Un secteur au cœur du sujet - Numéro 459
01/08/2016
Quels sont, pour un secteur spécifique comme celui de l’emballage, les enjeux qui se font jour entre principe de précaution et principe d’innovation ?
Michel Fontaine : Est-il bien nécessaire de comprendre certains principes pour les appliquer ? La question mérite d’être posée, car entre ce que réfléchissent et définissent les intellectuels et ce qu’en retiennent les citoyens de base, il y a parfois un monde. Le principe de précaution est né il y a vingt-cinq ans, lorsque les États du monde entier se sont émus collectivement du caractère fini de notre planète, face notamment aux consommations toujours plus grandes de matières non renouvelables et à leurs impacts. La précaution fut d’abord celle de la défense de l’environnement. Elle s’est ensuite insensiblement étendue à la santé environnementale, suite logique de la défense de l’environnement, car si ce n’est pas bon pour la planète, cela ne l’est sans doute pas pour l’homme. Le principe de précaution s’est ensuite petit à petit étendu et il englobe aujourd’hui l’ensemble des préoccupations liées à la santé humaine. Vaste sujet… Le principe de précaution, à la base, est donc résolument mondial, global, politique au sens noble du terme : prendre des décisions afin de préparer l’avenir. Au niveau des États, chaque exécutif conjugue ce principe avec les éléments de sa propre politique où les exigences du « temps court » viennent parfois (trop souvent) polluer les aspirations souhaitables du « temps long ». En France, le principe de précaution, inscrit dans la Constitution pour son acception environnementale, est vécu par beaucoup comme une crainte du changement, une volonté d’utiliser avant tout les recettes éprouvées. Pour certains, il est même un immobilisme insupportable opposé à toute évolution, alors même que dans la compréhension de ceux qui l’ont porté sur les fonts baptismaux, l’action est au cœur de ce principe.
Les alertes répétées sur les perturbateurs endocriniens (notamment le bisphénol A) entrent directement dans le champ d’application du principe de précaution appliqué à l’emballage. Quels sont les risques à long terme sur la santé humaine, du fait de la présence de telles substances ? Même à l’état de traces ? Quels sont les risques d’utiliser des substituts que l’on ne connaît pas encore très bien ? La réponse n’est pas simple, car d’un côté les différents emballages respectent scrupuleusement les normes sanitaires en vigueur et de l’autre les détracteurs lanceurs d’alertes contestent ces normes et les principes qui les sous-tendent.
L’emballage est depuis toujours conçu pour être neutre vis-à-vis de ce qu’il contient. Et à l’échelle de ce qui est mesuré vis-à-vis des seuils admissibles actuels, sa neutralité est prouvée. Le principe de précaution est ainsi agité par les lanceurs d’alertes afin de changer de paradigme dans le domaine de la toxicité et de faire bouger les lignes. Ce débat précis est loin d’être tranché, que ce soit au niveau français ou au niveau européen. Il faut d’ailleurs s’attendre à ce que l’emballage, d’une façon plus globale, soit la cible de questions répétées relatives à son impact sur la santé humaine.
Et le principe d’innovation ?
M. F. : Le principe d’innovation, lui, n’est ni mondial ni même européen. Peut-être est-il en fait universel ? Il est actuellement défini dans un projet de loi français et vise à promouvoir et à utiliser pour les achats publics toute forme contemporaine d’innovation. Il est assez facile d’imaginer beaucoup de choses derrière ce vocable au total assez vague de « forme contemporaine d’innovation ». Par exemple, la volonté d’utiliser à fond les avancées du numérique pour dématérialiser les relations avec les fournisseurs et les citoyens, que ces relations soient commerciales, comptables ou même fiscales. Comment bien définir ces formes modernes d’innovation ?
À défaut de principes clairement définis, les mots ou expressions nouvelles viennent à notre secours pour nous aider à comprendre les tendances qui bouleversent notre quotidien. Le monde « s’ubérise », « s’airB&Bise », les voitures vont devenir autonomes, la plastronique va révolutionner l’électronique, les imprimantes 3D promettent de nouveaux types de production, la réalité augmentée va nous faire vivre de nouvelles sensations, le « digital » entre dans les comités exécutifs des groupes du Cac 40…
L’emballage n’a pas attendu l’enracinement complet de ces nouvelles technologies pour les utiliser. Les imprimantes 3D participent ainsi à la conception de nouveaux emballages depuis quinze ans ! L’impression des étiquettes et cartons utilise depuis leur origine les technologies les plus modernes de mise en pages des textes et des couleurs. Les codes-barres puis les codes QR identifient précisément les produits du commerce moderne, dont l’emballage est le support. Les métiers de l’emballage forment ainsi une industrie légère et agile qui tire très vite parti du progrès technologique. Sans jamais se mettre en avant, l’emballage est innovant, et le digital y est déjà une réalité. Pour l’emballage, les principes de précaution et d’innovation ne s’opposent donc pas, car ils ne concernent pas les mêmes aspects. Le principe de précaution, on l’a vu, est très présent dans l’aspect « conservation » de l’emballage, et le principe d’innovation, porté principalement par le digital, est très associé aux fonctions « information du consommateur » et « expression de la marque »1.
Innover avec précaution ? Un sport que l’emballage pratique avec autant de bonheur que de sérieux depuis toujours.
1. Sur les fonctionnalités de l’emballage, voir Michel Fontaine, l’Emballage, ce bel inconnu, Book on Demand 2016 (www.bod.fr/livre/michel-fontaine/lemballage-ce-bel-inconnu/9782322096510.html).