La formation au cœur de la gestion RH - Numéro 455
01/03/2016
La France passe pour avoir parmi ses atouts dans la compétition internationale le bon niveau de sa main-d’œuvre ; l’appréciation négative récurrente de son système d’apprentissage ne serait-elle qu’une querelle franco-française, ou est-elle partagée dans les grands groupes internationaux ?
Bertrand Martinot : Les deux affirmations sont vraies. En termes de compétences, la France a des atouts solides. Nos formations académiques restent globalement compétitives. La proportion de jeunes parvenant à un diplôme du supérieur nous place en assez bonne position. Nous sommes en pointe dans de nombreux domaines scientifiques, même si cette position d’excellence tend à s’émousser. Nous produisons des ingénieurs très recherchés à l’étranger. Mais dans le même temps, beaucoup trop de jeunes restent sur le bord du chemin. Parce qu’ils ne sont pas adaptés à un système éducatif qui, quoi qu’on en dise, agit toujours comme une machine à trier, et privilégie, dans les contenus comme dans l’orientation, les formations académiques. Pour ces jeunes, l’apprentissage, et plus généralement l’alternance, est souvent une bonne solution.
Mais il reste insuffisamment développé en France. La formation professionnelle a-t-elle évolué ces dernières années ?
B. M. : Il y a une réforme tous les cinq ans (2004, 2009, 2014) ! La formation professionnelle est un chantier permanent, pourtant la logique générale n’a pas fondamentalement changé. La principale nouveauté récente est l’introduction, depuis le 1er janvier 2015, du compte personnalisé de formation (CPF). Ce dispositif ne change pas la logique très administrée du système (le poids des branches et des organismes paritaires collecteurs agréés, OPCA) et l’absence criante d’évaluation. Et il a des défauts qui vont au-delà des difficultés de son démarrage. Reste qu’en plaçant le salarié au cœur du système et en impliquant davantage le dialogue social dans l’entreprise, il pourrait modifier la façon dont les entreprises et les salariés conçoivent la formation, mais il faudra du temps pour que les comportements changent.
Les entreprises tendent-elles à être mieux organisées pour accueillir les apprentis ou alternants, compte tenu qu’ils ne sont pas des employés comme les autres (alternance avec formation, éventuellement minorité civile, pas de permis, etc.) ?
B. M. : L’apprentissage dans les petites structures, particulièrement dans l’artisanat, est très développé, encore plus qu’en Allemagne. Pourtant, on pourrait penser que ce sont plutôt les grandes entreprises qui peuvent le mieux faire face aux contraintes que vous mentionnez. Ce n’est donc pas une question d’organisation, mais plutôt de gestion des ressources humaines et de culture d’entreprise.
Bien entendu, il existe de grands groupes français qui font mentir ces chiffres, mais en moyenne la comparaison avec l’Allemagne est accablante : là où nos entreprises de taille moyenne ou grande ne comptent guère plus de 1 à 1,5 % de jeunes en alternance dans leurs effectifs, les entreprises allemandes en ont 5 % . Avec un effet en retour sur l’image de l’apprentissage : en France, l’apprenti, c’est le pâtissier au coin de la rue ; en Allemagne, c’est le technicien électricien chez Siemens ou l’employé de banque, qui ultérieurement deviendra manager.
Quelles entreprises souffrent du manque de candidats à l’apprentissage ?
B. M. : Parmi les défaillances de notre système d’apprentissage, il y a la question statistique : nous ne savons pas quelles sont les entreprises qui ne parviennent pas à recruter des apprentis, ni a contrario celles qui refusent des candidats. Ce qui est sûr, c’est que, de manière générale, l’image des grandes entreprises chez les jeunes reste meilleure que celle des petites. Pour des raisons assez logiques : même si les petites entreprises paraissent davantage à taille humaine et peuvent offrir beaucoup d’épanouissement personnel, les possibilités de carrière, de formation et de salaires sont objectivement plus favorables dans les grandes structures.
La transmission directe des savoir-faire serait-elle secondaire dans de nombreux métiers ?
B. M. : Il est certain que les évolutions technologiques accentuent l’obsolescence des compétences. Les jeunes sortis de l’école ont un double avantage par rapport à leurs aînés (qu’ils soient déjà en emploi ou, plus encore, au chômage) : ils coûtent moins cher et leurs connaissances sont plus à jour. D’où la nécessité de renforcer notre système de formation professionnelle pour les salariés en place, et de favoriser la gestion des emplois et des compétences, pour anticiper l’obsolescence des qualifications et faire évoluer les personnels, vers des tâches d’encadrement par exemple.
Comment expliquer l’échec du contrat de génération ?
B. M. : La vision « adéquationniste » (remplacer des seniors par des jeunes, transmission de savoirs poste pour poste…) qui sous-tendait cette mesure était sympathique, mais pas pertinente. Les entreprises ne fonctionnent pas comme cela. Les grands groupes ont-ils la souplesse nécessaire pour bien accueillir chaque nouvelle génération culturelle (« génération Y », etc.) de jeunes salariés ?
B. M : Les grands groupes n’ont pas vraiment le choix. Soit ils s’adaptent pour recruter des talents et coller à leurs aspirations, soit ils disparaîtront. Ce qui est certain, c’est que les entreprises qui sont gérées de manière trop hiérarchique ou trop bureaucratique vont beaucoup souffrir.
Propos recueillis par J. W.-A.