Changer l’échelle des prix relatifs - Numéro 452
01/10/2015
Quelles « externalités » doivent être associées à l’impact climatique de la production, dans le secteur des produits de grande consommation (PGC) ?
Christian de Perthuis : Par définition, les produits de grande consommation arrivent en bout de chaîne. L’impact climatique de chacun d’eux dépend donc des émissions de gaz à effet de serre associées à leur production, leur transformation, leur transport et leur distribution tout au long des chaînes d’approvisionnement. S’il existait un prix du carbone universel, le coût des dommages climatiques s’inscrirait à chaque étape du processus, puisque chaque acteur de la chaîne réglerait un prix associé à ses émissions. En l’absence d’un tel prix, il est difficile de mesurer l’impact carbone des produits achetés par le consommateur final. J’ajoute que pour tous les produits alimentaires, il faut également incorporer dans les externalités climatiques les émissions de méthane et de protoxyde d’azote, deux gaz à effet de serre dont l’agriculture et l’élevage sont les premiers émetteurs.
Si la nature est une « ressource de la croissance » au même titre que le travail et le capital, la valeur pour la collectivité de ce capital naturel n’apparaît pas dans les prix… à combien estimez-vous le taux d’inflation des prix des produits courants, correspondant à la prise en compte de l’impact carbone et de son prix, que les consommateurs seraient prêts à accepter ?
C. de P. : L’objectif de la tarification du carbone n’est pas de créer de l’inflation mais de changer l’échelle des prix relatifs. C’est la raison pour laquelle les produits d’une taxe carbone doivent être réinjectés dans l’économie, sous forme de baisse d’autres impôts qui pèsent sur le travail ou sur le capital, afin de ne pas pénaliser l’économie.
Il en va de même du produit des enchères sur un marché de quotas. Si la tarification du carbone est correctement conduite, le consommateur verra le prix des produits à forte empreinte carbone augmenter relativement à celui des produits à faible empreinte. L’objectif est bien que le consommateur se détourne des produits à forte empreinte carbone, au profit de ceux à faible empreinte devenus meilleur marché.
Quelle peut être l’étendue (en familles et secteurs) d’un étiquetage carbone des produits (alors que selon une enquête de l’UFC le seul étiquetage énergétique est inexistant ou défaillant pour plus de la moitié des appareils électroménagers) ?
C. de P. : L’information du consommateur est effectivement un levier important de la marche vers une économie à bas carbone. J’ai toujours eu un certain doute sur les vertus de l’étiquetage produit par produit, surtout pour les produits alimentaires, où il y a déjà pléthore d’informations sur l’étiquette.
Si la lutte contre l’effet de serre est la priorité, ne faut-il pas renoncer à l’idée d’étiquettes environnementales agrégeant des informations disparates ?
C. de P. : Il ne faut pas refaire l’erreur du diesel. Ne considérer que les émissions de gaz à effet de serre peut conduire à de mauvaises décisions, le diesel en est un exemple. La protection de la biodiversité peut en être un autre : détruire une forêt largue du CO2 dans l’atmosphère, et constitue une atteinte à la biodiversité. Il faut tenir compte des deux impacts. Oublier la biodiversité pourrait conduire par exemple à reconvertir nos forêts les plus riches en taillis à courtes rotations pour optimiser la biomasse renouvelable !
La perspective d’une taxe sur les transactions financières visant à financer l’effort climatique des pays les plus pauvres est-il un sujet d’inquiétude pour les entreprises ?
C. de P. : Je ne pense pas que cette voie, parfois évoquée, soit la plus pertinente pour financer les nécessaires transferts à destination des pays les moins avancés. Dans mon dernier ouvrage, rédigé avec Raphaël Trottignon1, nous proposons un système alternatif : le « bonus-malus » carbone international. Si l’on fixe ce bonus à 7 dollars la tonne de CO2, on transfère chaque année 100 milliards de dollars des pays les plus émetteurs par tête vers les pays moins avancés.
Faut-il abandonner l’actuel système européen d’échange de quotas d’émission ?
C. de P. : Ce système a des résultats mitigés et doit être sérieusement réformé. Une telle réforme comporte deux volets. Le premier est politique et concerne le lien entre le plafond d’émissions autorisé sur le marché et les objectifs généraux de réduction des émissions en Europe. S’ils veulent réellement que le système d’échanges de quotas reste l’outil central de la politique climatique, les dirigeants européens doivent réduire rapidement la quantité de quotas en circulation.
Au plan technique, il faut également cesser d’ajouter de la complexité à la complexité dans les règles de fonctionnement du système, et renforcer sa régulation par la mise en place d’une autorité indépendante de marché. Un genre de banque centrale du carbone.
Le système fiscal français favorise-t-il l’écologie industrielle ?
C. de P. : Statistiquement, les « impôts verts » sont en France inférieurs à la moyenne européenne, même s’ils ont progressé plus rapidement ces deux dernières années, à la suite de l’introduction de la taxe carbone et de la hausse de certaines composantes de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Ces impôts sont surtout très mal répartis, pesant beaucoup plus sur les carburants que sur les autres combustibles et comportant de nombreux biais injustifiables au plan environnemental, notamment en faveur du diesel. Pour favoriser l’écologie industrielle, l’un des leviers fiscaux les plus intéressants serait de rendre plus incitatives l’ensemble des taxes associées au traitement des déchets.
Faut-il enchérir le coût du transport, qui pèse 13 % des GES dans le monde mais le quart en France ? Défendre une écotaxe européenne sur le transport de marchandises ?
C. de P. : Le transport compte pour plus du quart de nos émissions et la proportion risque d’augmenter. Pour le transport de marchandises, le renoncement français à l’écotaxe PL est un échec, résultant du fait qu’on a cru dans les cabinets parisiens pouvoir échapper aux phases initialement prévues d’expérimentation dans des régions volontaires. Dans le contexte actuel, je ne suis pas certain que traiter la question au niveau européen fasse progresser les choses, pourtant l’outil est des plus astucieux pour inciter le transport routier de marchandises à réduire ses émissions en maintenant sa compétitivité.
Quels sont les types de commerce et de circuits à moindre impact pour les PGC, notamment en termes de trafic routier ?
C. de P. : Il faut se garder de toute généralisation et porter attention à l’ensemble des caractéristiques des produits (origine, transformation, emballage, mode d’usage par les consommateurs…). Dans l’agroalimentaire, la distance et la contre-saison, qui riment avec congélation, accroissent généralement l’impact carbone des produits. La proximité joue plutôt, mais pas toujours, en sens inverse. L’Internet, le commerce en ligne et la recherche du niveau zéro de stock sont souvent des facteurs d’accroissement des émissions liées au transport : voyez le nombre de fourgonnettes qui sillonnent nos villes en multipliant les livraisons…
Les entreprises privées et publiques exploitant des ressources fossiles (pétrole, gaz, charbon), comptables des deux tiers des émissions qui ont réchauffé le climat2, doivent-elles être étroitement associées à la Cop 21 ?
C. de P. : Les entreprises ont leur place dans les nombreuses instances de concertation prévues dans le dispositif onusien, aux côtés d’autres acteurs : organisations non gouvernementales, syndicats, représentants des villes et territoires… Mais l’enjeu central de la Cop 21 est de trouver de nouveaux modes de coopération entre les 195 gouvernements pour accélérer l’action commune face au changement climatique, sous l’égide des Nations unies. Ce sont bien les gouvernements qui négocient et doivent trouver un cadre d’ensemble, incitant demain les entreprises à être plus volontaires dans leurs stratégies bas carbone.