Opération en second plan - Numéro 441
01/02/2014
Depuis quand et pourquoi des entités publiques (villes, services publics, universités, musées, et pays) ont-elles emprunté au privé les attributs de la marque ?
Marcel Botton : La marque est intrinsèquement liée à la possibilité de choisir, c’est d’ailleurs la définition qu’en donne l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle (« signe servant à distinguer les produits ou services »). C’est donc la démocratie qui a sonné l’avènement de la marque dans la sphère du public. Mais en fait, quand les choix politiques étaient de véritables choix de société, les logiques étaient idéologiques et non mercatiques. Ce sont les convergences des programmes qui ont entraîné le glissement de l’idéologique vers le marketing.
Quelles sont les limites de l’analogie entre marque commerciale traditionnelle et marque d’entités publiques ?
M. B. : Les marques commerciales doivent être assez fortes pour déclencher un acte d’achat ; il y a donc un effet de seuil. Les marques publiques peuvent souvent se contenter d’un objectif d’adhésion. Prenons les fonctions fondamentales de la marque commerciale : distinguer, clarifier, sécuriser, promettre.
En quoi une marque-pays y répond-elle ?
M. B. : Une marque pays a plusieurs cibles : touristes, investisseurs, habitants, impatriés, etc. Les promesses peuvent être différentes, tout en étant cohérentes. Mais aujourd’hui, comme l’a montré Jacques Attali, la concurrence s’établit davantage entre métropoles ou régions qu’entre pays, et de façon parfois sectorielle : Le Havre contre Rotterdam, Alpes contre Pyrénées, Saclay contre Berkeley, Paris contre Rome, etc.
La France aurait-elle des efforts particuliers à faire pour satisfaire à ces fonctions ?
M. B. : La marque France a ses forces et ses faiblesses. Elle incarne encore le bonheur, l’art de vivre, la culture, la liberté, aux yeux de milliards d’individus. Mais il y a aujourd’hui un décalage croissant entre cette perception et la réalité. La marque France doit veiller à ne pas être trompeuse.
Va-t-on voir les marques pays (celles des États de l’UE et autres) se généraliser sur le marché français ?
M. B. : Non, on achètera d’abord une Toyota, éventuellement fabriquée à Valenciennes, ou une Audi, avant d’acheter une « voiture japonaise » ou une « allemande ». La marque pays vient en second plan, en caution.
La segmentation en marques pays se déclinera-t-elle en pays premium, pays de milieu et d’entrée de gamme ?
M. B. : ça peut être vrai en partie, mais il y a des segmentations internes. Par exemple, la marque France est premium en gastronomie ou en aéronautique, mais plutôt milieu de gamme dans l’automobile.
De la généralisation d’une telle segmentation, la France est-elle sûre de profiter plus que ses concurrents ?
M. B. : Hélas non. Mais les choses ne sont pas figées dans le temps. Les marques japonaises étaient bas de gamme il y a cinquante ans.
Qui dit marque dit concurrence : dans le champ concurrentiel des marques pays, comment créer la préférence pour la marque France ?
M. B. : À moduler selon les cibles. À combattre en priorité : la bureaucratie, les rigidités, le niveau des prélèvements obligatoires. Si la France est une marque, qui va la recommander ? Qui sont ses ambassadeurs ; verra-t-on des « M. Marque » dans nos ambassades ? M. B. : Surtout pas de M. Marque, ni dans les ambassades ni ailleurs ! Les ambassadeurs de la marque, ici comme ailleurs, à l’heure des réseaux sociaux, ce sont les utilisateurs satisfaits.
Si la France est une marque, comment suscitera-t-elle la fidélité, voire l’attachement transgénérationnel ?
M. B. : Pas par ce qu’elle dit, mais par ce qu’elle fait. Du travail, du courage, de la qualité, pour susciter l’amour de la marque France par le monde et, d’abord, par les Français !
Si vous deviez choisir une effigie pour la marque France, ce serait une femme ou un homme ?
M. B. : La France est une femme.
Propos recueillis par J. W.-A.