Le parasitisme, imitation envahissante - Numéro 409
01/04/2010
Au-delà des ressemblances dues aux conventions régnant dans une catégorie de produits, la copie parasitaire est un fléau des marques de grande consommation. Elle détruit le contrat de confiance qui les lie aux consommateurs, et les textes en vigueur ne sont pas toujours adaptés aux enjeux. Entretien avec Alain Galaski, directeur général de l’Association – européenne – des industries de marque (AIM) Faites-vous une distinction entre parasitisme, imitation et copie ? Alain Galaski : Une expression que nous utilisons couramment est celle de « copie parasitaire ». Elle désigne la stratégie d’un opérateur qui ne cherche pas la concurrence par les mérites de ses produits, mais profite de la survaleur bâtie sur la durée par un autre auprès des consommateurs. Il faut distinguer entre la copie parasitaire et la contrefaçon. La contrefaçon est souvent liée à des activités criminelles. Elle est d’un autre ordre de gravité. Une distinction plus technique est celle entre la copie parasitaire et la copie d’une marque, d’un dessin ou d’un modèle. Y-a t-il des produits qui se ressemblent sans être parasitaires ? A. G. : Certainement. Une couleur peut devenir un code convenu dans une catégorie, et il y a un nombre limité de formes possibles pour un paquet de riz. La nature parasitaire implique la volonté de copier certains éléments visuels distinctifs d’un produit phare, pour créer une apparence similaire trompeuse. Est-il possible de trouver des produits qui ne ressemblent pas à d’autres tout en étant dans la même catégorie ? A. G. : C’est la base même du modèle de la marque, qui veut développer un caractère et des avantages distinctifs pour se différencier des concurrents. Promenez-vous dans un supermarché et constatez par vous-même ! Quels sont les effets du parasitisme pour les fabricants ? A. G. : La copie parasitaire est une forme de concurrence déloyale. De nos jours, les investissements nécessaires au développement et au lancement d’une marque sont considérables. Le retour sur l’investissement en recherche, innovation et communication demande du temps de présence en rayon avant apparition de produits concurrents. C’est cette fenêtre de temps qui, aussi, permet de tisser un lien fort avec les consommateurs. Et c’est ce lien fort qui sera déterminant pour rentabiliser l’investissement à long terme. L’auteur de la copie casse cette fenêtre et dénoue ce lien. Lorsqu’il est un grand distributeur, client du fabricant de produits de marque, qui a accès à des informations sur le lancement d’un produit et sur ses caractéristiques des mois avant les autres concurrents, le bris de glace peut avoir lieu encore plus tôt. La prévention et la lutte contre les copies entraînent aussi des coûts directs. Et pour les consommateurs ? A. G. : C’est une source de confusion. Dans le pire des cas, ils achèteront une copie en croyant acheter l’original. S’ils font la distinction, ils attribueront souvent la paternité de la copie au fabricant du produit original. Dans les deux cas, ils sont trompés et risquent de mettre une éventuelle mauvaise expérience sur le compte du fabricant de la marque originale. Ces deux types de confusion cumulés peuvent concerner 20 à 30 % des consommateurs. Par ailleurs, la place qu’occupent les copies sur les rayons représente autant de place en moins pour une vraie alternative, y compris une marque de distributeur qui accepte la concurrence au regard de ses mérites. Le phénomène de l’imitation parasitaire a-t-il tendance à augmenter et quels types de produits touche-t-il plus particulièrement ? A. G. : Alors que la contrefaçon se répand dans presque tous les secteurs de l’industrie où existent des marques fortes, la copie parasitaire est le fléau des marques de grande consommation. Les cas les plus nombreux concernent les copies par des marques de distributeurs (MDD). Comme la part de marché des MDD est en augmentation sur de nombreux marchés et dans un nombre croissant de catégories de produits, le phénomène se développe. L’imitation parasitaire est-elle bien appréhendée par les autorités judiciaires ? A. G. : Pour que le phénomène soit bien appréhendé, il faudrait que les tribunaux soient saisis. Or dans la grande majorité des cas, qui concernent les copies par la grande distribution, les fabricants sont réticents à porter un litige avec leurs principaux clients devant les tribunaux. Sur de nombreux marchés les juges ont donc peu d’expérience de ces affaires, d’où le peu d’intérêt qu’ils leur portent. Mais dans quelques pays, la France, l’Italie ou l’Espagne, les juges ont été plus créatifs et sensibles aux droits des titulaires des marques, quand les produits parasitaires violaient aussi, même indirectement, quelques éléments des marques enregistrées. L’arsenal juridique est-il insuffisant ? A. G. : Le problème de la copie parasitaire chevauche plusieurs disciplines juridiques, ce qui ne facilite pas la tâche du juge : protection de la propriété intellectuelle, concurrence déloyale et protection des consommateurs. Les lacunes ne viennent pas tant de la loi que du manque d’expérience des juges. Les actions doivent-elles être harmonisées sur le plan européen, au travers de la Commission européenne ? A. G. : Nous avons demandé à la Commission européenne de condamner publiquement la pratique des copies parasitaires. Nous avons également demandé à la direction générale compétente de conduire une étude exhaustive du problème et de son impact sur l’innovation et sur le consommateur. Le dialogue est engagé. La directive sur les pratiques déloyales de 2005 est-elle mal appliquée ? A. G.: La disposition de la directive qui concerne les copies partait d’une bonne intention, la protection des consommateurs. Mais un consommateur – s’il s’aperçoit qu’il a été trompé – n’a pas la même motivation pour s’engager dans un lourd processus de plainte que le fabricant de la marque originale. Cette disposition risque donc de rester lettre morte. Nous ne désespérons pas de convaincre les organisations de consommateurs de porter plus d’attention au problème. Nous pouvons leur montrer un catalogue impressionnant de copies, et une photo est plus parlante qu’un long discours. La directive permet aussi aux Etats de donner aux concurrents de l’industriel copié la possibilité d’agir, mais d’agir dans des conditions qui rendent la disposition peu pratique. Quelles actions recommandez-vous ? A.G. : J’ai mentionné notre dialogue avec la Commission européenne. Les fabricants de produits de marque n’attendent pas tout de la puissance publique et sont conscients qu’il est aussi de leur responsabilité d’agir. L’AIM a publié des guides de bonne pratique qui expliquent comment limiter les risques d’apparition de copies sur le marché, invitent à surveiller les rayons et à répondre promptement à l’apparition d’une copie, qu’il s’agisse d’un concurrent fabricant ou d’un client. En pratique, il est avéré qu’on a plus de respect pour la propriété intellectuelle des fabricants qui se battent pour défendre leurs marques. Faut-il créer un code de bonne conduite ? A.G. : Le code de bonne conduite adopté au Royaume-Uni dans les années 1990 s’est avéré inefficace. Je crois encore moins à l’efficacité d’un code européen. Propos recueillis par J. W.-A.
Propos recueillis par J. W.-A.