Signaux et balancier - Numéro 412
01/07/2010
Vue rétrospectivement, la prospective a ceci de charmant que personne n’a raison ni tort de façon définitive. Comme avec un balancier d’horloge franc-comtoise, chaque idée est bonne à prendre, comme son inverse. Le principe est de percevoir les petits signaux qui font anticiper le prochain mouvement de balancier. Car le propre de leur interprétation n’est pas d’avoir tort ou raison, mais d’aider à agir. Par Philippe Cahen, conseil en signaux faibles et prospective Je me souviens, dans les années 1950, du presse-légumes et de la centrifugeuse Moulinex qui allaient libérer la femme. MLF ou « Moulinex Libère la Femme » aura sa déclinaison politique quelques années plus tard avec le célèbre mouvement féministe MLF. Je me souviens, durant ces mêmes années, que mon père refusait de manger du maïs, un « aliment du bétail ». Aujourd’hui, Géant Vert fête ses quarante ans. J’allais chercher le lait avec un grand bidon chez la vendeuse du trottoir d’en face et ma mère le faisait bouillir. La fin des années 1950 vit l’arrivée du lait en berlingot, pasteurisé, que ma mère s’évertuait à toujours bouillir. Il ne fut pas détrôné par le lait en poudre comme semblait l’annoncer Régilait en 1968, lors de l’ouverture du petit écran à la publicité. Je me souviens, dans la fin des années 1960, que les premiers hommes à aller dans l’espace nous avaient fait imaginer que nous nous nourririons tous, en l’an 2000, de pilules. Je me souviens que, peu de temps après, nous allions tous manger des aliments lyophilisés, que notre cuisine deviendrait un laboratoire moderne, comme en 1958 dans Mon Oncle de Tati. Et je crois me souvenir que, au début des années 70, le soja était promis à devenir la base de notre alimentation, notamment pour remplacer les steaks de bœuf. Je me souviens, en 1972, de la nouvelle cuisine, avec ses cuissons courtes et ses mélanges de saveurs en rupture avec la « cuisine bourgeoise ». On en est aujourd’hui revenu, et la cuisine « moléculaire » a fait long feu. Je me souviens des Nouvelles Galeries, des Dames de France, enseignes entre magasins populaires et grands magasins qui ont disparu, comme, disait-on, devaient disparaître les grands magasins. Ils sont toujours là, les Printemps, Galeries Lafayette et Bon Marché, mais pas à l’identique : ils sont devenus des temples de la mode. Je me souviens aussi que, plus tard, Télémarket a longtemps été considéré comme un audacieux sans avenir. Il est sorti de l’ornière. Je me souviens que dans le Bulletin de l’Ilec n° 362 de février 2005, j’annonçais la fin des grands hypers et proposais des solutions, et je constate qu’en cet été 2010 Carrefour les met en œuvre, mais que certaines sont aujourd’hui dépassées. Je me souviens d’avoir créé dans des agences, de 1983 à 1994, des maquettes de nouveaux produits alimentaires qui remplissaient les stands du Sial, et dont très peu devenaient des produits présents en linéaires, même si les études de marché de nature prospective leur prédisaient un avenir radieux. Je me souviens qu’en 1986 le bifidus apparut avec B’A, l’un des plus beaux coups du marketing alimentaire, dont le succès a sans douté dépassé ses créateurs, largement copiés par d’autres fabricants de produits laitiers. On commençait alors à parler d’alicaments. Je me souviens qu’en 1987 l’aspartam était autorisé en France, comme le sera la Stevia en 2010. Et je crois me souvenir qu’à l’aube des années 1990 ce devait être le quinoa qui allait assumer la fonction du soja, par sa richesse en protéines. Je me souviens qu’entre 1984 et 1988 l’allégé explosa dans les rayons, et que ce fut aussi le bond des portions individuelles. Aujourd’hui, l’allégé a fait long feu. Les signaux faibles ? Un monde que rythme un grand balancier. Après les hypermarchés, c’est le retour à la proximité ; après l’industrie, le retour aux produits du jardin ; après le repas fait main, les repas en collectivité ; après le nutritionniste prescripteur, une application pour téléphone mobile qui donne de manière personnalisée les réponses aux questions de nutrition. Mais aussi de quoi étayer la crainte d’une hausse des prix des produits agricoles, et d’une baisse du pouvoir d’achat des consommateurs…