La marque employeur recadrée - Numéro 455
01/03/2016
En 1998, Didier Pitelet déposait comme marque le terme « marque employeur », promis à un beau succès éditorial, et la définissait comme la « mise en cohérence de toutes les expressions employeur de l’entreprise, internes et externes, au nom de la performance ». En somme, soutiendra-t-il encore quinze plus tard dans un article de la Revue des marques1, la réputation d’employeur d’une entreprise au service de sa performance.
Le fait est que les exemples ne semblent pas manquer, de stratégies d’entreprises destinées à attirer les talents qu’on pourrait ranger sous la bannière de la marque employeur, comme la concurrence qu’elles se livrent pour figurer dans les classements ou certifications spécialisés, « Top Employeur » ou « Great Place to Work »2, qui représentent pour elles des investissements non négligeables.
Une étude à paraître de l’école de commerce Neoma attire toutefois l’attention sur les équivoques qu’a pu susciter une manière, trop directement dérivée du marketing produit, de concevoir un tel levier d’attraction et de fidélisation des futurs salariés. Dans Shoppeurs ou chineurs ? Ce que la marque employeur nous apprend des réelles attentes des candidats3, les auteurs réfutent l’idée que les cadres (seule catégorie de salariés visée par l’étude) seraient devenus des « shoppeurs » ou des « consommateurs d’emploi ».
Certes, observent-ils, un environnement instable, sur fond de chômage et de flexibilisation du marché du travail, porte les candidats à gérer eux-mêmes leur carrière et à mettre les employeurs en concurrence ; et la guerre des talents bat son plein. Mais ce ne serait pas à bon escient que les entreprises recourent à des pratiques inspirées du marketing de la grande consommation et croient que « la marque employeur a la même vocation que la marque de grande consommation », à savoir « nourrir le besoin d’information » et « guider vers une décision rationnelle ».
Le résultat de cette conception de la marque employeur serait en effet décevant : selon Opinionway (2014) cité dans l’étude, à la lecture d’une offre 38 % des candidats sont distants et 22 % méfiants. « Le taux de retour des annonces décroît depuis dix ans. Les candidats sont majoritairement distants ou méfiants envers les annonces de recrutement. S’adresser aux candidats comme s’ils étaient des « shoppeurs » est contre-productif. »4
La raison en est que la relation du candidat à l’entreprise est fondée sur des motivations plus émotionnelles et identitaires, des besoins d’engagement sur le long terme. « L’emploi n’est pas perçu comme un bien interchangeable ou remplaçable. Les cadres cherchent une implication, un engagement fort et une identification. » Le candidat n’est donc pas « shoppeur » mais « chineur », comme il le serait non d’un produit de grande consommation mais d’un produit de luxe. Aussi, la marque employeur devrait s’appuyer, poursuit l’étude, sur les six composantes de la marque de luxe, qui a pour horizon le long terme : « élitisme » (« recherche des meilleurs salariés »), « distinction » (gestion des salariés « positivement différente »), « renommée », « qualité », « créativité » de ses pratiques RH, et « hédonisme » (recherche la « satisfaction de ses salariés »).
Ce que le propos de l’étude laisse aussi transparaître, c’est que la marque employeur ainsi recadrée semble affranchie des produits que commercialise l’entreprise, voire du produit, même s’il est unique et de marque homonyme. C’est bien plutôt l’entreprise qui se construit comme produit et comme marque dans sa dimension d’employeur. Manque regrettable, ou dissipation d’une équivoque ? En en resserrant le champ, l’étude Neoma semble plutôt renouer avec la définition initiale de la marque employeur.