Bulletins de l'Ilec

Prospective collaborative - Numéro 412

01/07/2010

Entretien avec Eric Seuillet, conseil en prospective, société e-Mergences, et président de l’association La Fabrique du futur

Le futur n’est écrit nulle part en clair, moins encore par la prospective que par la divination. L’heure est à la prospective opérationnelle et à l’innovation 2.0. Entretien avec Eric Seuillet, conseil en prospective, société e-Mergences, et président de l’association La Fabrique du futur Quel regard portez-vous sur la prospective et ses erreurs ? Eric Seuillet : C’est un fait que les prospectivistes patentés ont commis beaucoup d’erreurs. Pour ne mentionner que quelques perles, citons les prévisions de la revue Nature, fin 1997, pour le 1er janvier 2001: le remplacement des lettres par le courrier électronique, des claviers par des « secrétaires électroniques vocaux », des composants de la taille du nanomètre, des remorquages d’icebergs destinés à l’Afrique et l’utilisation de la thérapie génique en chirurgie esthétique. Vers 2015, la culture des tissus embryonnaires est encore censée produire des « pièces détachées » humaines… Je m’occupe de l’émergence de produits et de services novateurs, des innovations de rupture provenant des entreprises. Il faut reconnaître que la prospective n’est pas là dans son meilleur élément. En prétendant prédire l’apparition de certaines inventions, elle donne des verges pour se faire battre. Le rôle de la prospective n’est pas de faire des prédictions dans quelque domaine que ce soit. La prospective n’a pas, ou ne devrait pas avoir, de vocation divinatoire. Une prospective digne de ce nom doit se contenter d’élaborer des scénarios, d’esquisser des futurs possibles, pas de dire ce que le futur sera. Dans l’innovation entrepreneuriale, comment voyez-vous son rôle ? E. S. : Dans un monde qui se globalise et où tout s’accélère, les entreprises sont confrontées à des enjeux majeurs. Elles doivent pouvoir prendre des décisions rapides dans des environnements de plus en plus complexes. Le risque qu’elles courent est de tomber dans la dictature du court-termisme. Elles doivent en sortir, il en va de leur survie. Les entreprises semblent enfin prendre conscience que la prospective est pour elles une nécessité, pour mieux appréhender le futur, mieux comprendre leurs consommateurs et leur environnement socio-économique. Il est ici question d’une prospective très opérationnelle, dont le but est d’aider les chefs d’entreprise à innover afin d’adapter leur mode de gestion, leur offre et leur modèle économique aux profondes mutations en cours. Comment anticiper le futur et innover en minimisant les risques d’erreur ? E. S. : Pour toute entreprise, l’innovation est risquée, et l’erreur dans ce domaine peut coûter très cher, voire mettre en péril son existence même. Les chiffres le prouvent : 80 % des inventions actuelles resteront dans les placards. Ce seront des échecs. Cela entraîne un gâchis énorme en termes de coûts et d’efforts, pour arriver à mettre sur le marché de vraies innovations – on entend par là des produits ou des services nouveaux qui seront adoptés par les consommateurs, et si possible durablement, car il ne s’agit pas de produire un feu de paille marketing. En matière d’innovation, les entreprises doivent sortir des approches logico-déductives consistant à se réfugier derrière des tableurs Excel et à tout miser sur la technologie. Comme nous l’avions annoncé dans les livres Fabriquer le futur Fabriquer le futur 1 et 21, l’innovation doit remettre l’homme au centre du processus. Elle doit réhabiliter les approches « cerveau droit », les raisonnements inductifs, l’imaginaire, la créativité… L’innovation qui réussit est celle qui prend en compte les rêves et aspirations des consommateurs et leurs vrais besoins. Il ne s’agit pas d’opposer la technologie et l’humain, mais de réconcilier les deux, pour des innovations responsables et durables. Pratiquement, y a-t-il des méthodes et outils concrets pour prévoir et concevoir les innovations qui réussiront ? E. S. : Pour réussir, une innovation doit être en phase avec son temps et arriver au bon moment. Etre à la remorque des concurrents n’a pas d’intérêt, mais être trop précurseur n’est pas non plus un gage de succès. La solution réside dans le bon moment de la rencontre entre des usages émergents et des innovations qui peuvent répondre à ces usages. C’est pourquoi notre association La Fabrique du futur mise sur l’implication de communautés d’usagers pilotes qui deviennent des cocréateurs de produits et de services innovants, et qu’elle a cofondé l’outil « SmartSystem », qui s’appuie sur la 3D, la réalité augmentée et les univers virtuels : ces techniques favorisent l’implication des clients en libérant leur inventivité, stimulent la collaboration et créent de l’intelligence collective. La meilleure façon de ne pas se tromper en ce qui concerne le futur n’est-elle pas de participer à sa fabrication, en conviant tous ceux qui sont intéressés à devenir partie prenante du processus d’innovation ? C’est probablement là le secret d’une prospective qui agit et réussit. Propos recueillis par J. W.-A. 1. Editions Village mondial, 2008 et 2009.

Propos recueillis par J. W.-A.

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