“Holacratie”, voie rapide pour l’innovation - Numéro 466
31/07/2017
L’entreprise « libérée » libère-t-elle l’innovation, ou les contraintes qui pèsent sur l’innovation sont-elles indépendantes de l’organisation de l’entreprise ?
Éric Seulliet : Hors exceptions (entreprises en situation de monopole ou ayant une rente de situation), toute entreprise a un besoin vital d’innover pour rester dans la course. En ce sens, elle se doit d’être innovante quel que soit son modèle d’organisation. L’injonction d’innover est donc universelle. Cela dit, l’innovation rimant avec souplesse et agilité, il est évident qu’une entreprise « libérée » sera plus à même de susciter l’innovation. Ce type d’entreprise favorise en interne la prise d’initiatives, le partage des idées, la collaboration, l’implication, et instaure un climat d’intelligence collective, autant d’ingrédients indispensables à l’innovation. En externe, l’entreprise libérée permet une amplification des interactions avec l’environnement, les rendant plus naturelles et plus fluides. Cette posture d’ouverture est en soi bénéfique à l’innovation. Poult, une entreprise de biscuiterie se définissant comme une « entreprise libérée »1, est un exemple éloquent : biscuits connectés, impression 3D… la PME innove en permanence et collectionne les prix. Un autre exemple est celui de Philippe Pinault, fondateur de TalkSpirit et de HolaSpirit, deux start-up pratiquant l’holacratie : « plus les systèmes sont libres, observe-t-il, plus ils génèrent de la créativité, de la performance, de l’efficacité, et plus ils grandissent »2.
Y a-t-il un type de management spécialement propice à l’innovation, sous l’aspect de ses contraintes de calendrier ?
E. S. : Privilégier l’autonomie des salariés par une organisation spécifique (organisation avec peu de niveaux hiérarchiques, décentralisée, libérée, holacratique) a pour corollaire un mode de management adapté. Un management agile est un atout pour l’innovation. Il favorise la participation, il est adapté à la conduite de processus de changement. Les grandes entreprises, qui ont du mal à demeurer en alerte sur les sujets clés, cherchent de plus en plus des collaborations avec des start-up innovantes ou multiplient les créations de structures légères et autonomes vouées à l’innovation avec un rôle d’incubateurs et d’accélérateurs3.
L’innovation participative innove-t-elle mieux ? Et plus vite ? Permet-elle de réduire le risque, en particulier pour le client distributeur, ou seulement sa perception ?
E. S. : Par définition, l’innovation participative fait appel aux idées du plus grand nombre. Et il y a plus d’idées dans de nombreux cerveaux que dans un seul. Ce type d’approche donnera donc davantage de pistes d’innovation, et elles seront en général pertinentes, car frottées au vécu de personnes qui connaissent le domaine concerné par la recherche d’innovation.
Il y a néanmoins des points de vigilance. Il faut diversifier le plus possible les personnes sollicitées dans le processus d’innovation, car la diversité des points de vue est gage de créativité – il est bénéfique de solliciter des contributeurs extérieurs à l’entreprise. Et il faut que le processus de participation soit bien piloté vers des résultats tangibles : il sera contre-productif de s’en tenir à des séances d’idéation qui ne débouchent sur rien, créent au contraire démotivation et frustration, sans compter le temps perdu.
Bien mené, un processus d’innovation participative peut en effet réduire le risque. Ce qui permet de le réduire le plus efficacement est une démarche de création partagée avec les clients, qu’il s’agisse des distributeurs ou des clients finaux. Ces derniers sont les vrais experts, en temps que destinataires des innovations. Il est précieux de recueillir leurs avis en tant qu’utilisateurs. Ils sont bien placés pour savoir si les innovations envisagées apporteront de la valeur. Or cela suppose de les associer au processus d’innovation le plus en amont possible, de façon qu’ils puissent non seulement exprimer leurs besoins, envies et manques, mais aussi expérimenter les solutions proposées au stade des prototypes et des maquettes, et, par itérations successives, participer à les mettre au point. En fait, ces démarches de « living labs » et « design thinking » qui minimisent les risques d’échec sont particulièrement intéressantes pour innover plus vite.
La démarche participative réduit-elle le coût de l’innovation ?
E. S. : Elle a en effet l’avantage de réduire son coût, de deux manières : d’une part, parce que produisant des résultats plus rapides elles sont ipso facto plus économiques ; d’autre part parce que les innovations ainsi produites génèrent moins d’échecs.
La longue durée est-elle l’ennemi du changement ?
E. S. : Si la longue durée est liée à des processus lourds, il est certain que cela peut se traduire par des atermoiements et de l’indécision. Dans ce contexte, une entreprise aura du mal à conduire des changements. Si au contraire la longue durée est l’appréhension du futur, l’entreprise aura une démarche prospective, anticipant les évolutions nécessaires. Elle sera moins liée aux contingences du court terme et pourra ainsi s’engager dans des innovations de rupture.
Arrive-t-il que la volatilité des dirigeants soit préjudiciable à la confiance et à la projection d’une entreprise dans l’avenir, à l’innovation structurante ?
E. S. : La rotation rapide des dirigeants peut en effet être contre-productive, en matière à la fois de confiance et d’innovation. Une entreprise qui fait valser ses dirigeants crée inévitablement un climat d’insécurité et de défiance, peu propice à l’implication pleine et entière des salariés. Le manque d’investissement de leur part ne peut que se traduire négativement en matière d’innovation.
Le manager qui sait qu’il ne restera pas longtemps dans le même poste (soit du fait de la politique de ressources humaines de son employeur, soit en raison de son plan de carrière personnel) a tendance à privilégier le court terme (« après moi le déluge… ) et des résultats rapides. Il cherche à maximiser le retour immédiat sur investissement, au détriment d’une politique d’innovation, qui peut rarement produire de résultats avant un certain temps.