Moyen terme dégagé - Numéro 454
01/02/2016
En termes de « projections sectorielles d’emploi », comment qualifieriez-vous les perspectives des industries alimentaires en France ?
Cécile Jolly : Nos projections d’emploi et de valeur ajoutée sont estimées pour les dix années à venir. Les perspectives d’emploi dans les IAA sont relativement positives, dans un scénario marqué par une reprise progressive de la croissance. Une prolongation de la crise entamerait néanmoins ce potentiel d’emploi, qui serait également plus faible dans un scénario de forte productivité impliquant une automatisation croissante.
Les créations d’emplois ne totalisent pas l’ensemble des projets de recrutement, qui doivent pourvoir les postes nouvellement créés mais aussi le remplacement des postes existants dont les titulaires partent en retraite.
Ces départs en fin de carrière vont être massifs dans les prochaines années. Dès lors, les postes à pourvoir seront essentiellement alimentés par les départs en fin de carrière des générations du baby-boom, dans les métiers de l’agroalimentaire comme dans la plupart des métiers. Ces départs en fin de carrière représenteront en moyenne 80 % des postes à pourvoir.
L’évolution récente de l’emploi dans les IAA vous paraît-elle affectée par des replis de l’investissement, ou des gains de productivité ?
C. J. : Les deux facteurs sont corrélés : il y a moins de gains de productivité, parce que les investissements diminuent. L’emploi est surtout affecté par le recul des prix alimentaires mondiaux et par une demande intérieure qui reste peu dynamique, du fait de la durée de la crise.
L’évolution de l’emploi serait-elle plus maîtrisable dans les IAA que dans d’autres secteurs du fait d’une moindre propension à la délocalisation ?
C. J. : Au nombre des facteurs structurels positifs, l’industrie alimentaire est portée non seulement par la dynamique du marché français et par l’attention des consommateurs à la qualité des produits, mais aussi par l’international, grâce à sa position excédentaire sur le plan commercial. Les facteurs structurels négatifs portent sur la concurrence en termes de prestations de services.
Les industries agro-alimentaires, comme toutes les industries, externalisent une partie de leur production et font donc appel à des prestations de services, en France ou dans des pays où le coût de la main-d’œuvre, notamment de la main-d’œuvre peu qualifiée, est moins cher.
Dans le cadre de la libéralisation des services en Europe (directive « Bolkenstein »), il est possible de faire venir des travailleurs « détachés » d’une entreprise européenne, qui vont exercer une mission temporaire dans l’Hexagone : les entreprises agro-alimentaires ont été particulièrement touchées par ce phénomène. Ces entreprises agro-alimentaires peuvent également se localiser dans les pays producteurs, afin d’être proches de la production agricole, en Amérique du Sud par exemple, ou bien dans d’autres pays, pour conquérir de nouveaux marchés.
Pour autant, le travail détaché dans les IAA y représente une faible part de l’emploi, et la production agricole française demeure importante et valorisée en France, ce qui limite la fragmentation de la chaîne de valeur que l’on a connue dans d’autres industries, comme le textile. Reste que l’emploi ne résiste pas dans tous les métiers ni dans toutes les qualifications. Les emplois qualifiés augmentent en nombre dans les univers du marketing, des études, de la conception, alors que le nombre d’ouvriers baisse, en raison de l’automatisation et des gains de productivité.
En comparaison des autres secteurs industriels, les IAA sont-elles plutôt dynamiques par la création d’emplois ?
C. J. : Oui, elles sont plus dynamiques que les autres industries manufacturières, qui, en raison de leurs gains de productivité, de l’externalisation et de la fragmentation de la chaîne de valeur, ont beaucoup plus souffert. Les industries agro-alimentaires se positionnent mieux sur le plan international, avec la pharmacie et l’aéronautique, et ont donc mieux résisté en termes d’emplois depuis vingt ans que le reste de l’industrie.
Vos projections sectorielles s’intéressent-elles à l’évolution de l’emploi indirect associé aux industries de grande consommation ?
C. J. : D’une manière générale, nous assistons à une croissance très forte des services aux entreprises : services techniques (ingénierie, informatique), services qualifiés (conseil en stratégie, conception en amont, distribution…), mais aussi non qualifiés (nettoyage, sécurité, fourniture de main-d’œuvre…). Ces services ont très bien résisté durant la crise, et ils vont beaucoup progresser à l’avenir.
Le développement des services aux entreprises de grande consommation est-il pour l’industrie une tendance de fond indépendante de la conjoncture, ou un symptôme des contraintes que celle-ci fait peser sur l’emploi ?
C. J. : C’est une tendance de fond et c’est une spécificité française : la France s’est spécialisée dans les services aux entreprises, même si l’industrie demeure. Ces prestations de services, souvent de haute qualification, sont même exportées à l’international.