Bulletins de l'Ilec

Créateur de confiance - Numéro 451

01/08/2015

L’enjeu de responsabilité sociale doit conduire les marques à accompagner les consommateurs dans le bon usage des produits. Recourir au nudge participe de la relation de confiance et de la préférence de marque. Entretien avec Sandrine Raffin, présidente de LinkUp, agence conseil en stratégie d’adhésion

Comment le marketing social ou le nudge contribuent-ils à améliorer l’efficacité des programmes de prévention mis en œuvre par les pouvoirs publics ?

Sandrine Raffin : Les approches fondées sur le nudge, comme celles qui sont construites au travers d’une démarche de marketing social, plaident pour une étude approfondie des cibles visées au regard du comportement que l’on souhaite modifier ou encourager. Elles passent par une analyse fine du contexte, des déterminants socio-culturels et des facteurs de motivation à l’origine du comportement actuel que l’on veut modifier. À l’instar de toute démarche marketing, le marketing social préconise d’identifier les freins et les leviers du groupe de population visé pour mieux cerner et définir les éléments susceptibles de le faire adhérer à un nouveau comportement. On peut citer à titre d’exemple la campagne menée par les marques de préservatifs, qui ont largement contribué à faire évoluer les comportements, non pas en soulignant le risque pris à ne pas se protéger lors des rapports sexuels, mais en mettant en avant la sensualité préservée voir stimulée par les nouvelles générations de préservatifs. C’est tout simplement parce qu’il s’agit d’une démarche itérative, ou chaque étape a pour objectif de mieux toucher et de mobiliser les cibles visées, que le marketing social, comme les actions de nudge, a prouvé son efficacité.

En quoi le nudge se distingue-t-il du marketing social ?

S. R. : Le nudge, c’est agir sur un comportement sans que la cible visée ait besoin d’être consciente de la nécessité du changement. Ainsi, au travers d’une modification de l’environnement, on va chercher à faire adopter de nouvelles pratiques qui vont s’imposer au public cible. Lorsque dans le cadre du programme « Vivons en forme »1 les villes impliquées, avec l’aide du ministère de la Ville et le soutien de nos partenaires, ont réaménagé les cours de récréation pour en faire des lieux facilitant la pratique d’activités physiques (tracés au sol, accessoires, jeux collectifs et principes d’activité promus par des animateurs périscolaires formés), elles ont mis en place un nudge : la modification de l’environnement augmente la pratique d’une activité physique de l’ordre d’une demi-heure à une heure par jour, sans avoir à convaincre les enfants de bouger pour leur bien-être et leur santé. Dans ce programme, nous proposons aux villes des actions de nudge (cours de récréation, taille des portions servies à la cantine, propositions de pratiques sportives non compétitives…) tout comme des approches fondées sur l’initiation des enfants et de leur famille au plaisir de manger plus équilibré et de bouger plus.

Comment s’assurer que le changement de comportement constaté est durable ?

S. R. : L’idéal, c’est de mettre en place des indicateurs de suivi, qui mesurent de manière objective l’impact des interventions, mais surtout, de s’assurer qu’on est parvenu à la modification des pratiques professionnelles, pour que le facteur de stimulation extérieur soit permanent, qu’il s’agisse d’une action sur l’environnement ou d’une action qui vise à agir sur la motivation des sujets. Les pouvoirs publics ont été peu portés à la recherche d’« incitations douces » à l’inflexion des comportements, en matière de tabac ou d’alcool, et l’efficacité des politiques d’information et de contrainte semble limitée.

Tout est-il à repenser avec les armes du marketing social ?

S. R. : Le principe de ne plus mettre de visuel sur les paquets de cigarettes est une approche « nudge ». Mais sera- t-il efficace ? Ou va-t-il au contraire stimuler la résistance de ceux qui veulent affirmer leur liberté, notamment les jeunes, qui vont vite trouver la parade pour faire exister leurs paquets ? L’étude approfondie des motivations reste le facteur premier de la pertinence des interventions. Elle doit donner lieu à des stratégies segmentées par cible. Les « incitations douces » ont parfois été activées, mais le bon message publicitaire, le bon insight, ne fait pas tout. Il est temps à mon avis de développer des approches dites d’impact collectif, c’est-à-dire de mobilisation multi-acteur dans une dynamique de construction conjointe, à l’instar de ce que nous faisons depuis dix ans avec les programmes « Vivons en forme ». Avec le temps, les résultats sont là : des baisses de 10 à presque 50 % de la prévalence du surpoids et de l’obésité, y compris chez les enfants de milieux plus vulnérables.

Vous êtes à l’origine du concept de « slow drinking », promu par Bacardi-Martini ; participe-t-il du nudge ?

S. R. : Oui, cette démarche que nous avons développée pour Bacardi-Martini a fait l’objet d’une approche de marketing social. Nous avons d’abord pris le temps d’étudier les facteurs qui favorisaient une consommation modérée. Grâce à ce travail, mené avec un comité d’experts, nous avons trouvé l’aspect lenteur, le slow drinking, puis déployé des approches mêlant le recrutement d’une communauté de « slow drinkers » et le nudge. Par exemple, au travers de la mobilisation de bars proposant un verre d’eau pour étancher la soif avant la dégustation d’un cocktail. Avoir moins soif et apprécier avec plus d’intensité le goût d’une boisson alcoolisée aboutit à boire plus modérément, sans même en avoir conscience. Voilà un exemple de nudge. Transportons-nous dans d’autres produits, réputés souvent qui trop salés, qui trop sucrés, qui trop gras…

Existera-t-il autant de nudges que de catégories ?

S. R. : Difficile à dire. Pour les produits à consommer en quantité modérée, de manière qu’ils ne soient pas à terme ostracisés, l’incitation par la portion définie de manière adéquate me semble le bon nudge à développer. Il n’y a pas de problème à manger un peu de chips, par exemple, ou des bonbons, le tout est d’en consommer en quantité adaptée. Dans le programme « Vivons en forme », nous proposons aux enfants de prendre une poignée ou ce qui tient dans leur main comme portion de référence pour les bonbons ou les chips.

Les entreprises – producteurs et distributeurs – peuvent-elles peser d’emblée sur les comportements par la composition de leur offre ?

S. R. : C’est justement en donnant des portions adaptées en référence, dans leur publicité, leurs conditionnements, les actions d’accompagnement de leurs clients, que les entreprises peuvent agir. C’est le cas des biscuits proposés avec un emballage en plusieurs portions, ou d’applications interactives pour éclairer la consommation, telles que celle que nous avons réalisée pour Lu, « I love biscuits ». La marque, experte, donne un mode d’emploi de son produit, dans l’intérêt de ses clients. En préconisant dans toutes ses prises de parole de toujours consommer son produit sur une tartine, Nutella agit par un nudge, qui favorise la consommation modérée et laisse sa place à cette marque dans un petit déjeuner équilibré.

Le nudge peut-il renforcer l’adhésion du consommateur à la marque ?

S. R. : Ces deux exemples autour des portions montrent que les marques, parmi les préférées des Français, sont mobilisées pour favoriser un bon usage de leurs produits. Leur attitude, qui relève de la responsabilité sociale de la marque, nourrit la confiance des consommateurs et favorise l’adhésion. Lorsque les constructeurs automobiles favorisent la maîtrise de la vitesse par l’équipement des véhicules en régulateurs, ils mettent en place un nudge, qui stimule des conduites plus adaptées et améliore la sécurité. Un service qui, là aussi, crée de l’adhésion et nourrit la préférence.

Les nudges seraient-ils plus efficaces auprès des consommateurs dans les situations d’achat de biens courants, et moins dans ceux où la réflexion est plus habituellement à l’œuvre (placements financiers, gros achats…) ?

S. R. : À mon avis, non. Donner à lire des conditions de placement avec pédagogie pour favoriser la transparence et la sincérité, c’est aussi une forme de nudge. De même, se préoccuper du bon usage des produits ou services au travers d’outils facilitateurs qui ne passent pas par une appropriation intellectuelle des messages, mais qui renforcent la relation de confiance, si capitale aujourd’hui, à l’heure des forums d’échange entre la marque et ses clients. Portions alimentaires, chauffage, vitesse donc consommation d’essence,…

Le nudge ne se ramène-t-il pas au message « consommez moins » ?

S. R. : Il ramène surtout au message « consommer mieux » !

1. www.vivons-en-forme.org.

Propos recueillis par J. W.-A.

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