Prix du carbone, la clé de voûte - Numéro 453
01/11/2015
Comment les entreprises peuvent-elles aider à la mise en place d’une tarification internationale du carbone prévisible et efficace ?
Alain Grandjean : En s’engageant publiquement à le demander, comme certaines le font, EDF, Engie, Suez, Solvay, Total… En travaillant chez elles avec leur direction financière pour mesurer les conséquences d’un prix interne du carbone sur leurs décisions d’investissement et sur leur offre de produits et de services.
Les organisations professionnelles doivent-elle appeler à la sanction des éventuels passagers clandestins, les entreprises qui mettent à profit comme avantage concurrentiel leur absence d’effort pour le climat ?
A. G. : Il faut d’abord mettre en œuvre de manière effective le principe pollueur-payeur, qui est constitutionnel en France. C’est ce qui se fait avec la taxe carbone qui est en place, à un niveau qui va aller croissant. Puis, au fur et à mesure que la question climatique va devenir plus dramatique, la notion de crime climatique va prendre de la consistance juridique. Pour autant, nous sommes dans une période de transition où les entreprises se mobilisent pour trouver des solutions. Aussi faut-il éviter, surtout vis-à-vis des PME, d’établir des règles trop contraignantes. Mais les très grands acteurs doivent prendre leurs responsabilités, comme ceux qui viennent de décider d’arrêter d’investir dans le charbon. Les dispositions qui vont permettre aux entreprises d’agir relèvent d’abord de leur propre engagement. Il est difficile de sanctionner les entreprises quand les pouvoirs publics n’ont pas encore pris leurs responsabilités.
Les agences de notation financière, qui poussent les entreprises cotées à un court-termisme défavorable aux investissements de long terme, sont-elles associées à la Cop 21 ?
A. G. : Elles ne sont pas associées en tant que telles, car aucun acteur financier ne l’est. En revanche, cette année, et c’est nouveau, des discussions parallèles sont menées dans le milieu financier sur le sujet du climat. Standard & Poor’s a déclaré étudier une notation qui intègre le climat. Calpers, un très grand fonds de pensions américain, s’engage aussi en faveur d’un prix du carbone.
Que fait le secteur bancaire, pour orienter les ressources vers le décarboné ?
A. G. : Le monde des assurances commence à prendre conscience des enjeux, car le risque climatique qui s’accroît augmente le niveau des sinistres et des primes. Les investisseurs institutionnels vont être soumis à une réglementation (l’article 173 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte) les obligeant dans un premier temps à établir des bilans sur la manière dont ils intègrent les enjeux climatiques dans leurs choix d’investissement. Les banques de détail sont encore éloignées du sujet, alors qu’elles ont un rôle majeur à jouer puisqu’elles financent une grande partie de notre économie et sont au contact des ménages et des PME. Et le système bancaire parallèle, la finance de l’ombre, demeure un secteur hors contrôle ! La priorité est de le faire revenir dans le droit commun.
Faut-il un étiquetage carbone sur les produits de grande consommation, ou plus largement un étiquetage GES ?
A. G. : Je suis réservé devant l’idée de faire figurer un étiquetage sur tous les produits, qui sont très nombreux, car l’information ne sera en fait que rarement utilisée. Il serait en revanche plus judicieux de le faire et de le rendre obligatoire sur des produits symboliques comme les livres, par exemple. C’est ce que fait Hachette. C’est ce qui est fait pour la consommation des voitures, mais pas pour celle des logements : l’étiquette DPE (diagnostic de performance énergétique) n’informe que sur la consommation d’énergie. Il faudrait également informer sur la fabrication des voitures et la construction des maisons (dont l’empreinte carbone, de l’ordre de 20 à 30 tonnes de CO2, peut baisser avec les matériaux choisis, notamment le bois). Citons également les produits électroniques, sur lesquels l’empreinte carbone devrait figurer. La fabrication d’une télévision à écran plat engendre des émissions de 1,2 tonne d’équivalent CO2, soit 12 % du bilan carbone d’un Français ! La production d’un téléphone portable, c’est 30 à 40 kg. Il faudrait le faire aussi sur certains produits alimentaires, comme la viande rouge (un kilo de bœuf, c’est une trentaine de kilos de CO2) ou les fromages.
Dans quels secteurs les avancées des nanotechnologies, biotech et NTIC ont-elles le plus d’effet sur l’efficacité énergétique ?
A. G. : Je ne saurais le dire sur les nano et biotechnologies. En revanche, avec les NTIC, ces avancées sont importantes. Si l’on raisonne en termes de mobilité, il y a un impact positif dans la « démobilité » : plus on a des outils de communication qui permettent d’éviter de se rencontrer physiquement, moins on se déplace. Autre exemple : le bon usage des transports. Il y a trois manières de réduire leur empreinte carbone : ne pas se déplacer, mieux remplir les voitures (par le covoiturage et l’optimisation des transports collectifs) et utiliser des moyens de transport moins consommateurs d’énergie (voiture hybride, au bio GNV et électrique). Autre avancée : la gestion de l’énergie dans les bâtiments, grâce à des objets qui permettent de rendre les thermostats plus « intelligents » (gestion active des bâtiments). La rénovation des logements, enjeu majeur de la transition énergétique, est mieux gérée grâce aux NTIC.
Qu’attendez-vous de la Cop 21 ?
A. G. : J’attends un accord ambitieux pour qu’il soit encore concevable d’endiguer la dérive climatique, grâce aux mesures sur lesquelles les États vont s’engager. Et qu’il y ait, dans cet accord, un paragraphe sur la nécessité de donner un prix au carbone, en sachant bien que ce prix ne pourra être commun aux 195 pays. Je souhaiterais également des engagements complémentaires, notamment la création d’un club de pays et d’entreprises qui s’engagent fortement sur ce prix du carbone ainsi que sur les dispositifs (taxes ou quotas) pour le mettre en œuvre et le faire croître. Il est essentiel que le monde économique et financier comprenne que le secteur de la production et de l’usage des énergies fossiles va devenir économiquement coûteux et de plus en plus risqué. Au total, il me semble impératif que nous ayons de vraies raisons d’être optimistes pour mettre en valeur la dynamique très forte qui émerge dans la lutte contre le changement climatique.
Propos recueillis par J. W.-A.