Bulletins de l'Ilec

Prudence éclairée - Numéro 459

01/08/2016

L’exemple de la grande consommation montre que l’opinion publique sait apprendre des crises, et ne se laisse pas abuser par une opposition simpliste entre précaution et innovation. Entretien avec Philippe Guilbert, directeur général France de Toluna

D’une façon générale, peut-on parler d’une appropriation dévoyée et exagérée du principe de précaution par l’opinion publique, qui en aurait fait un principe d’abstention et non plus d’action en dépit de sa définition juridique ?

Philippe Guilbert : Depuis les années 90, le principe de précaution s’est progressivement étendu en passant de l’environnement et la santé à la consommation et l’alimentation, voire maintenant à la sécurité des personnes et des données individuelles. En l’absence de certitude scientifique absolue à un moment donné, ce principe permet aux autorités publiques de prendre des mesures pour limiter des risques, ce qui ne signifie nullement bloquer l’innovation pour rassurer l’opinion. Les Français restent en effet plus préoccupés par le chômage et l’insécurité que par les risques liés aux produits consommés. Lorsque la dernière grande crise alimentaire a éclaté en France début 2013, avec la viande de cheval, deux consommateurs sur trois étaient convaincus que les industriels et les pouvoirs publics allaient résoudre rapidement le problème, notamment en renforçant la traçabilité et les contrôles sanitaires. De même, les rappels de produits sont souvent perçus comme une démarche de transparence et de précaution, qui n’entame pas la réputation du fabricant ou du distributeur, bien au contraire. Je pense que la majorité du public fait encore confiance aux capacités d’adaptation du système réglementaire et d’autorégulation.

Quels sont dans l’opinion publique les risques les plus associés aux produits de grande consommation : transfert aux aliments (emballages, ustensiles et produits de lavage…), perturbateurs endocriniens, nanoparticules ?

P. G. : Les Français étant en général peu préoccupés par les risques en grande consommation, ils apprennent souvent lors des changements de réglementation et des crises l’existence de facteurs de risque spécifiques, dans la composition de certains produits ou emballages. Tout palmarès des craintes est donc très lié à l’actualité, et selon moi assez vain. D’autant qu’au moment de faire leurs courses, les consommateurs doivent déjà faire des choix en tenant compte de multiples critères : le prix, la qualité du produit et de la marque, l’apport calorique, le taux de sucre et de matières grasses pour ceux qui surveillent leur ligne… Ces risques spécifiques des composants sont donc souvent évacués de l’esprit du client en magasin, qui fait confiance au système réglementaire et autorégulatif. Toutefois, la montée du bio témoigne incontestablement d’une sensibilisation croissante : 65 % des Français mangent au moins un aliment bio chaque mois et 64 % achètent un produit d’hygiène-beauté bio dans le trimestre, car ils les considèrent meilleurs pour la santé et l’environnement. Les produits sans gluten, même si leurs bénéfices sont controversés, intriguent même un consommateur sur six. Mais là encore, les consommateurs préfèrent faire confiance à un label ou à une appellation, plutôt que de faire la chasse aux composants et aux ingrédients déconseillés.

Des consommateurs, s’appropriant une conception fausse du principe de précaution, auraient-ils trouvé justifié le gaspillage alimentaire consistant à jeter des produits avant leur date de consommation optimale ?

P. G. : Non. Les consommateurs font preuve d’une prudence éclairée en ce qui concerne les dates limites. Ils font surtout attention à ne pas dépasser la date limite pour la viande, la charcuterie, les poissons et les plats préparés frais. Ainsi, 49 % jettent systématiquement une viande lorsque la date de consommation est atteinte, contre moins de 20 % lorsqu’il s’agit d’aliments secs (farine, pâtes…), boissons, produits laitiers (yaourts, beurre, crème…) et conserves. Pour ces derniers aliments, la majorité des consommateurs peut dépasser la date indiquée et vérifier l’aspect et l’odeur. Globalement, 78 % des Français estiment que les enseignes devraient réduire le prix des produits proches des dates de consommation, 47 % qu’elles devraient les donner et 9 % les transformer : moins de 4 % pensent qu’ils devraient être jetés. En grande consommation, l’innovation est-elle perçue comme porteuse de risque ? P. G. : Dans tous les secteurs, le public réclame de la nouveauté parce que les goûts et les besoins changent, mais aussi parce que l’innovation aide à maintenir le plaisir de la consommation et la facilité d’utilisation. Bien sûr, les attentes varient énormément selon les profils, certaines innovations sont mieux perçues selon les cibles. Mais globalement, de nombreuses enquêtes confirment que les consommateurs aiment voir des nouveautés en magasin, qu’il s’agisse d’alimentation, d’hygiène, de beauté, de mode, de produits technologiques, d’équipement de la maison… Cet attrait repose sur une confiance générale, qui se maintient en France, grâce à l’implication des acteurs concernés.

Propos recueillis par J. W.-A.

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