Un référentiel commun - Numéro 441
01/02/2014
La « marque France » est-elle destinée à s’afficher auprès du plus grand public, ou est-elle surtout le nom d’une démarche visant à fédérer au niveau de l’État des mesures politiques spécifiques ?
Philippe Lentschener : La marque France est un récit, un souffle, une culture et un support. La mission l’a donc pensée pour soutenir toute volonté de pousser et densifier une offre française, française par naissance ou par choix de culture, de comportement. Dans cette tendance, la France, premier pays à avoir défini juridiquement la marque, a-t-elle été là aussi pionnière ?
Vous êtes-vous inspirés d’exemples étrangers comme Marca España ?
P. L. : Oh non ! la France n’est pas pionnière. Mais ce n’est pas grave. Ça peut devenir une force si nous nous inspirons de ce qui a marché, si nous savons détecter ce qui a échoué, et sommes confiants dans ce que nous souhaitons inventer. Notre rapport est plein d’innovation, et pose clairement les fondements de la réussite. Un exemple parmi d’autres, tous les acteurs qui ont pensé la marque France ont soit délaissé le sujet de sa gouvernance, soit pensé à une solution interministérielle comme Marca España. Nous avons rencontré Carlos Espinosa de los Monteros, le haut commissaire à Marca España, et nous avons vite inventé le regroupement d’AFII, Ubi France et Atout France, pour avoir un organe de direction de la marque. Nous avons pensé les instruments de sa mesure avec les évaluateurs d’Ernst & Young et d’Eight Advisory, nous avons pensé l’inclusion des entreprises. Notre système sera complet et novateur. « Amour du geste et du savoir-faire », « capacité à penser », à « faire modèle », « art de la surprise »… Les trois valeurs ou piliers fondamentaux mis en avant par la mission Marque France résultent d’une consultation publique et d’une enquête menées en France auprès de quelques centaines de personnes (grand public et acteurs économiques).
Pourquoi ne pas avoir sondé des publics étrangers sur leur perception de la France ?
P. L. : Nous ne les avons pas sondés d’emblée, car nous avons consacré le début de nos travaux à l’image de la France à l’étranger à travers les études mondiales disponibles, notamment le Country Brand Index, qui étudie depuis des années l’image de la France et de trente pays, ainsi que les travaux du Made in Index, qui étudie l’importance de l’origine dans l’image économique. Fort de cette géographie, nous avons appliqué une stratégie d’offre, là aussi. Il s’agit de savoir ce que nous voulons représenter à l’étranger, et ce qui doit nous rendre forts en France. Au vu de la réaction des Français sondés, nous avons fait un peu évoluer notre proposition. Et sans dévoiler de secrets, la France dispose d’un maillage dans le monde qui a permis de recueillir l’avis de relais d’opinion étrangers sur la finalisation de notre dispositif. Dissonances du discours ?
Comment sous une même enveloppe intéresser à nos produits des consommateurs étrangers, et à notre territoire des investisseurs ?
P. L. : Aucun pays pratiquant le nation branding n’éprouve de difficultés à combiner les deux. Si le discours ne colle pas à l’un et à l’autre, c’est qu’il y a un problème grave avec ce discours. L’attractivité de la France provient de sa capacité à maîtriser un savoir-faire et une culture, et à posséder un système et un modèle unique au monde. C’est là-dedans que nous puisons notre aptitude à générer de la valeur ajoutée. Oui, ce discours s’adresse à des sujets de valeur ajoutée. Ce sont les mêmes raisons qui font qu’une usine en France est la plus productive du monde pour Toyota, qu’un sac né du Point sellier est de haute qualité, et que la France est le deuxième pays du blog dans le monde.
Si la France est une marque, qui va la recommander ? Qui sont ses ambassadeurs (des entrepreneurs, des acteurs culturels…) ; verra-t-on des « M. Marque » dans nos ambassades ?
P. L. : Tout le monde doit en être un propagandiste. Ceux qui sont chargés de la promotion de l’économie française auront désormais une ligne, une stratégie de discours, une méthode, des outils… C’est plus un changement qualitatif, et une vision enfin définie, qu’un changement de personnes. Dans les délégations consulaires, les conseillers commerciaux et économiques seront désormais épaulés par un organisme de la Marque France, qui pourra donner une cohérence à tous les outils. Quels critères ont présidé au choix des cinq membres de la mission ? P. L. : Il faudrait que les ministres vous répondent, mais je peux voir des lignes de cohérence : nous sommes tous issus de l’économie compétitive internationale, et de la stratégie marketing, avec en plus une fibre politique qui fait que nous savons comprendre les enjeux, et sommes conscients de ce qui est opératoire ou pas.
Votre rapport définit la marque France comme un « outil » ; n’est-ce pas réducteur ?
P. L. : Que chacun utilise le mot qu’il veut, la marque France est une chance et une force. Dans un pays qui a coupé la tête au roi et qui est laïc, il faut créer des transcendances acceptables, il faut qu’on puisse se revendiquer de quelque chose de supérieur, afin de ne pas sombrer dans le bashing quand on est furieux. Il faut au contraire vouloir se rapprocher d’un référentiel commun. C’est ça, la marque France.
En pratique, ça va être quoi : un logo sur les produits ? N’existe-t-il pas déjà depuis deux ans avec Origine France garantie2?
P. L. : Comme l’explique le rapport3, la marque France, c’est plus qu’un label. Origine France garantie est une réponse aux déficiences du made in France ; la marque France, c’est un récit économique qui résume disons 350 ans d’histoire économique française, afin que chacun se sente en mesure de mettre ses pas dans cette histoire et de l’actualiser à sa façon. Il existe aussi un « site multilingue de référence sur la France pour le grand public international »4, depuis 2010.
Pourquoi ne fait-il pas état de cette notion de « marque France », à la différence de son homologue espagnol, qui s’intitule ouvertement Marca España ?
P. L. : Il ne peut se faire l’écho de quelque chose qui n’existe pas encore. Mais il est le socle du futur système de médias de la marque France. Qui va piloter et promouvoir la marque France ? Avec quelles prérogatives : édiction de critères, labellisation, mesure… ? Ce sera l’organe né du rassemblement, j’espère le plus large, comme expliqué dans le rapport, entre l’AFFI, UBI et Atout France. Idéalement, nous souhaiterions qu’il accueille Pro France et la structure d’organisation des événements lancée par Philippe Augier. Il aura effectivement à gérer l’affichage de la marque et de ses représentations.
Quels vont être les critères d’inclusion, donc d’exclusion ?
P. L. : Respecter la charte de la marque, et produire, ou héberger ses services, ou assembler ses produits, ou concevoir en France. Mais l’organisme fixera ses contraintes, la mission cessant ses préconisations le jour de la remise du rapport.
Pour l’instant, aucun calendrier n’est publié sur Marque.france.fr associé aux « étapes » annoncées (« charte » de la marque, création de médias…)… Qu’en est-il ?
P. L. : La marque devrait être dévoilée, ainsi que le système, fin février5. Le plan de déroulement n’appartient plus à la mission, mais à l’organisme de gestion de la marque.
La mission est-elle à l’origine du compte Twiter @MarqueFrance créé en janvier 2013 qui compte un an après… treize abonnés pour un unique tweet ?
P. L. : Non.
Quelles langues parle la marque France ?
P. L. : La langue du pays dans lequel elle est. Demande-t-on à la marque Chine de parler le chinois en France ? Une école veut que la francophonie soit le socle de la marque, c’est comme si la langue des Chinois devait être le socle de la marque Chine, c’est une vision très dépassée. Cela ne signifie pas que le combat culturel ne doit pas être mené, ni que les alliances françaises ne doivent pas continuer de travailler.
La marque France aura-t-elle une identité sonore ?
P. L. : Elle aura toutes les caractéristiques d’une marque.
Si vous deviez choisir une effigie pour représenter la France et sa marque, ce serait une femme ou un homme ?
P. L. : Lorsqu’elle sera dévoilée, vous verrez que ce n’est ni l’un ni l’autre.