L’attrait du neuf - Numéro 409
01/04/2010
Imitation, tendance ou mode, autant de phénomènes qui ont pour effet de propager l’innovation. De façon plus ou moins consciente ou spontanée. Entretien avec Pascale Brousse, cabinet Trend Sourcing Quelle distinction faites-vous entre imitation, tendance et mode ? Pascale Brousse : Si toutes les trois naissent dans un milieu restreint constitué de créatifs, d’innovateurs que l’on trouve dans des niches, c’est sur le plan de la diffusion et de l’impact sur la société que les différences s’observent. La mode est un engouement passager, qui fonctionne par saisons, un temps court voué à être constamment renouvelé par un processus actif (lancer une mode, faire la mode, démoder...). La tendance est un phénomène collectif plus spontané, c’est l’air du temps, un mélange de valeurs, de goûts, d’habitudes, d’esthétiques correspondant à un moment, à une époque en particulier. On ne lance pas une tendance : elle s’exprime d’elle-même par un ensemble de signaux observables à divers niveaux de la société. Quant à l’imitation, elle est omniprésente. Il suffit qu’apparaisse un modèle de grand couturier sur un podium pour que des ersatz de coupes et de couleurs similaires arrivent sur les étals d’H&M et autres Zara, quelques semaines après. Forcément, ce qui marque, ce qui innove, est toujours repris et décliné. C’est ce qui permet la diffusion des innovations au plus grand nombre. C’est la combinaison de tout cela, les innovations, les imitations, mais aussi la manière dont elles sont reçues et intégrées par la société, qui forme les tendances. Comment naissent les tendances ? P. B. : Une tendance peut se définir comme un fait de société, un nouveau comportement individuel dit signal faible qui deviendra prépondérant demain. De l’individu, ce fait se transmet à un groupe marginal, une communauté. Puis ce signal devient tendance, quand il est adopté par des élites, influenceurs, bloggeurs, journalistes, relais et meneurs d’opinion. Là se situent les premiers événements déclencheurs. La tendance passe dans les milieux bobos, argentés, avant de se diffuser vers une plus large masse. Exemple : les paniers de fruits et légumes livrés une fois par semaine, en direct du paysan producteur. Il y a une dizaine d’années, cette manière de s’approvisionner était étiquetée « post-babacool ». Maintenant, les journalistes de Madame Figaro parlent des paniers et des découvertes culinaires que font les familles du VIIe arrondissement, et la tendance est relayée dans les dîners mondains : « Comment trouvez-vous mon velouté panais-rutabaga-courge ? » Comment décrypter les signes des temps ? P. B. : Chacun a son propre mode de décryptage. Selon moi, l’observation est la clé, ainsi que la curiosité : avoir les sens toujours en éveil et savoir écouter ses intuitions. La méthode, c’est beaucoup de lectures variées, internationales, des voyages réguliers, flâner, observer, rencontrer, interroger des experts et des consommateurs, assister à des conférences, visiter de nouveaux quartiers, des lieux de vente de tout type. Après ces expériences vient une phase capitale d’incubation, d’isolement, pour alimenter la réflexion avant le partage et la confrontation des points de vue. Comment les tendances se diffusent-elles, avec les réseaux sociaux en particulier ? P. B. : La presse, internet, le téléphone multifonction et les réseaux sociaux sont évidemment des pourvoyeurs de diffusion instantanée. Les événements sont relayés sans délai. Les jeunes, en particulier, vivent connectés vingt-quatre heures sur vingt-quatre à leurs réseaux, lors de leurs déplacements partout dans le monde comme depuis leur domicile. La mondialisation agit de deux manières sur la tendance et sa diffusion : en étant un catalyseur phénoménal qui impose les mêmes produits ou lieux de consommation de Tokyo à New York ; en obligeant chacun à une opérer une sélection plus fine de l’information, à distinguer la vraie tendance du signal grossier. Plutôt consciemment ou non ? P. B. : C’est difficile à dire. Comme la propagation est instantanée, on peut s’interroger sur le temps de réflexion des acteurs. Une information épiphénoménale peut devenir tendance pour quelqu’un quand elle est vue ou lue au moins deux fois par le cerveau, et que les premières connexions ou amalgames se produisent. La frontière entre conscient et inconscient est ténue. La porosité des territoires est-elle une tendance lourde ? Ne facilite-t-elle pas l’imitation ? P. B. : Oui, depuis dix ans, la fertilisation croisée s’est imposée. La beauté puise indifféremment son inspiration dans l’alimentaire, la joaillerie, l’astronautique, l’optique, l’automobile. Tout se croise, à l’échelon mondial. Cela est riche d’innovations. Bien sûr, l’imitation suit directement la tendance. Cela fait partie du jeu. Les imitateurs répandent la tendance et facilitent son appropriation par le grand public. De Gucci à Gap, chacun s’y retrouve.
Propos recueillis par J. W.-A.