Invitation à l’exergie - Numéro 452
01/10/2015
Quel est le premier poste (matières premières, fabrication, transport…) de l’impact carbone des PGC alimentaires sur lequel il est le plus possible d’agir en vue de sa réduction ?
Laurent Blaisonneau : Il faut raisonner en termes de cycle de vie du produit : de la production amont jusqu’à sa consommation et à la fin des emballages. Globalement, l’amont est le premier poste en termes d’impact carbone : c’est la production des matières premières agricoles, matières premières qui peuvent venir du bout du monde, l’usage de fertilisant pétro-sourcé… D’où la nécessité de construire une filière amont durable, une agriculture raisonnée. Cela répond à une double stratégie pour les acteurs des industries agroalimentaires, diminuer l’impact carbone de la filière amont tout en pérennisant l’approvisionnement en matière première.
Quels secteurs des industries agroalimentaires se distinguent par les progrès en efficacité énergétique (usine propre, usine sobre…) ?
L. B. : Pour la première ou pour la seconde transformation, la part de l’énergie dans le coût du produit final est différente, et par conséquent la maturité en termes de performance énergétique. Pour la première transformation (laiterie, sucrerie, amidonnerie…), les acteurs ont déjà optimisé de manière significative leur consommation d’énergie, levier de compétitivité pour eux dans la mesure où elle représente une part importante de leurs coûts opératoires.
La problématique de l’efficacité énergétique, pour ce secteur, est de savoir comment entrer dans une logique d’usine propre et trouver de la richesse technologique, pour faire baisser significativement le ratio d’énergie primaire nécessaire par tonne de produit sortant de l’usine. L’objectif est bien de trouver de la rupture technologique dans les schémas de production traditionnelle. Pour la seconde transformation, l’énergie n’était pas historiquement une problématique, au regard de sa faible part dans le coût total du produit sorti usine.
Il est difficile de parler de façon générale de maturité énergétique concernant le secteur IAA, au regard de la diversité des filières et de la structuration des entreprises du secteur. En 2014, la consommation du secteur était estimée à un peu moins de 5000 ktep/an, soit environ 14 % de la consommation de l’énergie de l’industrie française.
Quelques chiffres illustrent cette hétérogénéité. D’après le dernier observatoire des IAA, l’industrie agroalimentaire française compte 12 280 entreprises, dont 98 % de PME (moins de 250 salariés) et 73 % de TPE (moins de 20 salariés). Concernant la consommation d’énergie, même si le gaz naturel représente en moyenne le plus gros poste de consommation énergétique des IAA (48 % en 2010), il n’est que le second dans les achats d’énergie (36 % en 2010), l’électricité, deuxième poste de consommation (34 %), pesant 50 % des achats. Ces moyennes sont à prendre avec précaution car le mix énergétique varie fortement selon les activités : l’énergie majoritaire est l’électricité à 63 % pour l’industrie des viandes, la vapeur à 55 % pour les corps gras, les combustibles à 57 % pour les fruits et légumes et à 55 % pour l’industrie laitière.
Dans quels secteurs les avancées des nanotechnologies, biotech et NTIC ont-elles le plus d’effet sur l’efficacité énergétique ?
L. B. : à mon sens, les nano et biotechnologies ont peu d’impacts directs sur les IAA en termes d’efficacité énergétique. Si elles en ont, c’est sous l’angle de la qualité et de l’innovation des produits, de la façon de les concevoir : par exemple des produits biosourcés, qui répondent à une logique de durabilité et indirectement engendrent des économies de carbone. De plus, les nano et les biotechnologies peuvent ouvrir à la première transformation qui utilise de la thermie des voies de transformation froide pour casser des composants unitaires qui vont servir à la deuxième transformation. Quant aux NTIC, elles ont un impact quand on parle d’usine intelligente, de flexibilité de l’outil de production, d’optimisation de la conduite et de la maintenance des usines.
Le développement de ces usines intelligentes peut répondre à des enjeux de transition énergétique, notamment en termes de service rendu aux réseaux électriques liés à la pénétration des énergies renouvelables intermittentes. à un moment de déséquilibre entre l’offre et la demande, l’usine est-elle capable de s’effacer du réseau, de sorte qu’il puisse la rétribuer pour sa capacité d’effacement ? Nous avons publié un livre blanc sur ce sujet, et plus précisément sur le stockage d’énergie1.
L’efficacité énergétique de l’économie a-t-elle des marges de progrès (elle était jugée stagnante dans un rapport du Conseil économique pour le développement durable sur la croissance verte en 2009) ?
L. B. : Il y a des gains significatifs à aller chercher, en adoptant une démarche systémique, en repensant les usines, en les intégrant dans le territoire, en valorisant les flux matière, la biomasse, pour en faire de l’énergie, valoriser les déchets.
Pour optimiser la performance énergétique d’un site industriel, il est nécessaire de pouvoir l’évaluer. Les procédés industriels sont de nature et de complexité variées. De plus, les ressources énergétiques consommées et produites dans l’industrie peuvent se présenter sous des formes différentes : électricité, chaleur… Il est en conséquence relativement difficile de mesurer et de comparer les performances énergétiques de sites industriels.
Pour mesurer consommations et productions d’énergie, l’industrie a introduit de nouvelles unités de mesure, telles que les « wattheures thermiques » (Whth), les « wattheures électriques (Whel) »ou les « tonnes d’équivalent pétrole » (tep), dont la pertinence dépend généralement des formes d’énergie en jeu. Cette diversité d’unités de mesure rend les comparaisons laborieuses. Leur introduction souligne une volonté de traduire les différentes « qualités » de l’énergie, notion que l’approche « exergétique systémique » permet d’exprimer.
La notion d’exergie est encore peu utilisée dans l’industrie, pourtant elle constitue la grandeur pertinente pour mesurer de façon standardisée consommation et production d’énergie. L’exergie mesure l’énergie utile qui peut être extraite d’un réservoir ou d’un flux énergétique. Elle constitue un indicateur de la qualité d’une énergie donnée et autorise la comparaison de façon pertinente de formes d’énergie hétérogènes. La notion d’efficacité exergétique systémique donne une image plus juste de l’efficience réelle d’un procédé énergétique, en quantifiant son rendement par rapport au meilleur système théoriquement possible. À ce titre, et par rapport aux approches énergétiques, l’approche exergétique systémique permet d’aller plus loin dans l’optimisation énergétique des procédés industriels. Elle conduit à une meilleure appréhension de leur efficacité réelle, et permet d’identifier et de quantifier les causes d’inefficacité.
Comment les entreprises de PGC peuvent-elles contribuer à développer des « puits de carbone » ?
L. B. : En œuvrant à l’amont et en développant une logique de filière intégrée sur le mode de partenariats avec les fournisseurs. En créant autour de l’usine un écosystème durable, en assurant aux exploitants un revenu suffisant, en les aidant à réduire leur impact environnemental. C’est une logique d’écologie industrielle. On peut utiliser les déchets de l’usine pour faire du biogaz, les utiliser comme fertilisant. C’est la mise en place d’une économie circulaire entre l’amont et l’usine de transformation.
Le coût marginal de chaque nouveau gain en efficacité énergétique n’est-il pas prohibitif pour les PME ? Comment le compenser ?
L. B. : Effectivement, cela porte sur leur capacité d’investissement. On a tendance à investir plus dans de nouvelles capacités de production que dans des actifs improductifs qui augmentent l’efficacité énergétique mais pas le chiffre d’affaires. Le problème est donc de trouver des sources de financement. L’Ademe a des programmes d’aide, des logiques de tiers financement se mettent en place, par exemple le programme 5E portée par la Caisse des dépôts (« efficacité énergétique et empreinte environnementale des entreprises ») : ces acteurs investissent à la place de la PME et se rétribuent sur les économies d’énergie qui sont faites. Ils prennent le risque à long terme. Conscient de l’enjeu primordial du financement, Enea lance une étude collaborative cofinancée par l’Ademe, GRTgaz, GrDF et Axens, pour identifier les freins et les verrous à l’investissement en efficacité énergétique dans l’industrie.
Est-il possible de dresser l’inventaire des ressources en biomasse par bassins de consommation industrielle ou par catégories de produits ?
L. B. : Des cartographies existent pour les ressources en biomasse disponibles sur le territoire français et leur potentiel énergétique. La structuration de la filière biomasse pose néanmoins problème en France, en raison notamment de l’hétérogénéité de la filière bois. Les industriels ont beaucoup de difficulté à se procurer de la biomasse locale. Certaines entreprises sont alimentées par de la biomasse canadienne, loin de la logique de circuit court associée à la filière biomasse.
Quelles actions en faveur du climat les chargeurs peuvent-ils entreprendre auprès des transporteurs ?
L. B. : Beaucoup d’actions peuvent être menées. Pour l’industrie de deuxième transformation, la problématique est l’accès au magasin et le dernier kilomètre parcouru, particulièrement dans les grandes villes, d’où le diesel en est de plus en plus banni. Il y a un vrai levier de verdissement de la filière pour rendre plus propre le dernier kilomètre. Beaucoup de projets portent sur la motorisation électrique ou au gaz, le transport fluvial, surtout pour Paris, des mécanismes de logistique inversée, quand les camions qui déchargent repartent avec des biodéchets destinés à être centralisés dans un entrepôt, où l’on pourrait imaginer une unité de production de biogaz – ce biogaz pouvant être utilisé comme carburant vert. On peut imaginer le même processus avec des acteurs de la première transformation, à l’image des laitiers, dont les camions de collecte ont une pendularité régionale.
Est-ce que l’économie dite immatérielle est bas carbone ?
L. B. : L’industrie numérique est grosse consommatrice d’énergie, notamment pour l’utilisation des serveurs et le stockage des données. L’économie immatérielle peut être bas carbone si l’électricité qu’elle utilise est de source renouvelable. Il y a un véritable enjeu pour les acteurs de référence à travailler sur leur impact carbone. Par exemple pour l’Islande, qui dispose d’une électricité à 80 % décarbonée, est situé à un emplacement central entre l’Europe et l’Amérique du Nord, et qui propose régulièrement d’accueillir les centres de données des grosses sociétés informatiques.