce qu’elles n’ont pas un euro de participation à donner par mercredi, le Cnafal ne se sent pas le droit de leur demander une adhésion. Nos permanences sont ouvertes aux sans-droits. Ceux qui peuvent contribuer sont aussi les bienvenus. Qu’est-ce qui qualifie une association familiale en matière de consommation, vis-à-vis d’opérateurs marchands ? Ces associations n’ont-elles pas joué un rôle de pionniers il y a quarante ans, dépassé aujourd’hui que des organisations consuméristes de plein exercice, nées plus tard, occupent le premier rang ? J.-M. B. : Les associations familiales sont tout aussi légitimes que les autres à intervenir dans le champ de la consommation. Elles ont reçu la mission, par l’ordonnance du 3 mars 1945, de défendre les intérêts matériels et moraux des familles. La défense des intérêts matériels nous ouvre le champ de la consommation, sans compter l’historicité de notre existence, qui fait d’ailleurs que l’Etat nous avait sollicitées les premières. Le Cnafal s’est toujours inscrit au préalable dans le champ de la prévention, de l’éducation, de la formation et de la médiation. Faut-il réformer le Conseil national de la consommation ? J.-M. B. : La dernière réforme1, en inversant le rôle de ses composantes, a profondément affecté le fonctionnement du CNC. En concentrant les pouvoirs décisionnels au seul bureau, elle a suscité une concurrence acharnée entre les organisations, qui avaient bien compris où se prenaient les décisions, et a exacerbé les tensions. Si l’on peut à la rigueur admettre cette inversion des rôles, dans un souci d’efficacité, il paraît indispensable de revoir dans quelles conditions peut être élu un bureau, de façon démocratique et représentative. Pour le Cnafal, les coordinations d’associations2 doivent être prises en compte, ce qui pourrait permettre, à condition que l’ensemble des composantes du CNC en ait la volonté, d’équilibrer la composition du bureau et de lui permettre de remplir plus sereinement ses missions. Le rapport Laurent a déploré le « refus des associations membres de ConsoFrance » d’aller au-delà de leur actuel regroupement. Le Cnafal entend-il œuvrer à un rapprochement plus étroit ? L’instauration du « super-agrément » qualifiant pour actionner une hypothétique action de groupe va-t-il vous inciter à le rechercher ? J.-M. B. : Une reconnaissance des coordinations de consommateurs serait bien venue avec une attribution de moyens permettant de se positionner valablement à l’échelon européen. Elle permettrait de préserver la diversité des approches, d’autant que le BEUC3 n’a aucune raison d’être en position de monopole. Pour le Cnafal, l’objectif de renforcement des organisations de consommateurs, et de visibilité de leur action et de leurs positions, passe lui aussi par la reconnaissance formelle des coordinations, et par l’attribution de moyens leur permettant de remplir collectivement diverses missions, dans un esprit de mutualisation (des compétences et des financements), notamment pour la formation. Cette reconnaissance n’est pas alternative à l’agrément et à l’existence des organisations de consommateurs dans leur pluralisme. Hervé Novelli s’est prononcé en faveur de l’instauration, une fois levés plusieurs préalables, dont la réorganisation du mouvement consumériste et la généralisation de la médiation, d’une action de groupe « en dernier recours ». Y croyez-vous ? J.-M. B. : Pourquoi pas, mais l’action de groupe ne doit pas être un levier de la société du spectaculaire-marchand qui ensevelirait le travail quotidien pour le respect du droit de chacun et de tous ! L’action de groupe ne doit pas affaiblir la médiation, la transaction. Elle ne doit pouvoir intervenir que s’il y a échec constaté des procédures de médiation. Comment jugez-vous la qualité de vos relations avec l’INC ? Qu’en attendez-vous de plus ? J.-M. B. : Nos relations avec l’INC sont bonnes et nous souhaitons son renforcement. Pour le Cnafal, il ne saurait être envisagé de dessaisir l’INC de ses missions de laboratoire d’essais et d’éditeur de médias, qu’il s’agisse de revues ou de sites, proposés au grand public. S’il était jugé que les médias de l’INC ne laissent pas suffisamment de place à l’expression des organisations de consommateurs, il conviendrait d’y remédier, et pour ce faire de mener une réflexion approfondie. Ce point doit être rapproché de la demande, par le conseil d’administration de l’INC au mois de juin, d’un séminaire destiné à réfléchir collectivement à la forme et au fond des supports d’information. Du point de vue du consumérisme familial, y a-t-il des champs de la consommation peu ou mal couverts par les associations ? J.-M. B. : L’empilement des dispositifs sociaux depuis vingt-cinq ans, et la décentralisation ont créé des distorsions dans l’accès aux droits sociaux. Le Cnafal y est très sensible, et il y a sans doute pour les associations des éléments à améliorer dans ce champ. Le consumérisme français est-il en voie de regroupement, ou les différences d’approche se creusent-elles entre ses acteurs ? J.-M. B. : On voit se dessiner des regroupements affinitaires et idéologiques que l’Etat doit respecter. La diversité n’est pas un handicap. Cela fait partie de la tradition de la démocratie française sur le plan politique. Certains voudraient imposer le bipartisme, et les Français le refusent régulièrement. Le syndicalisme est tout aussi éclaté, même si la récente loi sur la représentativité syndicale favorise le regroupement. Il y a 450 000 élus locaux, qui participent de la démocratie, du lien social, de la démocratie sociale. Les Français y sont attachés. Le monde consumériste a droit à une existence faite de pluralisme et de diversité. 1. Une réforme de mars 2005 a ouvert les réunions plénières du CNC à divers organismes, dont l’INC, la CSC ou l’Afssa, lui a donné la possibilité de se saisir lui-même et a fait de son bureau une instance exécutive. 2. Telles que Conso France, dont le Cnafal est membre. 3. Bureau européen des unions de consommateurs.
Propos recueillis par J. W.-A