Diversité des cas et intérêt commun - Numéro 453
01/11/2015
Quels secteurs ont été pionniers dans la démarche des analyses de cycle de vie (ACV) et bilans carbone, et quels progrès ont-elles permis dans la réduction des impacts pour les produits de grande consommation (PGC) ?
Gilles Trystram : La question énergétique est présente dans les industries et particulièrement les industries alimentaires depuis longtemps, initialement sur une base purement économique, le rapport entre le coût des produits et le coût de l’énergie. Cela a motivé des industries à chercher des indicateurs visant l’amélioration. L’ACV est donc rapidement entrée dans les pratiques industrielles. Les premiers cas d’étude sont attribués aux chimistes et à Coca Cola (première ACV conduite par un dénommé Harry E. Teasley Jr en 1969, travaux ayant donné lieu à une publication partielle en 1976 dans la revue Science). L’objectif de ces études visait à réduire la consommation d’énergie, par l’optimisation logistique et le choix du matériau d’emballage. Initialement très orientées énergie, ces études ont impliqué la réduction des émissions de carbone. Il est probable que pour la chimie les catastrophes comme Bhopâl ou Seveso ont également suscité des besoins d’analyse et de suivi, justifiant la construction d’indicateurs. Ensuite, les acteurs industriels qui se sont le plus impliqués l’ont été sous la contrainte normative européenne, ceux dont les activités sont touchées par les lois sur l’eau et l’air, ceux qui utilisent des emballages (objets de la première réglementation sur l’écoconception qui sous-tend une réduction des émissions de carbone), et la chimie, avec la réglementation Reach.
Quels secteurs peuvent à échéance raisonnable viser un objectif « impact carbone zéro » ?
G. T. : Je ne sais pas, mais je tablerais sur les gros outils industriels, les premiers à canaliser leurs flux et soumis à une telle pression des coûts qu’ils doivent poursuivre la recherche d’économies en réduisant leur facture énergétique. L’agriculture n’est pas près, en France, de passer à une telle étape, en raison d’un faible taux d’équipement en méthaniseurs, de sa faible maîtrise des rejets. De surcroît, l’opposition entre élevage bio ou raisonnable et élevage industriel complique la question : faut-il viser le « zéro carbone » au détriment du bien-être animal ? Quel est le premier poste de l’impact carbone des PGC alimentaires sur lequel il est le plus possible d’agir en vue de sa réduction ? G. T. : Il existe plusieurs études au niveau français, européen ou mondial sur cette question, sans consensus clair, du fait de la difficulté de les comparer, car le choix des indicateurs est souvent mal renseigné. L’impact principal est généralement celui de la production à l’échelle agricole (autour de 40 %). C’est avéré pour l’énergie, l’eau et le carbone. Les chiffres et interprétations divergent souvent selon que l’on analyse globalement, ou que l’on sépare productions animales et productions végétales. Une calorie ingérée par un mangeur « coûte » entre 6 et 14 fois en termes d’énergie, selon le produit.
La transformation est de faible impact, même si des opérations de stabilisation des aliments permettant une consommation retardée, voire un transport de produits intermédiaires, sont fortement consommateurs d’énergie et significatifs en production de GES (séchage, concentration thermique…). Les opérations de nettoyage ont un impact écologique plus important (incidence des rejets) que leur impact carbone. Les étapes clés sont le coût logistique, le stockage, le transport, avec notamment la chaîne du froid et le transport jusqu’au domicile du consommateur. Variables selon les produits, les ratios d’impact des derniers kilomètres sont d’au moins 30 %. Avec cette diversité d’une filière à l’autre, il est difficile de dire qu’il existe des degrés de liberté significatifs. Chaque cas est particulier.
Quel est l’éventail de solutions techniques à disposition des industries agroalimentaires pour réduire l’émission de CO2 et autres GES – notamment le méthane ?
G. T. : Là encore, chaque filière est spécifique. Deux dimensions doivent cependant être considérées. D’une part, il y a un aspect énergétique essentiel. Le prix des aliments est presque indexé sur le coût de l’énergie, donc l’impact l’est également. Améliorer les pratiques, faire évoluer les technologies, privilégier les matières premières à impact réduit sont des voies explorées, voire déjà empruntées. Il y a d’autre part l’axe des pertes et du gaspillage, avec une nette différence selon les pays et le niveau d’organisation et de développement. Les sources d’information sont parfois faillibles, mais la moitié des ressources agricoles seraient dégradées dans la chaîne logistique des pays les moins bien organisés. Les pertes au niveau industriel sont estimées à quelques pourcents seulement. En revanche, les pertes à l’échelon de la consommation sont significatives, et mobilisent beaucoup d’énergie et de travaux.
Toutes les pistes sont à considérer : alimentation animale, réduction des durées d’engraissement, optimisation des usages de la viande, réduction de la consommation énergétique des bâtiments, réduction globale des flux de transports de matières semi-finies et finies ; travail sur la chaîne du froid, la congélation ou surgélation des produits (optimisation de la température de conservation, travail des produits…) ; augmentation de la durée de consommation des produits, recommandations sur la préparation…
Il y a dans plusieurs filières des actions exemplaires, et dans des usines des mêmes filières des retards. La prise en compte des technologies et des voies de progrès est diverse. Illustrations plus que modèles : le travail à l’échelle de la production agricole, avec des fermes autonomes en énergie, incluant la méthanisation, jusqu’à la revente d’électricité au réseau, se développe. L’inclusion de sources variées d’énergie (solaire, méthanisation, etc.) participe de ces approches. Des démarches intéressantes d’écologie industrielle émergent, avec des usines en interconnexion, sur des produits de grande consommation, réduisant l’impact non plus au sein d’une filière mais globalement.
Quels progrès ont eu lieu dans les équipements industriels de refroidissement, très émetteurs de GES ?
G. T. : La chaîne du froid est complexe. L’impact en GES des technologies impliquées est connu, les solutions sont identifiées et des normes ont permis des évolutions, au moins par substitution de fluides frigorigènes à d’autres. À l’échelle industrielle, le pilotage de l’efficacité énergétique est en net progrès ; les technologies du froid bénéficient des progrès généraux. Et de nouvelles solutions sont à l’étude : froid magnétique, coulis de glaces, etc. Le niveau des températures en congélation et conservation peut aussi être interrogé ; remonter de – 18 à – 14 °C en conservation aurait un impact considérable. Les études commencent sur ces questions et laissent espérer de beaux résultats sans altération sanitaire des aliments. Une autre voie est l’alternative à la chaîne du froid. L’inspiration vient des pays des cônes sud, avec des procédés de conservation originaux ayant du potentiel. La combinaison de mécanismes barrières à la prolifération des micro-organismes est aussi une direction pertinente, déjà mise en œuvre pour certains produits.
Y a-t-il beaucoup de sites industriels qui recourent à la biomasse, à l’éolien ou au solaire ?
G. T. : De plus en plus, mais moins qu’en Allemagne ou dans d’autres pays. C’est une des directions importantes à l’échelon agricole.
Quelles sont les exigences majeures d’une « chaîne d’approvisionnement 100 % durable » dont certaines grandes entreprises de l’univers des PGC ont fait un objectif ?
G. T. : Là encore, une vue globale des PGC est difficile. Dans les filières animales on peut citer les exigences liées à l’alimentation : type, provenance, absence d’OGM, renationalisation ou européanisation de la nourriture ; dans l’idéal, il faut une nourriture à proximité du bassin d’élevage. Il faut aussi une limitation de l’usage des médicaments aux soins en cas de maladie, des chartes d’élevage (conditions de vie des animaux), des filières de pêche durable (choix des espèces, des lieux et des tailles).
Dans les filières végétales importent la capacité à « localiser » l’origine et l’exploitation de la matière (nationalisation voire régionalisation de la production), la limitation des intrants phytosanitaires, la sécurisation des approvisionnements par un travail sur les filières du Sud fragilisées (cacao…) ou les dimensions sociales (sécurisation des personnes et de leur devenir).
Dans les filières de produits transformés et élaborés, il y a une reprise des études sur la conception des recettes, pour des produits répondant à deux objectifs : réduction des impacts sanitaires et réduction des impacts environnementaux. La traçabilité des ingrédients et des matières premières est très avancée. La réduction des intrants chimiques, l’amélioration des emballages, la recherche de circuits d’approvisionnement courts, sont aussi des voies explorées.
Le coût marginal de chaque nouveau gain en efficacité énergétique n’est-il pas prohibitif pour les PME du secteur IAA ?
G. T. : Si. Elles ne sont pas nombreuses à pouvoir investir, et les crédits bancaires leur sont de plus en plus difficiles d’accès. D’où la mutualisation, les écosystèmes, le soutien public. Cette dimension est bien comprise et le programme « Investissements d’avenir » a positionné des appels à projets pour améliorer les technologies, notamment dans la filière viande et la chaîne du froid.
L’économie dite immatérielle est-elle bas carbone ?
G. T. : Non. Les centres de données en émettent autant que le transport aérien1.