Bulletins de l'Ilec

Partage et prospective - Numéro 468

09/11/2017

Pour les familiers de l’« ECR », l’intelligence collective n’est pas un perdreau de l’année, ni les exigences commerciales ou légales de son exercice. La digitalisation lui ouvre pourtant des champs nouveaux. Entretien avec Xavier Hua, directeur général de l’Institut du commerce (IdC)

Quelque vingt ans après son introduction en France, la « démarche ECR »1 laisse-t-elle la place à quelque chose de plus large qui serait « l’intelligence collective » ?

Xavier Hua : En effet, la démarche ECR telle qu’elle existe depuis vingt ou trente ans, « travailler ensemble, industriels et distributeurs, pour mieux répondre aux attentes des consommateurs », contient dans sa définition même la notion d’intelligence collective. Les réflexions conjointes qui ont lieu dans les ateliers et les groupes de travail sont un réel stimulant pour les participants. Certains adhérents ont coutume de dire que les travaux ECR ne valent que par ce qu’on y apporte : de l’intelligence, mais aussi du pragmatisme.

Au bilan d’ECR, que peut-on dire de l’attention portée par les acteurs du marché aux recommandations ?

X. H. : Une étude, réalisée en 2012 auprès des industriels et distributeurs à un niveau européen, indiquait que les bonnes pratiques ECR n’étaient mises en œuvre que par 40 % des répondants en moyenne, mais que 80 % d’entre eux en avaient retiré des bénéfices tangibles ! Cela indique certainement un déficit de connaissance du plus grand nombre, mais peut vouloir dire également que certaines pratiques collaboratives sont devenues tellement répandues que les acteurs ne se souviennent plus qu’elles ont été formalisées au sein d’ECR. Plus concrètement, certaines recommandations ont été reconnues par la CEPC comme bonnes pratiques commerciales et sont utilisées par la majeure partie des acteurs, comme la charte sur les conditions et la qualité de la livraison, dont nous allons publier une version mise à jour dans les prochains jours.

Le management par catégories conjoint fournisseur-distributeur est-il plus ou moins développé en France que sur d’autres marchés nationaux comparables ?

X. H. : J’ai tendance à penser qu’il est plus développé en France que chez nos proches voisins, en me fondant sur les échanges que j’ai avec mes homologues des pays européens. Cependant, les modalités de mise en œuvre sont assez différentes d’un pays à l’autre, là aussi pour des questions d’ordre culturel.

Le management par catégories a-t-il beaucoup changé depuis vingt ou trente ans ?

X. H. : Les changements qui ont lieu en ce moment, liés au développement omnicanal et à la digitalisation, sont beaucoup plus importants que ceux qui ont eu lieu dans les vingt années précédentes. Nous assistons à une accélération très forte des mutations du commerce, liée à la modification des comportements d’achat des consommateurs. Le management par catégories évolue aujourd’hui, pour mieux prendre en compte les besoins d’un consommateur plus connecté, à qui il faut s’adresser de manière plus différenciée qu’auparavant. C’est le passage d’un commerce de masse à un commerce de précision qui entraîne les modifications les plus importantes dans le management par catégories.

Des responsables commerciaux d’industriels à demeure chez leurs clients, est-ce envisageable en France comme aux États-Unis ?

X. H. : Selon moi, les réticences culturelles sont encore trop fortes en France pour arriver à ce type de pratique. Cela dit, la digitalisation croissante des activités et le travail de plus en plus en réseau peuvent faire évoluer les mentalités très vite. Quelques tentatives pourraient surgir de la part de nouveaux acteurs pour tester ce fonctionnement plus intégré.

Le management par catégories est-il très affecté par les tensions liées à la négociation commerciale ?

X. H. : Malheureusement encore trop ! Les initiatives conjointes de construction ou de développement catégoriel, bien qu’elles soient reconnues comme créatrices de valeur pour l’ensemble des acteurs, sont encore trop souvent mises de côté, ou voient leur déploiement freiné par la négociation commerciale. Les dossiers que nous voyons passer pour les « Mètres »2 sont tous pertinents, leur mise en œuvre dépend des relations individuelles entre acteurs individuels, alors que le partage et le collectif permettraient un déploiement plus rapide.

En plus des domaines de collaboration historiques, marketing commercial et logistique, d’autres métiers sont-ils appelés à participer de l’intelligence partagée ? La gestion de données ? Le juridique ?

X. H. : Nous avons déjà travaillé à cette démarche d’intelligence partagée dans deux domaines nouveaux, la RSE et les ressources humaines, avec la publication d’une recommandation conjointe sur l’information environnementale des produits en 2012, la réalisation d’une enquête sur les pratiques collaboratives pour réduire le gaspillage alimentaire en 2014, et début 2017 avec la publication d’un référentiel de compétences pour les nouveaux métiers de la chaîne d’approvisionnement liés à la transformation digitale. Nos adhérents sont très demandeurs de travaux dans ces domaines : un groupe de travail va voir le jour à l’IdC sur les nouveaux métiers du commerce avant la fin de l’année.

En pratique, l’intelligence collaborative se heurte-t-elle souvent à des obstacles réglementaires (tenant à des dispositions du droit de la concurrence par exemple) ?

X. H. : Toutes les réunions de l’Institut du commerce commencent par un rappel des exigences de respect des règles de la concurrence. La charte déontologique que nous répétons systématiquement permet à tous les participants de travailler en confiance, et les publications issues des groupes de travail sont ainsi validées par tous. Pour autant, il est vrai que la mise en œuvre opérationnelle peut parfois se heurter à des obstacles réglementaires : je pense à la mutualisation logistique entre entreprises concurrentes, qui demande une vigilance plus forte sur les informations partageables ou non. Le rôle de tiers de confiance devient de plus en plus important pour assurer la neutralité nécessaire.

En quoi les prochaines « Journées annuelles » de l’IdC (21-22 novembre)3 s’inscrivent-elles dans ce qui serait une nouvelle pensée de l’intelligence partagée ?

X. H. : Les thématiques des Journées annuelles sont le reflet des besoins de nos adhérents, mais surtout celui des demandes des consommateurs : la recherche de santé et de naturalité est une tendance très forte, sur les marchés de l’alimentaire comme du non-alimentaire. Elles s’inscrivent dans la mission de « partage et prospective » de l’Institut du commerce : des thématiques où les acteurs du secteur, industriels, distributeurs et prestataires, doivent apporter des réponses conjointes pour être plus pertinents et légitimes.

Nous avons fait appel cette année à des intervenants aux profils très divers pour illustrer cette intelligence partagée : universitaires, économistes, sociologues se partageront la scène avec les industriels et les distributeurs, des circuits à dominante alimentaire ou spécialisés, sans oublier la dimension internationale. Enfin, l’offre de l’Institut du commerce reposera encore plus l’an prochain sur les réflexions partagées qui y seront menées. La chaîne d’approvisionnement partagée et connectée, les nouveaux métiers du commerce, le management par catégories omnicanal, seront des thèmes majeurs sur lesquels nos adhérents pourront croiser leur expertise pour construire ensemble le commerce de demain.

1. Acronyme d’Efficient Consumer Response, l’initiative conjointe industrie-commerce qui exprime la volonté des entreprises qui y adhèrent de mieux organiser l’ensemble de la chaîne de commercialisation et d’approvisionnement, en rendant les systèmes d’échange plus performants, moins coûteux et plus réactifs.
2. Trophées du merchandising et de management par catégories décernés par l’Institut du commerce.
3. Plusieurs adhérents de l’Ilec figurent parmi les intervenants de ces « Journées », organisées à la Défense par l’Institut du commerce, à l’issue desquelles seront notamment remis les « trophées ECR ». Programme sur https://institutducommerce.org/page/journees-annuelles.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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