Bulletins de l'Ilec

Une forme d’innovation - Numéro 432

01/12/2012

L’agriculture séduit de nouveau les jeunes. Circuits courts et filières de proximité l’illustrent. Une partition singulière à l’heure des reconquêtes du marché intérieur ? Entretien avec Jean-Louis Cazaubon, président de la Chambre d’agriculture de Midi-Pyrénées et membre de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (Apca)

L’offre locale ou régionale mise en avant par la grande distribution représente-t-elle une réorientation sensible pour les agriculteurs ? Jean-Louis Cazaubon : Difficile de répondre globalement, cela dépend des situations locales et de la stratégie de telle ou telle enseigne. Certaines sont bien engagées dans des expériences concrètes où l’offre locale a une réelle identité dans le magasin, d’autres affichent plutôt des initiatives paravents pour faire de l’image, du marketing. Si tout n’est pas rose, on constate une prise de conscience de la grande distribution ; elle s’organise en région pour approvisionner ses rayons en produits locaux. C’est une tendance, mais ce n’est pas un raz de marée. Cela ne représente pas encore un volume significatif de la consommation. Les agriculteurs sont-ils tendanciellement plus ou moins nombreux à s’y intéresser et à y répondre ? J.-L. C. : Oui, ils répondent de plus en plus à la demande des « locavores », aux attentes des consommateurs en produits frais, authentiques, locaux. Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser, surtout parmi les jeunes, comme l’atteste le recensement agricole de 2010. Soulignons ce point positif. On dénombre en France 105 000 exploitations engagées en circuits courts, à savoir la vente directe à la ferme (« Bienvenue à la ferme »), les marchés, les Amap, les paniers… avec un intermédiaire au maximum. Les initiatives fleurissent un peu partout. Dans mon département, sur 4 000 exploitations, 1 350 vendent en circuit court. C’est peut-être peu pour certains et beaucoup pour d’autres. Autre point positif : le développement de démarches entrepreneuriales, professionnelles, de méthodes de commercialisation dynamiques et innovantes fondées sur la proximité, avec pour fil conducteur la recherche d’une valeur ajoutée. Les chambres d’agriculture sont mobilisées pour développer ces initiatives locales, qui sont des viviers d’emplois pour les territoires ruraux. L’approvisionnement direct de la grande distribution présente-t-elle pour un agriculteur plus ou moins d’avantages qu’une coopération avec de petits commerçants ? J.-L. C. : Règle d’or : ne pratiquer aucune ségrégation. On choisit une démarche collective qui s’inscrit dans une logique de filière territorialisée, aussi bien avec le salaisonnier, la grande distribution ou le petit commerce. L’objectif est toujours pour l’agriculteur de bien valoriser ses produits. Les activités agricoles les plus concernées sont-elles les plus fragiles (filière viande) ? J.-L. C. : Ce sont, comme la filière viande, celles qui sont le plus difficile à organiser. Vendre un kilo de pommes de terre ou de carottes ne pose pas de difficultés particulières. Pour commercialiser la viande, il faut disposer d’outils de proximité, d’abattoirs, de salles de découpe, de transformation aux normes européennes qui imposent des conditions sanitaires draconiennes et lourdes à mettre en place. Ces filières, les plus fragiles, nécessitent le plus d’équipement et d’organisation. Un agriculteur qui souhaite un abattage de volaille doit disposer de cinq ou six personnes pour le mettre en activité. Dans bon nombre de cas, la réponse est dans l’organisation collective. Le circuit court avec vente directe au consommateur est-il gage de qualité et de valorisation des filières ? J.-L. C. : Le produit n’est pas anonyme, il est signé par le producteur, comme un tableau de maître ! Le consommateur a le produit et le producteur en face de lui. Il peut rapidement témoigner de sa satisfaction ou de sa déception. Le circuit court est gage de qualité par la fraîcheur des produits, leur composition pour certains, comme le pâté, qui n’est pas un mélange de viandes de tous les coins du monde, mais du cochon de la ferme. Le premier « drive fermier » lancé en Gironde fin octobre a-t-il commencé de faire des émules dans les autres régions ? J.-L. C. : Ce magasin, ouvert le 13 octobre dernier, est parti d’une réflexion engagée lors d’une journée organisée par l’Apca sur les circuits courts, avec la chambre d’agriculture de la Gironde et le Relais agriculture et tourisme de la Gironde. L’Apca a mis un outil informatique, une boutique virtuelle, à la disposition de toutes les chambres d’agriculture. Tous les produits du drive fermier sont issus de fermes locales. Le projet semble séduire trois ou quatre départements. Les distributeurs de lait cru, populaires en Italie et introduits en France depuis quatre ans, ne semblent pas s’y être multipliés… J.-L. C. : Le consommateur français n’a pas la même culture que son homologue italien, la culture gastronomique est propre à chaque pays… A quelles conditions les producteurs qui s’engagent dans les circuits courts disposent-ils d’une sécurité sanitaire satisfaisante ? J.-L. C. : La vente directe permet une traçabilité unique, grâce au contact entre le producteur et le consommateur. De plus, il existe une réglementation sanitaire très stricte qui s’applique à tous. La question n’est pas tant la sécurité sanitaire que l’adaptation de la réglementation aux filières courtes et locales. Cela concerne particulièrement les produits carnés. Les normes, souvent conçues pour l’industrie, ne sont pas toujours adaptées aux producteurs fermiers et aux petits outils de transformation. Nous aurions besoin, dans certains cas, d’une réglementation plus ajustée aux contraintes et au fonctionnement de ces petites structures, pour favoriser leur développement. Je pense aux abattoirs de proximité et aux activités de transformation à la ferme. Cela étant, la sécurité sanitaire est un enjeu majeur et les producteurs doivent évidemment proposer des produits en lesquels les consommateurs peuvent avoir confiance. Les nombreux contrôles sur le terrain sont là pour y veiller. Quel avenir envisagez-vous pour les circuits courts ? J.-L. C. : Si je m’en tiens aux résultats du recensement agricole de 2010, j’observe la naissance d’une véritable stratégie d’entrepreneurs chez des jeunes qui veulent devenir agriculteurs dans une logique de valeur ajoutée. Mais ils ne peuvent s’engager seuls ; les exploitations agricoles tournées vers les circuits courts occupent plus de salariés que les grandes exploitations. Il ne s’agit pas d’opposer le circuit court au circuit long, mais on peut tabler sur une croissance de la part du premier, qui pourrait atteindre 20 %. Le circuit court peut jouer un rôle important dans la reconquête du marché intérieur : actuellement, 80 % de la viande consommée à Toulouse ne provient pas de la région Midi-Pyrénées. On doit, grâce au circuit court, reconquérir des parts de marché.

Propos reccueillis par J. W.-A.

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