Décision mondialisée - Numéro 454
01/02/2016
Votre étude Création et destructions d’emplois montrait qu’en 2014 de nombreuses entreprises industrielles ont réduit leurs effectifs mais ont développé le recours au conseil en sous-traitance : la tendance se confirme-t-elle ?
Michel Ghetti : Oui, il s’agit d’une tendance lourde, qui remonte au milieu des années 1980. La prise en compte de cette évolution est importante, car elle permet non de minimiser, mais de relativiser la perte d’emplois industriels en France. Par exemple, un poste de comptable dans un groupe industriel était considéré comme un « emploi de l’industrie » ; désormais, cette activité, sous-traitée à une société de services, sera considérée comme un « emploi de service ».
Ainsi, en 2013, l’industrie représentait encore 24 % des donneurs d’ordres du marché de la sous-traitance, devant le BTP et les activités de transport et de logistique. Le phénomène de sous-traitance devrait se poursuivre, notamment dans les activités de services, et plus spécifiquement pour des prestations liées au numérique, qui ne correspondent pas au cœur de métier des donneurs d’ordres. Les grands groupes deviennent des ensembliers, plus que des producteurs ou constructeurs ; c’est le concept d’« industrie 4.0 ». Les industries manufacturières, notamment agro-alimentaires (IAA), continuent-elles à externaliser, ou ce mouvement a-t-il atteint un palier ?
M. G. : Les IAA n’échappent pas à la tendance lourde. En France, l’apparition des marques de distributeur puis du maxidiscompte a fortement contribué à développer la sous-traitance dans l’agro-alimentaire. D’un côté, de grandes marques sous-traitent à des PME ; d’un autre, de grandes enseignes sous-traitent leurs produits MDD aux grandes marques. Mais les récents scandales sanitaires, la lutte contre la malbouffe, le développement des circuits courts et le renforcement de la réglementation pourraient se traduire par un ralentissement de la sous-traitance des IAA, voire par une « réinternalisation » de certaines activités, directement liées au cœur de métier de l’industriel. Les autres activités périphériques : entretien, logistique, finance, continueront à être externalisées, comme dans les autres secteurs industriels.
Quels sont leurs principaux besoins en termes d’emplois directs ou indirects pour l’avenir ?
M. G. : Il y a six cent mille offres d’emplois non pourvues, notamment d’ouvriers de l’agro-alimentaire, de caristes, entre employés de la restauration et de l’hôtellerie, ingénieurs des TIC et contrôleurs de gestion. L’inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché de l’emploi atteste les carences de la formation, auprès des jeunes mais également des actifs. À long terme, la tendance est plus difficile à évaluer. Une étude d’Oxford montre qu’aux États-Unis 47 % des emplois actuels, auront disparu dans moins de vingt ans, et l’institut Bruegel situait en 2014 ce taux à 52 % pour la France !
L’actuelle décennie 2010-2020 devrait se caractériser par un recul des emplois industriels et agricoles, et par une forte hausse des emplois liés au commerce et aux services marchands, à commencer par les services aux entreprises. Les métiers de services représentaient 75 % des emplois créés en 2012, ce chiffre atteindra 90 % vers 2020.
Les compétences seront de plus en plus fines. Les entreprises recherchent des profils toujours plus spécialisés, maîtrisant parfaitement les nouvelles technologies : un de nos clients du secteur des TIC a dû supprimer trois cents emplois, dont une part importante d’ingénieurs et de techniciens, tout en mettant en place un ambitieux programme de recrutement (presque trois cents emplois), pour répondre aux évolutions techniques récentes ou en cours.
Quelle part du volume d’emploi pourrait-on attribuer aux divers prestataires (publicité, comptabilité, logistique…) des industries de grande consommation ?
M. G. : Notre cabinet n’a pas de données précises à ce sujet. Je peux dire qu’en 2012 les entreprises produisant des biens de consommation courante représentaient 18 % de la sous-traitance, contre 40 et 42 % pour les entreprises produisant des biens intermédiaires et des biens d’investissement. La sous-traitance industrielle représente environ 240 000 CDI équivalents temps plein, soit 8 % des effectifs industriels totaux.
L’évolution de l’emploi serait-elle plus maîtrisable dans les PGC que dans d’autres secteurs du fait d’une moindre propension à la délocalisation ?
M. G. : Les produits de grande consommation sont autant voire plus menacés de délocalisation (électronique, cosmétique, produits d’entretien…) que les autres secteurs. Seules de nouvelles contraintes réglementaires, notamment en matière de protection de l’environnement, favorisant les circuits courts et pénalisant les transports, couplées à une hausse du coût du travail dans les pays à bas coût, pourront réduire le mouvement de délocalisation. L’enjeu est la formation des actifs tout au long de leurs parcours, quel que soit le secteur d’activité. L’engouement pour la labellisation « fabriqué en France » est-il de nature à favoriser une décision d’investissement sur le territoire français au sein des groupes internationaux ?
M. G. : Dans les multinationales porteuses de projets d’investissement, les sites français (industrie et services) sont de plus en plus mis en concurrence avec les sites étrangers. Les critères de choix des investissements sont très rationnels (coût du travail, infrastructures de transport, taille du bassin de consommation, immobilier…), notamment dans les activités interentreprises.
En revanche, pour les activités en relation avec les consommateurs, le label « fabriqué en France » peut avoir de l’importance, notamment dans des secteurs d’excellence traditionnels de la France : agro-alimentaire, luxe, tourisme, cosmétiques…
Propos recueillis par J. W.-A.