L’imitation, source de créativité juridique - Numéro 409
01/04/2010
Les imitations de produits ou services procèdent souvent de façon insidieuse, comme par la captation de notoriété. Les textes en vigueur devraient permettre aux opérateurs de se défendre. Entretien avec Me Ryane Meralli, avocate spécialiste de la propriété intellectuelle au barreau de Paris Le concept de marque n’est-il pas apparu, avec les corporations, en partie pour lutter contre la tendance à l’imitation chez les artisans ? Ryane Meralli : Notre droit ne reconnaît pas la notion de concept, il fonctionne avec des règles codifiées. Il est vrai que, sous l’influence du droit allemand et plus largement du droit anglo-saxon, les économistes attachent à la marque la notion d’image de marque et de survaleur. On peut imaginer que la notion de marque a été élaborée pour lutter contre l’imitation en usage chez les artisans. Dans la mode vestimentaire, réputée être une activité d’industries saisonnières, une certaine tolérance est de mise. Acceptée par les professionnels, elle est entérinée par les juges. Ainsi, si la mode est aux jeans blanchis et usés, toutes les marques en proposeront. Pour autant, les jeans seront personnalisés et logotypés. Imitation, copie, parasitisme... La diversité des mots illustre-t-elle une diversité de moyens pour s’approprier le travail d’autrui ? R. M. : En effet, chaque mot désigne une notion juridique précise. L’imitation est définie par le Code de la propriété intellectuelle dans son article L. 713-3, qui dispose : « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public : a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ; b) l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ». Le mot contrefaçon est très précis dans le langage juridique, il désigne la reproduction servile de la marque sur des produits ou associée à des services identiques. On distingue cette contrefaçon proprement dite de la contrefaçon partielle par imitation de certains éléments – signes ou forme – de produits ou de services similaires ou appartenant à un territoire proche, comme les parfums et les montures de lunettes sont proches des vêtements, ou les bagages et la maroquinerie le sont des sacs à main. Le juge se réfère aux pratiques commerciales, à l’emplacement des produits sur les rayonnages des magasins ou à toute extension commerciale qui peut apparaître sur le marché. Soit il s’agit d’une extension de marque (un créateur de vêtements est naturellement conduit à développer une gamme de bijoux ou d’horlogerie), soit il s’agit d’une reproduction approximative d’un signe sur des produits identiques à ceux de la marque enregistrée. Ainsi en va-t-il du fameux crocodile des chemises Lacoste : peu importe qu’il ait la gueule fermée ou ouverte, qu’elle soit à droite ou à gauche. Il y a juridiquement imitation s’il y a risque de confusion, pour un consommateur qui n’a pas les deux produits sous les yeux, le vrai et le faux. Il ne s’agit pas du jeu des sept erreurs mais d’une impression d’ensemble, qui fait que le faux paraît vrai. Certaines imitations sont parfaitement réalisées et les douaniers doivent faire appel aux titulaires des marques pour les repérer, notamment en matière d’électronique. Le mot copie, lui, n’a pas un sens juridique précis, il s’agit d’un mot du langage courant qui couvre de vastes catégories de reproductions, dont au premier chef, selon le Robert ou le Larousse, la reproduction d’un écrit ou d’une œuvre d’art originale. Le parasitisme désigne une « notion prétorienne », une règle reconnue par le juge à partir des principes généraux de la responsabilité civile. Le suiveur se met dans le sillage d’une marque notoire et la parasite. Un parfum Coca-Cola avait ainsi été lancé. Il ne s’agissait pas de contrefaçon par imitation puisque Coca-Cola ne fabrique pas de parfums, mais du détournement d’une notoriété établie et acquise à grands renfort d’investissement de communication, donc d’une appropriation indue. Toute imitation est-elle un acte de concurrence déloyale ? R. M. : Non. La contrefaçon par imitation est définie par un article du Code de la propriété intellectuelle. La concurrence déloyale, elle, se fonde sur l’article 1382 du Code civil, serpent de mer de notre droit (« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »). Il faut, en matière de concurrence, prouver la faute, le dommage et le lien de causalité, pour que le juge sanctionne le responsable. Pour le titulaire d’un monopole confronté à une imitation, il suffit de prouver l’acte d’imitation et le risque de confusion, sans avoir à établir de lien de causalité. De plus, il peut recourir au juge de l’urgence par le biais d’un référé particulier qui permet d’arrêter les agissements contrefaisants. La tendance est-elle à l’augmentation du phénomène de copie ? R. M. : Dans notre économie mondialisée et post-industrielle, reproduire est un jeu d’enfant. Il faut surtout, pour contrecarrer les imitations intempestives, avoir les moyens d’engager des poursuites judiciaires. Souvent, la créativité, pour les dessins ou modèles, vient d’indépendants et de PME. Quand ils sont dépouillés de leurs biens sans être en mesure d’imposer leurs conditions ni de se défendre. L’art contemporain est une source d’inspiration grandissante pour la mode comme pour la publicité. Quant au phénomène de la contrefaçon, il s’amplifie et touche tous les domaines : luxe, pharmacopée, pièces de voiture, d’avion, alimentaire, sans doute les armes, et bien sûr la musique et les films. La technique permet des exploits que le droit a du mal à suivre. Le phénomène de l’imitation est-il bien appréhendé par les autorités, notamment européennes ? R. M. : Oui, il existe un arsenal de textes qui couvrent tous les besoins des entreprises pour la protection de leurs inventions. Les règles du droit de la propriété intellectuelle sont largement harmonisées, même si demeurent des particularismes nationaux. La lutte contre les contrefaçons par les services douaniers est harmonisée et permet des vérifications à toutes les entrées du territoire de l’Union. La règlementation européenne, dans ce domaine, peut être présentée comme le fer de lance de la politique commune de l’Union, elle est particulièrement appréciée par les entreprises des Vingt-Sept, mais l’est aussi dans le monde entier, car le système d’obtention des protections nécessaires est largement ouvert au reste du monde. La jurisprudence évolue de façon cohérente et les décisions nationales sont coordonnées par les décisions de principe de la Cour de justice de la Haye. Le juge national a la possibilité de poser des questions à cette instance. Les actions de la direction du marché unique à Bruxelles sont efficaces et le système peut être cité en exemple d’harmonisation réussie.
Propos recueillis par J. W.-A.