Nouvel horizon managérial - Numéro 449
01/05/2015
Arrive-t-il que la rotation des responsables dans l’entreprise s’avère préjudiciable à la cohérence et à la pérennité d’une action RSE ?
Olivier Classiot : Oui, et la question est de savoir comment agir pour pallier cette défaillance. La RSE s’inscrit dans des enjeux de long terme, mais l’entreprise vit des cycles de décision au mieux à cinq ans et souvent à douze ou dix-huit mois. Il est donc fondamental que la démarche RSE ne soit pas fragilisée par le turn over.
Pour le limiter, on peut agir par la sensibilisation et la formation des équipes, mais elles peuvent quitter l’entreprise. Aussi est-il nécessaire d’activer un autre levier : l’implication du sommet de la direction, afin d’inscrire la RSE dans la stratégie de l’entreprise à long terme. On peut aussi intégrer la RSE dans les pratiques professionnelles, les procédés et les outils ; elle est ainsi gravée dans le marbre puisque, en cas de renouvellement des équipes, les outils sont pérennisés.
Autre moyen d’agir : instituer dans l’entreprise un réseau, gardien de la RSE et dont la vocation est de la pérenniser, de former les nouveaux arrivants, de gérer le turn over comme quelque chose de naturel. La cohérence est maintenue, il faut simplement bien anticiper cette rotation. Paradoxalement, celle-ci peut être favorable à la RSE : quand un responsable de marque en change pour s’occuper d’une autre, il lui apporte sa compétence RSE, et le turn over en interne crée un cercle vertueux.
Les actions de RSE sont-elles un puissant facteur d’attractivité pour le recrutement de nouveaux talents ?
O. C. : Absolument, non seulement sous l’aspect de la marque employeur, mais aussi sous celui de la marque pour les consommateurs. La « génération Y » exprime de fortes attentes en termes de sens, elle recherche un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, elle attend beaucoup de son expérience dans l’entreprise ou dans les entreprises qu’elle va connaître.
Une entreprise qui a une démarche RSE comprend mieux son environnement, écoute mieux ses parties prenantes. Cette démarche, inscrite dans des documents, rend l’entreprise plus lisible, plus compréhensible, cela constitue son CV auprès des jeunes en quête d’emploi. La RSE permet aussi de retenir les collaborateurs susceptibles de partir. Elle aide à conserver les talents, voire les renforce, par une montée en compétence des métiers qui permet aux collaborateurs de retrouver une affinité avec leur entreprise, de donner du sens et de la valeur à leurs actions. La RSE devient un levier de motivation, de fierté et d’adhésion.
Enfin, la RSE peut être aussi un puissant facteur d’attractivité auprès d’investisseurs, comme l’atteste l’achat de Rhodia, en pointe en matière de RSE, par Solvay, également bien engagée.
Y a-t-il un modèle managérial qui garantit mieux qu’un autre la cohérence des démarches RSE et leur apport à la performance de l’entreprise ?
O. C. : La démarche RSE implique la participation des collaborateurs, elle privilégie l’intelligence collective. Elle induit une ouverture de l’entreprise aux parties prenantes externes, fondée sur le dialogue, l’écoute, l’innovation collaborative. L’entreprise fait tomber la frontière hermétique entre l’interne et l’externe, ce qui engendre une révolution dans le management. Mentionnons de nouvelles approches managériales : la « sociocratie », qui abandonne le processus vertical, pyramidal, pour un processus décisionnel horizontal ; « l’entreprise libérée » où tout ce qui relève de la procédure et n’est pas création de valeur est externalisé, les systèmes de contrôle par exemple.
L’entreprise familiale est-elle plus destinée à la RSE que l’entreprise non familiale ?
O. C. : Par essence, l’entreprise familiale est beaucoup plus formatée pour s’engager dans la RSE, car elle a la capacité à se projeter dans le long terme, elle peut absorber des actions dont le retour sur investissement n’est pas immédiat.
Au regard des programmes d’émulation interne en usage dans les grands groupes, la RSE est-elle en voie de s’imposer comme un stimulateur de performance ?
O. C. : Oui, mais cela ne peut pas concerner toute la RSE. Les programmes dits « incentives RSE » ne sont pas réellement incitatifs, car ils ont longtemps mis l’accent sur ce qu’il ne fallait pas faire. Depuis trois ans, le lien est fait entre le cœur des affaires de l’entreprise, le métier des collaborateurs et la RSE. « Livelihoods », le programme de soutien de projets communautaires à l’étranger conçu par Danone, est financé par des crédits carbone. Un lien a été fait entre les pratiques vertueuses des salariés dans leur métier et ce programme, ces pratiques pouvant abonder le budget.
Propos recuillis par J. W.-A.