Rationalité et sérendipité - Numéro 412
01/07/2010
I nterroger la pensée prospective peut nous aider à comprendre le présent, et notre façon de nous le représenter. Par Danielle Rapoport, cabinet DRC Avec la démarche prospective, il ne s’agit ni de prédiction, qui induirait une posture déterministe, ni de folie créatrice, qui se détacherait totalement du réel. Si la prospective en entreprise est stratégique, qu’elle implique une action – capacité réactive, projection dans l’avenir, choix nécessaires… –, on ne peut que saluer son adoption. Capacité à se laisser pénétrer par du questionnement sur l’actuel et le factuel, à accepter l’incertitude, croyance dans la possibilité d’un futur, cela introduit une rupture de taille dans nos modes de fonctionnement court-termistes. Et pourquoi pas un principe d’espérance, en contrepoint de celui de précaution ? Le principe de responsabilité est aussi à l’honneur dans la prospective, car si rien n’est prévisible, l’avenir dépend de ce que les hommes et les organisations font ici et maintenant. La prospective est une bonne hygiène vitale pour des entreprises, qui brident leur audace et leurs capacités projectives sous des contraintes que souvent elles s’imposent, reniant leur ancrage et leur histoire. Quelles sont les limites de la démarche prospective ? Elle connaît des erreurs, mais faut-il parler d’erreurs quand rien ne garantit la réussite d’un scénario prospectif, qui est plus un pari qu’une prévision ? Ces écarts révèlent les peurs sous-jacentes à la démarche : le fantasme d’une nourriture en comprimés montre la peur d’une rationalisation totale de l’acte de manger, de l’hyperindustrialisation et de la perte identitaire des aliments, la diabolisation de l’artificiel, et les attentes placées dans le « naturel » et les liens de commensalité. Comme si le monde se scindait entre nostalgie d’un passé où tout reste comme avant et la peur d’un avenir où tout changement est porteur de valeur négative. Il est intéressant d’analyser les scénarios imaginés à l’aune de contextes psychosociaux et économiques donnés, ne serait-ce que pour connaître les peurs et les espoirs qui nous gouvernent. Les prospectivistes et ceux qui les sollicitent dans leurs stratégies doivent allier prudence et audace, rationalité et sérendipité, l’art d’inférer à partir d’indices parcellaires ou fortuits.