Un cas d’école en Europe - Numéro 417
01/02/2011
La CEPC semble, par sa mixité public-privé, une institution unique dans le paysage européen. Entretien avec Andres Font Galarza, cabinet juridique Gibson Dunn Quels sont les équivalents de la CEPC dans les autres pays d’Europe ? Andres Font Galarza : Les instances consultatives du pouvoir public qui réunissent des acteurs économiques d’un secteur déterminé sont nombreuses dans les Etats de l’Union – et sur le plan européen, le Conseil économique et social est un exemple. Leurs rapports et leurs avis servent aux pouvoirs exécutifs et législatifs à améliorer le cadre normatif, dans le sens de l’efficacité et de la proximité avec les besoins économiques. Cependant, il me semble que la CEPC est beaucoup plus qu’une instance consultative et qu’elle se singularise en étant quelque chose d’unique en Europe. La magistrature d’autres Etats ne voudrait pas siéger à coté des représentants de l’industrie et du pouvoir exécutif. Par ailleurs, les autorités de la concurrence sont très jalouses de leur indépendance. L’étendue des compétences et le niveau de détail des interventions de la CEPC, dont l’examen couvre des documents commerciaux ou publicitaires, les contrats entre revendeurs et fournisseurs, et toutes les pratiques susceptibles d’être considérées comme abusives dans la relation commerciale, me semblent aussi exceptionnels. Il est difficile de trouver des institutions proches de la CEPC dans d’autres Etats. La création d’une institution semblable, de par son caractère hybride public-privé complexe, y demanderait des changements législatifs significatifs, nonobstant un nécessaire consensus dans l’industrie, qui devrait l’accepter et collaborer dans un cadre quasi réglementaire. Or la question est importante, car les problèmes de fond, dans les rapports entre fournisseurs et distributeurs, sont semblables partout en Europe, et souvent les acteurs opèrent aussi à l’échelon européen. Attendons de voir quelle sera l’interaction entre la CEPC et les futures solutions d’harmonisation dans l’UE. Commissions, médiateurs, codes de conduite… La CEPC s’inscrit-elle dans un glissement vers la soft law anglo-saxonne ? A. F. G. : Il me semble que le mandat, le processus et ce que la CEPC produit sont sui generis, mais guère proches du concept anglo-saxon de soft law. La soft law approach anglo-saxonne est complémentaire du common law system, où l’interprétation des juges et la jurisprudence ont un grand poids dans le système législatif. Les autorités anglo-saxonnes ne légifèrent que si cela est strictement nécessaire. Elles publieront des codes de conduite ou des lignes directrices sur la base de leur expérience, en espérant que le monde économique suivra et que tout fonctionnera mieux. A l’échelon de la Commission européenne, les « lignes directrices » s’apparentent à la soft law, car elles témoignent d’une policy, d’une orientation politique sur la base de l’expérience accumulée dans un esprit de transparence, et transmettent une sécurité juridique aux acteurs économiques assujettis au droit. La CEPC semble être davantage une instance institutionnelle, toujours dans l’esprit du civil law, qui essaie de trouver un consensus dans l’industrie sous l’arbitrage des pouvoirs publics. En somme, dans le soft law system, une politique, au sens de policy, est annoncée par ceux qui vont appliquer les normes. La CEPC semble plutôt représenter le cadre et le processus en soi vers une policy. Les commissions seraient-elles plus adaptées au tempérament français que les codes de conduite? A. F. G. : Il ne faut pas oublier que le système juridique et institutionnel français a inspiré et continue d’inspirer d’autres pays européens. Les solutions à la française sont plus faciles à appliquer en Espagne que la soft law approach anglo-saxonne. Telle approche n’est pas meilleure que l’autre, elles sont simplement différentes. En outre, les commissions comme la CEPC et les codes de conduites peuvent cohabiter. Une telle cohabitation serait d’ailleurs plus facile en France, où le cadre est riche et complexe. Tout dépend de la perspective retenue. Il me semble intéressant que la CEPC ait le pouvoir de saisir les autorités pour se prononcer sur une question. Cela peut contribuer à mieux assurer, au sein des entreprises, le respect des politiques que les gouvernants veulent mettre en œuvre. Cependant, certains pourraient juger ces pouvoirs trop interventionnistes eu égard à la liberté économique des opérateurs sur le marché. Le type de dispositif retenu est-il, d’un pays à l’autre, lié à la nature des principales pratiques litigieuses ? A. F. G. : Si la nature d’une pratique peut déclencher une sanction ou des conséquences significatives du point de vue de la position juridique ou de la liberté économique, il semble logique que le type de dispositif et le cadre institutionnel soient les plus exigeants possible, relativement à la certitude juridique et au respect des droits de la défense. Si, par exemple, la pratique en cause est directement liée à la politique des prix, le dispositif devra être législatif ou quasi législatif, et le cadre institutionnel le plus garanti possible. En revanche, si la nature du comportement relève plutôt des abus sporadiques sous des aspects commerciaux moins stratégiques que le prix, alors des dispositifs légers et consensuels, telle une commission, peuvent s’avérer adéquats. De toute façon, lorsque le problème est vraiment structurel, en termes de déséquilibre dans la chaîne de distribution, aucun des deux dispositifs évoqués ne suffit à résoudre le problème, ils peuvent seulement l’atténuer à différents degrés.
Jean Watin-Augouard