Ce que dit l’EAN - Numéro 469
12/12/2017
Une étude Nielsen de 2010 donnait un aperçu du nombre de produits de grande consommation (PGC) qu’avaient en commun douze marchés nationaux : Belgique, Suisse, Allemagne, Danemark, Espagne, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède. Elle montrait que le Royaume-Uni était le pays qui en partageait le moins, la France celui qui en partageait le plus, et que la France avait plus que l’Espagne de produits en commun avec le Portugal… Les codes-barres EAN (European Article Numbering) communs à différents pays sont-ils représentatifs des produits communs ?
Laurent Zeller : Stricto sensu, les EAN réellement en commun sont en très petit nombre, souvent du transfrontalier ou des marques de distributeurs exportées, donc ils ne sont pas représentatifs ! En revanche, à travers un travail de chaînage d’EAN différents à travers les pays, Nielsen parvient un peu à comparer des produits similaires, par leurs caractéristiques, mais porteurs d’EAN distincts. En réalité, il existe peu de marques comparables d’un pays à l’autre, on peut citer Coca-Cola, Nutella, Pampers, des marques de lessives, ça reste un assez petit nombre. Il y a aussi l’impact de quelques soldeurs comme Action qui achètent en masse et contractualisent centralement des produits portant le même EAN, qu’ils diffusent dans les différents pays où ils opèrent (Pays-Bas, Belgique, France, Allemagne).
Le Royaume-Uni est le pays qui partage le moins d’EAN avec les autres pays, non à cause du Channel mais du système métrique britannique, qui a pour conséquence que les tailles et formats de produits sont très différents de ceux de l’Europe continentale.
Au rayon des alcools, les mêmes marques ont le même goût partout : une exception ?
L. Z. : Dans les alcools, oui en général, car un goût de whisky doit respecter son terroir d’origine. Dans le reste de l’alimentaire, au sens de ce qui se mange, les marques n’ont pas le même goût partout, car les cultures de goût restent assez locales ; les évolutions récentes des ventes de marques de PME locales en attestent. Certains produits peuvent avoir le même goût dans les divers pays mais les consommateurs ont des habitudes différentes.
Même des alcools qui ont une composition identique vont avoir souvent des conditionnements différents (typiquement en Angleterre). Avec les whiskies, les cognacs ou aussi les huiles d’olive, on ne va pas trouver des assortiments comparables au Royaume-Uni, en France, en Italie ou en Espagne.
Les grandes enseignes exercent-elles dans l’UE un fort effet d’unification de l’offre ?
L. Z. : L’unification de l’offre est faible, car en réalité peu d’enseignes en Europe sont multipays. À titre d’exceptions, l’Allemagne avec Aldi et Lidl et dans une moindre mesure la France avec Carrefour, Auchan, Leclerc et Intermarché sont les deux pays qui exportent un peu leurs enseignes hors de leurs territoires d’origine à travers l’Europe.
L’effet dépend du type de distributeurs : il y a d’une part des enseignes orientées et structurées vers l’amont (typiquement Aldi, ou Ikea) qui ont tendance à privilégier un fournisseur par produit et à le diffuser en masse dans leurs périmètres géographiques, et d’autre part des enseignes orientées vers l’aval, souvent les grandes surfaces à dominante alimentaire hors supermarchés à dominante de marques propres, qui recherchent d’abord un produit répondant au besoin localement qualifié des consommateurs, avant d’envisager de l’exporter vers d’autres marchés. C’est d’ailleurs la même logique qui préside à la diffusion des produits régionaux à travers la France. Gardons à l’esprit que ce sont plutôt des industriels qui participent à l’unification de l’offre, notamment lorsqu’ils massifient avec un produit unique, monomarque et sortant d’une seule usine servant plusieurs pays. Hors PGC, Apple ou Samsung proposent en général partout le même produit, la seule variante étant la prise électrique.
Le nombre de produits en commun entre deux marchés européens est-il fortement corrélé à la présence d’enseignes communes ?1
L. Z. : Oui et non ! Un bon exemple est celui des produits de pharmacie dits OTC. Nielsen vient de faire une étude de comparaison des prix entre plusieurs pays. Bon exemple, parce qu’il n’y a pas d’enseignes communes de pharmacies, mais il se trouve qu’il y a des produits communs… ou non. Cela va dépendre de la politique des industriels de la santé : marque locale (Baume Saint-Bernard par exemple), unité de production régionale ou purement locale, marque commune ou différenciée par pays en fonction des consonances (Voltarène en France mais ailleurs Voltaren ou Voltarol, Strepsil en France mais Benagol en Italie, etc.). En revanche sur les patchs nicotiniques, on trouve surtout les mêmes marques dans les mêmes conditionnements et les mêmes formules, beaucoup d’EAN en commun donc. Il faut distinguer la logique consommateur et la logique industrielle du fabricant.
Entre deux marchés nationaux les enseignes se font-elles souvent en Europe les introducteurs et porte-avions de petites ou grandes marques ?
L. Z. : Entre deux marchés nationaux, nous pensons chez Nielsen que les enseignes cherchent d’abord à massifier les volumes et à générer des économies d’échelle sur leurs marques de distributeur. Il faut, encore une fois, distinguer entre les enseignes « amont » et les enseignes « aval » : Costco, enseigne amont, exporte ses meilleurs fournisseurs (petits ou grands), alors que les enseignes aval servent d’abord leur marché national et ses régions. Une enseigne historiquement amont, Lidl, a opéré sa mue en France vers un profil aval, en localisant ses assortiments. Ainsi, les enseignes introduisent peu les marques, sauf dans le périmètre de leurs marques propres : par exemple Reflets de France, qui exporte des produits de tradition culinaire française, ou Café Royal, positionné en France comme une marque nationale, sous-entendu « de fabricant », mais en réalité une marque d’un grand distributeur helvétique, ce que peu de gens savent.
La continuité territoriale détermine-t-elle beaucoup la plus ou moins forte proportion de produits en commun ?
L. Z. : Que cela soit lié à des frontières physiques communes, cela s’observe à titre marginal, sous l’effet de grandes enseignes opérant sur des marchés multiples. C’est le fait du commerce physique et pour l’avenir encore plus du commerce en ligne (par exemple l’enseigne d’aliments pour animaux Zooplus, Amazon, etc.), par essence une négation des frontières physiques. Il faut aussi tenir compte d’un facteur important qui est la capacité de production locale. Dans un petit pays comme le Portugal, si l’on trouve plus de produits en commun avec d’autres pays, c’est aussi parce que les unités de production locales y sont moins nombreuses (effets d’échelle).
Les EAN communs à différents pays sont-ils représentatifs de cultures communes ?
L. Z. : Ils sont surtout représentatifs de la concentration à la production des industriels et de l’ADN du distributeur, c’est-à-dire de son orientation amont et centralisatrice, ou aval, qui adhère au besoin local.
Quel est l’effet de la présence dans un des deux pays d’importantes populations ayant migré depuis l’autre ou issues de migrants ?
L. Z. : Quand une enseigne fait en France ou ailleurs une « semaine portugaise », ce n’est pas tant pour exporter les fournisseurs qu’il peut avoir au Portugal que pour répondre aux besoins de populations locales d’origine immigrée. Mais l’effet est très marginal, c’est un peu le phénomène Erasmus !
Est-il impossible de comparer les prix des PGC en Europe ?
L. Z. : Comparer des prix, c’est d’abord comparer des assortiments et des offres. Ce qui est difficile, ce n’est pas de comparer les prix, mais de comparer les produits. Or l’état actuel des assortiments de PGC (multiplication des variantes de formats, de lots ou de promotions) dans les pays d’Europe ainsi que l’hyper-segmentation de l’offre (même sur un seul territoire national) aboutissent à des offres très différentes et à très peu d’EAN communs. Même en « chaînant » des produits comparables, cela peut être cornélien : le standard du Coca-Cola regular au Royaume-Uni est plutôt le format deux litres, alors qu’en France c’est plutôt un litre et demi, faut-il les comparer ou non ?
Y a-t-il de gros effets des différences de fiscalité sur le positionnement des produits ?
L. Z. : Oui, typiquement dans les alcools, du fait des droits d’accises très disparates. Ils sont hauts en France mais encore plus au Royaume-Uni, parfois quasi-nul (Andorre).
Du point de vue d’une société de panels, existe-t-il un « made in Europe » ?
L. Z. : Nielsen n’est plus une société de panels au sens statistique du terme, car nous traitons 250 00 EAN actifs sur 17 00 magasins à la journée : c’est surtout du « big data collaboratif » que nous essayons de rendre « smart data » ! Le made in Europe n’existe pas. Nielsen observe en termes de tendance que les consommateurs réclament plutôt du « made in my country »…. voire de plus en plus du « fabriqué dans ma région », « dans ma ville » sinon « dans ma rue » ! Les consommateurs nous parlent des marques locales, proches de chez eux, porteuses d’une histoire d’authenticité, de terroir, de naturalité, d’une consommation moins grégaire.
1. Il est à peu près impossible à une grande enseigne de mesurer l’évolution de ses produits communs entre ses implantations européennes, nous a répondu l’une d’elle, au vu des 50 000 EAN alimentaires que peut compter un grand hypermarché et du fait que les industriels ont souvent des EAN différents par pays (NDLR).
2. Entre deux marchés nationaux, nous a indiqué la même enseigne, chaque implantation développe son assortiment, fondé avant tout sur le local, le siège de l’enseigne se bornant à « faciliter la mise en contact de [ses] partenaires PME » (NDLR).
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard