Bulletins de l'Ilec

L'effet du poids - Numéro 419

01/04/2011

Entretien avec Jean-François Trinquecoste, cofondateur de l’Observatoire de la fidélité et professeur de marketing à l’IAE de l’université Montesquieu Bordeaux-IV

Si le « capital de marque » détermine le degré de fidélité du consommateur, la part de marché y contribue également. Entretien avec Jean-François Trinquecoste, cofondateur de l’Observatoire de la fidélité et professeur de marketing à l’IAE de l’université Montesquieu Bordeaux-IV Fidélité à la marque ou fidélité de la marque ? Jean-François Trinquecoste : Rappelons l’étymologie du mot « fidélité » : fides, et son lien intime avec la confiance. Pour qu’une marque ait des raisons d’avoir « confiance » en ses consommateurs, il faut qu’elle-même mérite leur confiance. Le consommateur ne doit rien à la marque ; la seule chose qu’il doive à lui-même et à ceux qui dépendent partiellement de ses dépenses, c’est de maximiser l’utilité de son pouvoir d’achat. C’est à la marque de mériter ses consommateurs. Une marque fidèle à elle-même est une marque qui ne déçoit pas. Dans les produits de grande consommation (PGC), y a-t-il beaucoup de marques dont la disparition susciterait une réelle frustration chez les consommateurs ? J.-F. T. : Non, si elles devaient être remplacées par des marques occupant le même positionnement avec la même efficacité. Oui, si en dépit de ce remplacement la marque devait être regrettée, quand elle est ressentie comme un compagnon de route et que sa disparition est associée à un sentiment de nostalgie. La problématique fidélité-infidélité est-elle un questionnement récent et généralisé pour les marques ? J.-F. T. : Tout le temps que l’on vit dans la réalité ou le mythe d’un de perdu, dix de retrouvés, la problématique de la fidélité peut ne pas être prioritaire. En période d’hypercompétition économique et de marchés saturés – comme c’est le cas depuis un certain temps –, c’est un impératif généralisé. Du capital de marque ou de la qualité du produit, quel facteur prime dans la fidélité des clients ? J.-F. T. : Ces notions sont liées. Il est difficile d’établir un capital de marque sans stabilité de la qualité perçue des produits. Le capital de marque est la véritable unité de combat actuelle des stratégies mercatiques. Il peut englober des familles entières de produits. Il est un facteur de confiance a priori et un facteur de résistance convenable à d’éventuelles déceptions, à condition qu’elles soient sporadiques et éphémères. La sophistication des programmes de fidélisation se justifie-t-elle par une infidélité croissante des consommateurs ? J.-F. T. : Elle se justifie, du fait des pratiques de séduction des marques concurrentes et du souci du consommateur d’assumer de mieux en mieux sa pratique d’achat et de consommation. Ces programmes méritent-ils le reproche d’être des usines à gaz ? J.-F. T. : On peut reprocher aux usines à gaz d’être des usines à gaz si l’on peut se passer de gaz, ou si, en dépit de leur sophistication, elles donnent peu de gaz. De manière similaire, on pourra reprocher aux programmes de fidélisation d’être trop lourds ou compliqués, s’ils aboutissent à une fidélisation dont on pense pouvoir se passer, ou à une fidélisation insuffisante. A chaque entreprise d’apprécier, au cas par cas. Les marques doivent-elles associer les consommateurs à l’innovation pour les fidéliser ? J.-F. T. : Nombre d’observations et de recherches semblent l’attester. Pour les innovations dites incrémentales, la satisfaction du consommateur est probablement plus assurée, sans compter l’attendrissement un peu narcissique sur le mode du « c’est moi qui l’ai fait ». La fidélisation de la marque implique-t-elle la sélectivité (règle de Pareto selon laquelle 20 % des clients génèrent jusqu’à 80 % du chiffre d’affaires) ? J.-F. T. : Un certain nombre de travaux semblent montrer que la carte de fidélité – particulièrement quand elle est payante – conduit les consommateurs à sélectionner eux-mêmes le cœur de cible le plus intéressant pour l’entreprise. Les consommateurs qui choisissent de l’acquérir font un calcul prévisionnel relatif à l’intérêt de la posséder. Ces choix finissent par dégager le segment des plus gros consommateurs du magasin ou de la marque. La fidélité du consommateur suit-elle la même courbe que celle du cycle de vie de la marque ? J.-F. T. : En matière de fidélité et de marque, on observe généralement ce que les praticiens et les chercheurs anglo-saxons appellent « double jeopardy », c’est-à-dire la double récompense ou la double pénalité : les marques dont la part de marché est la plus forte sont aussi les marques auxquelles les consommateurs sont les plus fidèles, et inversement. L’âge et le sexe sont-ils des variables discriminantes en termes de fidélité ? J.-F. T. : Cette question appelle des réponses diverses selon les produits. Il est des marques de vêtements dont les adolescents se détournent parce qu’elles sont associées à leur enfance, c’est-à-dire parce qu’ils lui étaient fidèles quelques mois auparavant. Les marques cherchent-elles à être fidèles à leurs consommateurs ? J.-F. T. : Les marques cherchent à être à la hauteur de leur réputation, noblesse oblige. Mais elles ont également le souci de se réinventer pour éviter de vieillir avec leurs consommateurs et de se couper des marchés potentiels de prospects plus jeunes. Y a-t-il des formes de fidélité contrainte, associées à l’accessibilité, à la proximité plus ou moins forte des marques ? J.-F. T. : Oui, et cette fidélité n’en est pas vraiment une. Un consommateur qui fait contre mauvaise fortune bon cœur ne peut pas être considéré vraiment comme un client fidèle par la marque qu’il achète pourtant régulièrement. La fidélité est un comportement d’achat répété favorable à une ou à plusieurs marques, nécessairement associé à un attachement à la marque. Sinon il s’agit plutôt d’une inertie de consommation. Dans l’univers des PGC, l’abondance de l’offre ne rend elle pas chimérique la recherche de la fidélité du consommateur ? J.-F. T. : Elle la rend difficile. Ce qui la rend probablement plus encore hypothétique, c’est le besoin de variété qui existe en chacun de nous. Il nous conduit à sortir de la répétition et des sentiers battus, pour découvrir d’autres paysages de consommation. La rupture de l’offre en linéaire affecte-t-elle plus la fidélité à la marque ou la fidélité à l’enseigne ? J.-F. T. : Tout dépend de la force du raccordement de la marque à ses consommateurs, et de la dramatisation de cet attachement par le consommateur. Peu de marques peuvent se targuer – à elles seules – de conduire un consommateur à changer d’enseigne pour les retrouver. Pourquoi autant que la fidélité, l’infidélité ne serait pas un moteur de la consommation ? J.-F. T. : Parce que quand il y a fidélité réussie, des raccordements affectifs ont été établis entre la marque et les consommateurs, parfois par le biais des réseaux sociaux et des communautés de marques, et que, en cette matière comme en d’autres, « le cœur est une grande raison », comme l’a souligné Pascal. Et parce que si la marque s’est installée comme objet d’un lien social, une figure totémique de la tribu des consommateurs (si la consommation est une nouvelle religion les marques en sont les églises), changer de marque, c’est prendre le risque de quitter le clan ou la tribu. Enfin, puisque le mot de risque a été prononcé, parce que la marque, quand elle installe l’idée d’une qualité permanente, est un facteur de réduction a priori du risque perçu à l’achat. Peut-on parler d’une échelle de fidélité d’une marque vis-à-vis de ses clients ? J.-F. T. : Oui, la fidélité, quand elle existe, peut se mesurer en termes de comportements et d’attitudes. Son intensité varie selon les consommateurs, les marques, les moments ou les contextes. Un haut degré de satisfaction n’est-il pas compatible avec l’infidélité ? J.-F. T. : Si. Mais c’est en général une caractéristique qui en limite l’apparition. Il peut y avoir coexistence des deux si la satisfaction, pour être forte, n’en est pas moins inférieure à celle qu’on éprouve dans la consommation d’un produit concurrent, si la marque qui satisfait n’est pas toujours disponible ou si les attentes varient selon les circonstances de consommation. La volatilité des portefeuilles de marques ne les prédisposent-elles pas à vivre dans un contexte général d’infidélité ? J.-F. T. : Je ne suis pas sûr qu’on puisse parler de volatilité des portefeuilles de marques. Quand les portefeuilles de marques évoluent, c’est souvent dans un souci de rationalisation déterminé par une nécessaire concentration des ressources de l’organisation. Dans ce cas, la réorganisation conduit à des stratégies d’extension de marques, associées à une réduction de leur nombre. La fidélité relationnelle tant vantée aujourd’hui ne conduit-elle pas à inféoder les marques aux caprices d’un public éventuellement indifférent ? J.-F. T. : Serait-il préférable que les marques deviennent toutes-puissantes et les consommateurs manipulés ? Le pouvoir des marques et la manipulation des consommateurs par le marketing sont des accusations anciennes à l’encontre du marketing. Dans le cimetière des marques, combien ont été victimes de l’infidélité ? J.-F. T. : En dehors des marques qui ont été retirées par les entreprises elles-mêmes pour limiter l’amplitude de leurs portefeuilles, probablement toutes. Propos recueillis par J. W.-A.

Jean Watin-Augouard

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