Bulletins de l'Ilec

Bavardage et cécité - Numéro 437

01/08/2013

La classe politique semble tenir pour négligeable le rôle des sciences du vivant dans les développements industriels, et l’Etat, au-delà des discours, n’a pas saisi l’enjeu de la convergence des technologies. Entretien avec Thierry Mandon député de l’Essonne, président du groupement d’intérêt public Genopole Evry

Quelle est la place du GIP Genopole dans la recherche mondiale ? Quelles sont les retombées industrielles de la recherche qui y est menée ?

Thierry Mandon : Genopole est un biocluster, c’est-à-dire un écosystème où cohabitent chercheurs, jeunes entreprises innovantes, enseignants, étudiants, médecins, qui, par leur présence sur un même territoire, sont dans une situation de meilleure compétitivité. Genopole n’est qu’une partie de l’ensemble « science du vivant, santé, agro, environnement », regroupé dans ce qu’on appelle les pôles de compétitivité. A l’échelle mondiale, la taille de Genopole est modeste, si on le compare à des ensembles tels que Boston, San Diego, la Silicon Valley (San Francisco) ou Barcelone, Munich, a fortiori Shanghaï et quelques autres. Il s’agit d’un biocluster métropolitain. Malgré cette taille modeste, Genopole occupe une place de premier plan, ou d’un rang enviable, dans quelques domaines : la génomique, c’est-à-dire l’étude des informations génétiques des différentes espèces sur terre ; le génotypage, qui définit les bases génétiques de notre susceptibilité à certaines maladies courantes ; l’étude des maladies génétiques rares ; la thérapie génique ; la thérapie cellulaire et l’étude des cellules souches pluripotentes humaines. D’autres domaines prometteurs se développent depuis peu, tels que la biologie de synthèse et ses applications industrielles en matière de bioénergie ou dans le secteur de l’environnement.

Quels sont l’action et le bilan de l’Union européenne en faveur des développements industriels de la génomique et des biotechnologies ?

T. M. : L’UE est désormais sensible à l’importance des biotechnologies et à leur dimension économique et industrielle. Elle essaie, dans ses approches qui visent à favoriser les échanges entre nations européennes, de développer divers programmes. La persistance des frontières entre nations, l’absence de véritable Europe financière, et la lourdeur des démarches bruxelloises pénalisent beaucoup son efficacité, comparée à d’autres pays comme les Etats-Unis, la Chine, voire l’Inde et le Brésil.

A-t-on tiré les leçons de l’abandon par l’Etat du séquençage et du génotypage dont le français Généthon avait été le pionnier mondial, ce que Laurent Alexandre a appelé « l’autodestruction de la génomique française, leader mondial en 1990 »1 ?

T. M. : Il est inexact que l’Etat ait abandonné le séquençage et le génotypage. On peut simplement souligner que d’autres pays sont intervenus depuis le travail précurseur de l’AFM (Association française contre les myopathies) avec le Téléthon dans les années 1990, qui a effectivement positionné la France au premier rang des nations dans le monde. Dès lors que les Etats-Unis ont investi massivement et que d’autres pays sont intervenus dans ce domaine, comme la Chine récemment, la France s’est positionnée à un rang plus modeste, mais sans renoncer pour autant à ses activités, qui restent visibles au plan mondial.

Parler d’autodestruction paraît excessif. D’une manière générale, l’Etat français a toujours eu, et a encore, des difficultés à comprendre l’importance stratégique des sciences du vivant pour les développements industriels. Notre pays est très marqué par les grands programmes que sont le nucléaire civil, le spatial et les transports (automobile, ferroviaire, aéronautique), il ne souhaite pas ou ne peut pas investir dans un quatrième grand secteur. Mais on ne peut pas parler de destruction.

Dans le cadre de la « troisième phase »2 des pôles de compétitivité annoncée par la communication du conseil des ministres du 9 janvier dernier, quels devraient être, pour le pôle auquel Genopole est associé, les objectifs et « marchés cibles » ?

T. M. : Les pôles de compétitivité représentent bien, dans leur concept, l’une des ambiguïtés du système français en matière d’innovation industrielle, où l’on confond recherche collaborative et ingénierie de l’innovation. La recherche académique fondamentale, appliquée ou technologique, et la recherche collaborative entre secteur privé et secteur public, sont nécessaires à l’innovation, mais pas suffisantes. Il faut que les résultats de cette recherche, les produits et innovations qui en sont issus, trouvent des marchés. C’est ce processus que l’on a tendance à négliger. L’acte III des pôles de compétitivité vise à répondre à cet objectif. Problème : les pôles ne paraissent pas armés pour mener un tel travail, qui nécessite compétence et équipes spécialisées.

Que répondez-vous à l’Institut de l’entreprise, qui paraissait déplorer, dans sa revue des pôles de compétitivité3 que certains, comme Medicen, « se concentrent sur des domaines pour lesquels les opportunités de marché pour la France » sont seulement « moyennes », au vu de la R&D et du tissu d’entreprises dans ce domaines ?

T. M. : Je me méfie beaucoup de ce genre d’information. Qui aurait pu prédire que Google, Amazon ou Facebook deviendraient des succès mondiaux, pour ne parler que des plus récents ? Le risque, en ne visant que les secteurs dit aujourd’hui compétitifs, est de s’enfermer dans des logiques conservatrices. Or l’innovation vise surtout à poursuivre des chemins différents, de même qu’il est très difficile de cerner, au départ, si un projet industriel sera un succès ou pas. Dire que la R&D, essentiellement Inserm, englobée par Medicen est moyenne est une contre-vérité flagrante. Nous y avons des champions du monde, que des récents Prix Nobel dans ces domaines confirment.

Avec l’élection d’au plus vingt pôles « plus stratégiques » où « le savoir-faire français est reconnu », la communication sur la « troisième phase » fait-elle écho aux recommandations de ce même Institut de l’entreprise, qui conseille un recentrage des pôles sur une douzaine de technologies, dont ne font pas partie les ingénieries cellulaire et génomique, la biologie de synthèse, les nanomatériaux, la nanoélectronique ou l’interface homme-machine ? Est-ce un trait tiré sur toute ambition publique dans ces technologies ? Ou la restriction ne concerne-t-elle que le financement public des pôles ?

T. M. : Les recommandations de l’Institut de l’entreprise sont une excellente démonstration de la myopie de ces organisations. Pour ne prendre que la biologie de synthèse, le pays qui n’investirait pas dans ce domaine se verrait condamné à ne plus exister dans les applications biotechnologiques au sens large. C’est méconnaître ce qu’est la biologie de synthèse que de dire de telles choses. Il y a plus de développement potentiel dans la biologie de synthèse que dans la génétique moléculaire mise en place il y a quarante ans et qui a conduit à des succès mondiaux comme Genentech, Genzime, Amgen, etc. Derrière la biologie de synthèse, il y a des secteurs aussi importants que l’énergie et les matériaux, nombre de problèmes environnementaux, la chimie verte, entre autres… Il s’agit d’un secteur émergent qui a quelques années d’existence et qu’il faut, au contraire, développer fortement, sous peine d’être marginalisé. De la même manière, les ingénieries cellulaire et génomique constituent des domaines dont on commence seulement à percevoir l’importance.

La France se singularise depuis toujours, contrairement aux Etats-Unis, par son incapacité à percevoir les enjeux du futur. Il suffit de reprendre l’édition 1998 du document du ministère de l’Industrie intitulé Technologies clés pour le futur et lire ce qui est dit des biotechnologies pour prendre conscience de cette infirmité très française. Heureusement que la politique des pôles ne rejoint pas la politique générale ! En revanche, s’agissant d’améliorer la compétitivité de notre pays, se limiter dans un premier temps aux secteurs les plus prometteurs n’est pas choquant, à condition de ne pas tuer les secteurs émergents.

Y a-t-il en France des obstacles réglementaires au développement de la biologie de synthèse ? Est-il en butte, plus que dans les pays concurrents, à une opposition organisée fondée sur des objections éthiques ?

T. M. : Il n’y a aucun obstacle, pour l’instant, légal ou réglementaire au développement de la biologie de synthèse. Ce domaine de la science soulèvera toutefois de nombreuses questions éthiques ou sociétales puisque, de manière schématique, les produits de la biologie de synthèse seront souvent des super-OGM.

La France joue-t-elle résolument la carte industrielle de la convergence entre biotechs, nanotechs et technologies de l’information et de la communication ?

T. M. : La France tente la convergence biotechnologie-nanotechnologie-TIC, en parle beaucoup, mais n’a pas mis en place de grands plans mobilisateurs à cette fin. Il faut y voir un manque de vision stratégique de l’Etat, alors que notre pays a un avantage indéniable sur d’autres par la présence de laboratoires de sciences dites dures (mathématiques, physique, informatique, chimie) qui, dans ces domaines où modélisation et simulation sont des acquis indispensables, positionnent la France de manière avantageuse.

Les politiques commencent-ils à s’intéresser aux enjeux économiques, géopolitiques et sociaux des biotechnologies et de cette convergence ?

T. M. : La réponse est non. Ce sont à nouveau des domaines très stratégiques, dont on ne fait que parler, sans réellement agir. La réforme4 modifiant la loi bioéthique de 2011 en autorisant la recherche sur les cellules embryonnaires vous paraît-elle de nature à permettre à la France de rattraper le retard sur les pays étrangers en matière de recherche sur les cellules souches ? T. M. : La réponse est oui.

1. In La Mort de la mort, p. 351.
2. www.gouvernement.fr/gouvernement/la-troisieme-phase-des-poles-de-competitivite.
3. Cf. Institut de l’entreprise, Pôles de compétitivité : transformer l’essai, p. 43, www.institut-entreprise.fr/index.php?id=1670.
4. Les propos de Thierry Mandon ont été recueillis avant la discussion et l’adoption par le Parlement, de mars à juillet derniers, de la loi autorisant la recherche sur l’embryon.

Propos reccueillis par J. W.-A.

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