Bulletins de l'Ilec

Inversions générationnelles - Numéro 408

01/03/2010

Entretien avec Pascale Hebel, directrice du département consommation, Credoc

Le désir de se réaliser porte les jeunes à privilégier les dépenses de communication au détriment des besoins de base. Avec eux se développent des processus d’homogénéisation mondiale des comportements par le choix des marques, mais aussi une consommation moins ostentatoire. Entretien avec Pascale Hebel, directrice du département consommation, Credoc Observe-t-on de grandes ruptures et de véritables effets générationnels dans les pratiques consommatoires depuis cinquante ans ? Pascale Hebel : Des arbitrages se sont inversés, notamment chez les jeunes, qui privilégient les postes loisir, communication, logement, par rapport à d’autres postes qui sont dans la sphère des besoins de base comme l’alimentation ou l’habillement. Cela explique en partie la moindre croissance de ces marchés. Les jeunes ne consacrent que 8 % de leur budget aux dépenses alimentaires, alors que les seniors d’aujourd’hui y consacraient 20 % quand ils étaient jeunes et continuent à le faire. Chez les plus de soixante ans, le poids de l’alimentation et du textile demeure élevé. La nouvelle génération préférerait l’être à l’avoir ? P. H. : Oui, elle entend davantage se réaliser à travers des dépenses plus culturelles au détriment des besoins de base. Elle n’est pas obsédée par le désir de posséder, excepté pour le logement. Elle choisit plus souvent la location que l’accession, dans l’automobile par exemple. Quels sont, depuis cinquante ans, les produits dont la consommation a le plus décliné, et pour quelles raisons, le plus souvent : saturation, dépréciation, changement des besoins, défaillance de l’offre, manque d’innovation ? P. H. : Ce n’est pas tant une question de déclin – nous sommes toujours en période de hausse du pouvoir d’achat – que de baisse du poids de certains postes (alimentation, habillement, équipement du foyer). On constate une forte progression des dépenses subies ou contraintes, de logement, liées à une évolution du confort et à une augmentation du prix d’acquisition. Les nouveaux venus, produits sportifs, sanitaires, cosmétiques ou liés aux NTIC, représentent-ils des consommations additionnelles, ou se sont-ils substitués à d’autres unités de besoin ou postes de dépense ? P. H. : Il faut ajouter les dépenses, en forte hausse, concernant l’éducation. Ces consommations sont additionnelles et elles se font au détriment des dépenses alimentaires, en moindre croissance depuis dix ans. Au vu des postes de consommation, internet a-t-il instauré un fossé générationnel entre les moins de vingt-cinq ans et les autres ? P. H. : En termes d’arbitrage de consommation, non. Les dépenses des jeunes pour internet ne les singularisent pas des adultes par une part plus importante de leur budget. Cependant, la fracture numérique est générationnelle et sociale, quand des catégories modestes n’ont pas accès à internet. Il y a de vraies ruptures en termes de temps passé en ligne et de relations sociales nouées. Les fonctions symboliques de réassurance, d’identification, d’appartenance, liées à la consommation ont-elles beaucoup changé depuis un demi-siècle, et dans quel sens ? Les individus sont-ils subjectivement plus impliqués qu’il y a cinquante ans dans la consommation ? P. H. : L’implication plus forte dans la consommation est liée à la montée de l’individualisme et au déclin des valeurs collectives. La consommation permet à des jeunes générations qui n’adhèrent pas à des partis politiques, des syndicats ou des religions, de mettre en avant leurs systèmes de valeurs. C’est par le choix des marques et leur mode de consommation qu’ils expriment leur engagement, dans le domaine éthique avec le commerce équitable, le développement durable avec le bio. Ils n’hésitent pas à boycotter les marques qui négligeraient leur responsabilité sociale. La consommation ostentatoire des années 1970, celle de la génération précédente, cède le pas à la consommation responsable. Après l’ère de la réassurance qui a marqué les années 1990, nous entrons dans l’ère de la réalisation de soi au travers du développement durable. Le fait que la consommation se mondialise a-t-il pour conséquence son désinvestissement identitaire et statutaire, au profit des sphères communautaires, culturelles ou religieuses ? P. H. : La mondialisation de la consommation conduit à l’homogénéisation dans le choix des marques, particulièrement chez les jeunes, à qui on propose les mêmes enseignes, les mêmes marques, les mêmes produits. Mais cela n’a pas de conséquence en termes de désinvestissement statutaire. Cela favorise au contraire l’homogénéité des comportements chez les jeunes générations de différents pays, avec des communautés internationales fondées sur le choix de marques communes. Principal moteur de la croissance en France, la consommation pourrait-elle, pour la première fois depuis cinquante ans, être en baisse en volume et en valeur en 2010 ? P. H. : La consommation ne baissera pas en valeur en 2010. En revanche, elle risque, comme en 1993, de baisser en volume, car la sortie de crise ne semble pas immédiate, avec comme conséquence un chômage toujours élevé et une baisse du pouvoir d’achat. Cela n’a pas été le cas en 2009, car l’inflation était faible. Tout dépend donc de son évolution.

Propos recueillis par J. W.-A

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