“Double standard”, une querelle à clore - Numéro 469
12/12/2017
En mars dernier et dans les mois suivants, plusieurs gouvernements d’Europe centrale et orientale1 ont interpellé Bruxelles au vu d’études réalisées à leur demande et tendant à illustrer l’existence d’un « double standard de qualité » pratiqué sur des produits vendus sous la même marque respectivement côté ouest et côté est de l’UE : pâte à tartiner « moins crémeuse », soda « moins complexe », chocolat en poudre « moins harmonieux », bâtonnets moins riches en poisson, ou écarts de prix à conditionnement identique…
Les essais comparatifs conduits dans ces pays ont en effet établi l’existence de différences, dont l’appréciation a été plus ou moins subjective, mais ils n’ont pas échappé à l’un ou l’autre des biais suivants :
- non-prise en considération de la disparité des approvision-nements selon l’implantation des centres de production (goûts divers des matières premières, eaux, laits, etc.) ;
- non-prise en considération de la période de production (qui affecte aussi le goût) ;
- non-prise en considération des réglementations nationales susceptibles d’imposer des variantes de recettes ;
- assimilation l’un à l’autre de produits ouvertement distincts par leurs marques ou sous-marques (cas de deux thés earl grey de même marque mais de provenances diverses dont l’un est porteur d’un label écologique…) ;
- non-prise en considération du droit de la concurrence et de la liberté pour le distributeur de fixer le prix de vente aux consommateurs…
Les conclusions, ignorant en outre l’existence de variantes communes à des pays de l’« Est » et de l’« Ouest », ont été publiées sans que les entreprises mises en cause aient été invitées à documenter le sujet.
Selon des sondages réalisés au cours de l’été, la croyance en l’existence d’un « double standard » univoque Est-Ouest dépasse 80 % de l’opinion publique en Hongrie ou en Lituanie, 70 % en Slovaquie. Dans ce pays, le taux de confiance dans les marques qui y sont vendues est pourtant lui aussi de 70 %, selon le même sondage. Une apparence de contradiction qui s’éclaire par la prégnance d’un sentiment plus général que l’UE serait à deux vitesses, nourri de crispations sur des sujets tout autres auxquelles la grande consommation a servi d’exutoire.
La Commission européenne s’étant emparée de la question, elle a publié en septembre dernier des orientations2 visant à « détecter et traiter l’application de deux catégories de normes ». Elle écrit : « La question essentielle pour un consommateur est la suivante : “Est-ce que j’aurais quand même acheté ce produit si j’avais su qu’il présentait une différence importante par rapport au produit que j’avais goûté dans un autre État membre ?” »
Pour traiter les cas où la réponse à cette question (un peu théorique au vu du poids des achats transfrontaliers) serait non, elle définit une « approche progressive permettant de déterminer si les producteurs violent les dispositions législatives » et y mentionne les textes pertinents à la disposition des États (règlement 1169/2011 « Information des consommateurs sur les denrées alimentaires » ; directive 2005/29/CE « Pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs »). Bruxelles a répondu aux préoccupations des représentants de l’industrie, FoodDrink Europe et AIM, et du commerce, en annonçant l’instauration d’un dialogue multipartite sur les faits et les perceptions de la question selon les États, et l’élaboration d’une « méthodologie visant à améliorer les tests comparatifs réalisés sur les denrées », avec une enveloppe ad hoc d’un million d’euros à disposition de son Centre commun de recherche, pour que les États puissent évoquer la question « sur une base scientifique solide et partagée ».
Les gouvernements des PECO, dont la Pologne (seule grande économie exportatrice de PGC dans cette partie de l’Europe et qui attend l’aboutissement de la méthodologie commune avant de diligenter d’éventuelles enquêtes comparatives), ont tenu le 13 octobre dernier à Bratislava un « Sommet pour la qualité des produits égale pour tous » en présence de la commissaire à la Consommation Véra Jourová et de son homologue à la Sécurité alimentaire Vytenis Andriukaitis (lequel a observé qu’aucun produit cité ne présentait d’enjeu de sécurité, confirmant en creux que sa présence tenait surtout à une volonté de dramatisation des organisateurs). Participaient également des représentants de l’Autriche et de l’Allemagne, les deux marchés occidentaux qui ont servi de principaux référents pour alimenter la controverse. Les représentants de l’industrie et du commerce ont pu s’y exprimer. Et souligner qu’une entreprise comme une marque, exposées à une campagne relayant des accusations infondées de discrimination, peuvent être promptement déconsidérées voire ruinées avant qu’il leur soit trop tard rendu justice.
1. Slovaquie et Hongrie d’abord, puis Croatie, Bulgarie, Roumanie, Slovénie, République Tchèque, Lituanie, Lettonie.
2. http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-3403_fr.htm.
F. E.