Bulletins de l'Ilec

Regain de santé conditionnel - Numéro 427

01/05/2012

Après la phase de réanimation, celle du rétablissement ? L’industrie française n’est plus la laissée pour compte de la politique publique et les acteurs se mobilisent pour redonner à la France les moyens de sa puissance industrielle. Le GFI préconise un « choc de compétitivité ». Entretien avec Vincent Moulin Wright, directeur général du GFI (Groupe des fédérations industrielles)

Depuis la tenue des Etats généraux de l’industrie, la désindustrialisation française vous semble-t-elle enrayée ?

Vincent Moulin Wright : Les Etats généraux de l’Industrie ont abouti à la mise en œuvre de vingt-trois mesures structurelles visant à favoriser le développement de l’industrie en France et donc à lutter contre la désindustrialisation. Certaines ont permis de traiter les situations d’urgence, après la crise de 2008-2009 : les relations clients-fournisseurs dans les filières où donneurs d’ordres et sous-traitants avaient des rapports tendus (création de la Médiation de la sous-traitance) ; la trésorerie des PME (pérennisation du remboursement anticipé du crédit impôt recherche) ; les craintes de raréfaction du crédit pour le financement des PME (création de la Médiation du Crédit). D’autres mesures auront des effets à plus long terme, que l’on commence à observer. La création de la Conférence nationale de l’industrie (CNI), organe de dialogue stratégique et tripartite (industriels, Etat et organisations syndicales), a déjà permis d’établir des diagnostics sectoriels, plutôt consensuels dans ses douze comités stratégiques de filières (CSF), de dresser un bilan en matière de compétitivité, en vue de propositions pouvant déboucher sur de nouvelles dispositions réglementaires favorables à l’industrie. Après une année de fonctionnement, la CNI a permis de mobiliser tous les acteurs des filières industrielles. Elle doit encore amplifier ses travaux et renforcer son action. Citons également les mesures de simplification de la réglementation, ainsi que l’orientation du crédit bancaire à long terme vers l’industrie avec la création du FSI (Fonds structurel d’investissement) et les actions engagées par Oséo. Ces mesures constituent des outils indispensables pour accélérer la sortie de crise. Pour autant, l’ensemble ne constitue pas encore une véritable politique industrielle telle que le GFI la souhaite : ambitieuse, conquérante, porteuse de compétitivité et capable de soutenir une croissance créatrice d’emplois industriels.

Quel a été selon vous l’impact pour l’industrie de la suppression, en 2010, de la taxe professionnelle, remplacée par la contribution économique territoriale (CET) ?

V. M. W. : Cette réforme a été, dans la plupart des cas, favorable à l’industrie. Elle figure parmi les dispositions qui lui ont redonné des marges de manœuvre. Cependant, les évolutions possibles de la CET et de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) pourraient encore moduler ces aspects positifs.

Le crédit impôt recherche (CIR) doit-il être élargi à la mise en œuvre du produit (prototypage, procédés de faisabilité) ?

V. M. W. : Le CIR est probablement la mesure qui concourt le plus à améliorer la compétitivité hors coûts de notre industrie depuis quelques années. Contrairement à ce qui est parfois dit, il profite beaucoup aux PME et aux ETI, et il leur profitera d’autant plus que les modalités d’accès seront largement diffusées. Pour les grands groupes industriels, l’intérêt du CIR est de consolider la place des grands centres de R&D industrielle en France, avec un effet d’entraînement sur l’ensemble de la R&D privée française. Il est trop tôt pour dresser le bilan de la réforme du CIR, car c’est une mesure de long terme. Il serait encore plus prématuré de le retoucher. Le GFI souhaite que ce dispositif efficace et simple soit stabilisé, pour qu’il s’étende à l’ensemble du tissu industriel et accroisse le potentiel d’innovation de notre industrie. Le CIR est aussi devenu en peu de temps un élément primordial d’attractivité du territoire. Il faut le maintenir en l’état, mais il faut examiner la suite de la chaîne de création de valeur menant à l’innovation. Nos industriels ont identifié un maillon faible en aval de la recherche : le maillon du développement, du prototypage et des étapes de faisabilité conduisant à la transposition du prototype à l’échelle de l’usine1. Cette étape mériterait une aide spécifique, un crédit d’impôt innovation.

Ne faudrait-il pas resserrer l’attribution du CIR, de façon qu’il ne bénéficie pas aux entreprises de secteurs protégés de la concurrence internationale ?

V. M. W. : Le CIR a été très bien conçu, il profite très majoritairement à l’activité industrielle, donc aux acteurs économiques les plus exposés à la concurrence internationale. Mais l’interdépendance des secteurs économiques les y expose à divers degrés. Il paraît difficile de distinguer les acteurs selon le critère du « secteur exposé », qui ne répond à aucune définition en droit français.

En quoi une taxe sur les transactions financières, va, ainsi que l’écrit le GFI (30 janvier 2012) « dans le sens de l’amélioration de la compétitivité des entreprises industrielles » ?

V. M. W. : La préconisation du GFI en matière d’amélioration de la « compétitivité coûts » se compose de mesures indissociables. Cet ensemble vise à créer un choc de compétitivité capable d’enclencher un mouvement vertueux de réindustrialisation, de générer de l’emploi par la croissance, en étant profitable aux entreprises et aux salariés : basculement des charges sociales patronales (allocations familiales) vers un dispositif fiscal intégrant TVA et CSG sur le patrimoine ; négociation d’accords « emploi, salaire, temps de travail » personnalisés dans chaque entreprise ; création d’une banque de l’industrie filiale d’Oséo ; taxe sur les transactions financières. Le coût du travail excessif couplé à un volume de travail plus réduit que chez nos compétiteurs voisins concourt à la baisse de la compétitivité de la France. Le « choc de compétitivité » prôné par le GFI converge avec les propositions du Medef, de l’UIMM et de la CGPME dans ce domaine. Le transfert des charges sociales doit être massif, pour que l’industrie française regagne du terrain dans l’Union européenne, où ses positions se sont fortement érodées. Couplées à des mesures de compétitivité hors coûts, dont l’efficacité se fait sentir à long terme (en matière d’innovation, de formation, de qualité ou de financement…), les mesures de « compétitivité coûts » sont une solution à effet rapide, oxygénant le tissu industriel pour le court terme.

L’accès des PME aux financements devient-il vraiment plus facile ?

V. M. W. : Les efforts récents des nombreux acteurs du financement ont permis de régler une partie des cas d’urgence : médiation du crédit, fonds sectoriels professionnels mis en place par nos fédérations industrielles… L’accès des PMI au crédit reste cependant insuffisant en quantité, en coût (taux) et en durée. Des situations critiques existent encore, accentuées par la remontée des délais de paiement. Il est donc urgent de rétablir un lien durable entre acteurs du financement et entreprises industrielles, qui ont besoin d’une relation de confiance avec leurs investisseurs. Le temps industriel est plus long que d’autres. Le besoin de financement des PMI se fait sentir sur le court terme et sur le long terme. A court terme, il faut financer le besoin en fonds de roulement des entreprises, qui ne peuvent arrêter d’investir, de commercer et de grandir : des pistes sont à l’étude pour libérer la capacité de financement à court terme (préfinancement du CIR pour les ETI, optimisation du crédit fournisseur, émissions obligataires groupées…). Pour le long terme, l’industrie peine trop à trouver des investisseurs : les prêts participatifs d’Oséo Industrie figurent parmi les pistes d’amélioration en cours de développement. Un milliard d’euros a déjà été apporté en mars 2012 par l’Etat (provenance CDC) a Oséo, qui l’a logé dans une nouvelle filiale : Oséo Industrie, chargée également de récupérer l’ensemble des fonds qui étaient déjà destinés a l’industrie. Par effet de levier sur ses partenaires bancaires, Oséo Industrie devrait être en mesure de faire attribuer vingt-cinq fois plus aux entreprises industrielles à la recherche de fonds propres, soit 25 milliards d’euros sous forme de prêts participatifs. Ces prêts sont consentis aux entreprises par des regroupements bancaires, encouragés par le prêt Oséo Industrie à agir à ses côtés. On peut encore espérer infléchir certaines règles prudentielles contraignantes (Solvency II)2, et imaginer de nouvelles dispositions législatives orientant davantage l’épargne longue des Français vers l’industrie (assurance-vie).

Alors que vient d’avoir lieu sa deuxième édition, est-il possible d’évaluer l’impact de la « Semaine de l’industrie », en termes de recrutements ou entrées en formation, spécialement dans les métiers qui connaissent une pénurie de main-d’œuvre ?

V. M. W. : La Semaine de l’industrie a pour première vocation de faire découvrir l’industrie aux jeunes Français. Par la rencontre des acteurs de l’industrie sur leurs sites de production (journées portes ouvertes, classes en entreprise…), nous souhaitons offrir aux collégiens et lycéens la possibilité d’envisager une formation et une carrière dans l’industrie, au-delà des idées préconçues qui lui sont attachées. A la deuxième édition, il est difficile d’évaluer l’impact spécifique sur les entrées en formation ou les recrutements. Mais en termes d’impact, cette deuxième semaine a été réussie : 2 300 événements (1 500 en 2011) et 200 000 participants dans toutes les régions de France. Une première étape est franchie. Les mondes de l’industrie, de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur se rapprochent, et le grand public a une occasion régulière de venir à la rencontre des industriels et de découvrir des usines près de chez eux.

Quel est l’enjeu du projet de brevet européen pour nos industries ? L’attente est-elle la même pour toutes ?

V. M. W. : En politique industrielle, l’Union européenne est encore balbutiante. Elle a émis récemment quelques signaux positifs, notamment celui du brevet européen, qui simplifie la démarche de dépôt et diminue son coût, puisque, tel qu’envisagé initialement, il se ferait dans l’une des trois langues suivantes : français, anglais, allemand. Le brevet européen sera un instrument de protection simple, efficace et moins onéreux pour valoriser l’innovation industrielle.

Les mesures « pour simplifier la vie des entreprises et soutenir leur compétitivité », recommandées à l’issue des « Assises de la simplification » d’avril 20113, vous semblent-elles à la hauteur des enjeux ?

V. M. W. : Il s’agit de quatre-vingts mesures concrètes, dans le domaine de la dématérialisation, du droit commercial, du droit social, des procédures fiscales et douanières, et des marchés publics. On ne peut que saluer la volonté de l’Etat de simplifier et rationaliser les démarches administratives des entreprises, mais il est difficile de faire un bilan, alors que beaucoup de ces mesures sont en cours de mise en œuvre. Force est de constater que les entreprises, notamment industrielles, ont besoin de simplicité et de stabilité pour agir en toute sérénité.

Après bien des tâtonnements, les députés ont adopté une résolution sur les critères du « fabriqué en France », le 2 février dernier : cela clôt-il à vos yeux le débat, et qu’en attendre ?

V. M. W. : Au-delà de son effet marketing, un concept de ce type doit être tout sauf du protectionnisme déguisé. Il peut agir à deux niveaux. En premier lieu, il concourt à intéresser davantage les consommateurs aux produits qu’ils achètent, à leur mode de production, à leur origine, à leur composition, ce qui peut les conduire indirectement à se réconcilier avec une industrie qu’ils ont perdue de vue, alors qu’elle est encore en partie à côté de chez eux. En second lieu, il peut contribuer à réhabiliter les produits conçus et fabriqués en France aux yeux des acheteurs internationaux, mais à la condition qu’un niveau objectif de qualité soit associé à cette origine garantie. Le débat sur le « fabriqué en France » n’est que l’amorce d’une démarche de progrès sur la refondation industrielle. Un simple label d’origine garantie est insuffisant pour reconquérir rapidement nos parts de marché, là où d’autres outils plus puissants comme les marques privées ou collectives dominent les échanges commerciaux. Mais pour certains secteurs, comme le textile, il fait partie d’un dispositif global d’amélioration de l’image des produis conçus et fabriqués en France, à l’instar du succès mondialement reconnu de nos produits alimentaires estampillés de qualité (AOC).

Combien faudra-t-il de temps pour que la France redevienne une grande nation industrielle ?

V. M. W. : La France est une grande nation industrielle, son histoire le montre, par le nombre et la qualité de ses ingénieurs, de ses inventeurs, de ses capitaines d’industrie, de ses conquêtes. Il lui reste des positions stratégiques enviables dans le paysage économique mondial. Les réussites industrielles édifiées 
au xxe siècle jusqu’aux Trente Glorieuses ont conféré à notre Industrie un deuxième rang européen et un cinquième rang mondial. Les Trente Calamiteuses qui ont suivi l’ont fait reculer et ont fragilisé durablement son potentiel. Mais il ne demande qu’à être remobilisé au service des grands défis techniques et humains du xxie siècle, des besoins croissants de sa population grandissante. Sans industrie forte, conquérante et innovante, la France ne pourra maintenir son rang. Pour rebondir, elle doit concevoir et produire sur son territoire des solutions originales pour le monde de demain : énergies renouvelables, transports, télésanté, route intelligente… Autant d’innovations pour lesquelles l’ambition et la qualité du patrimoine industriel français constituent des atouts majeurs.

1. Dans le processus d’innovation, après la recherche fondamentale puis appliquée, vient le développement, qui valorise la découverte : il comporte une phase de développement du prototype préindustriel ou phase de pilotage, puis celle de la transposition du prototype à l’échelle industrielle, ou scale up.
2. Solvency II est le nom du procédé européen qui régule les assurances, équivalent de Bâle III institué par le G20 pour les banques.
3. www.pme.gouv.fr/simplification/80-mesures.php.

Propos recueillis par J. W.-A.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.